
La guerre, pour quoi ?
À la question d’Einstein « que peut-on faire pour détourner les hommes de la fatalité de la guerre ? » [1], Freud répond par sa lettre intitulée « Pourquoi la guerre ? » [2]
Il y fait référence à sa théorie des pulsions : pulsion de vie et pulsion de mort. Il ajoute que « Parfois […] les motifs idéaux n’ont servi que de prétexte aux appétits destructeurs » [3]. Dualisme pulsionnel dont Lacan fera les deux faces de la même pulsion.
Freud se dit « pacifiste » [4]. Il fait appel à la culture pour dominer la vie pulsionnelle. « Peut-être n’est-ce point un espoir utopique de penser que l’influence de ces deux facteurs, celui des positions culturelles et celui de la crainte justifiée d’une guerre future, mettra fin aux entreprises guerrières dans un avenir peu éloigné » [5]. Conclusion un peu naïve et utopiste, ce qui n’a pas toujours été le cas dans des textes précédents. Autre manière de dire que Freud croyait au père. Faire la guerre, c’est vouloir faire exister un Autre qui n’existe pas.
Lacan ira au-delà du père. Il établira le réel de la jouissance. Faire la guerre, c’est en quelque sorte une tentative de récupérer cette jouissance perdue à tout jamais.
Eric Laurent [6] parlant de l’identification au leader et à l’exigence de jouissance sans limites qui l’habite, cite Freud : « Le meneur de la masse est encore toujours le père originaire redouté, la masse veut toujours encore être dominée par un pouvoir illimité, elle est au plus haut degré maniaque d’autorité, elle a […] la soif de soumission. »[7]
Michel Eltchaninoff, philosophe d’origine russe, dans son livre intitulé Dans la tête de Vladimir Poutine [8], nous parle d’un philosophe russe devenu le philosophe de référence de V. Poutine et qu’il cite volontiers dans ses discours : Ivan Ilyine.
Ce dernier, en 1933, lorsque les nazis arrivent au pouvoir en Allemagne, écrit un article sur « “le nouvel esprit national-socialiste” » [9]. Article dans lequel il minimise la persécution des juifs et exalte ce qui « “brûle dans le cœur de chaque nazi sincère” » [10]. Évoquant la révolution communiste en Russie, il souligne que celle-ci, une fois interrompue, il s’agira de promouvoir une « “dictature démocratique” » [11] dans laquelle « Les élections ne joueront plus alors un rôle important. » [12] Ce qu’il faudra alors, c’est un « “Guide” qui “sache ce qu’il faut faire” […] “frappe l’ennemi au lieu de prononcer des mots vides ; dirige au lieu de se vendre aux étrangers” » [13].
L’auteur souligne que pour Poutine, il s’agissait là [de bien] « Plus qu’un programme : un portrait à parachever…» [14]
Le programme de Poutine, nous dit M. Eltchaninoff, est écrit sur le modèle de la « “verticalité du pouvoir”[15], de la “démocratie souveraine”[16], [de] l’hostilité aux puissances étrangères » [17].
I. Ilyine souligne encore que « “les peuples occidentaux ne comprennent ni ne supportent l’originalité russe”. » [18] Leur objectif est de «“démembrer la Russie pour la faire passer sous contrôle occidental, la défaire et finalement la faire disparaître”.» [19] Leur méthode passe pour lui par « l’hypocrite promotion de valeurs comme la “liberté”. » [20]
Philippe Stasse
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[1] Freud S., « Pourquoi la guerre ? » (1933), Résultats, idées, problèmes, t. II, Paris, PUF, 1985, p. 203.
[2] Ibid., p. 203-215.
[3] Ibid., p. 211.
[4] Ibid., p. 215.
[5] Ibid.
[6] Laurent E., « Le discours et le réel de la guerre », in Brousse M.-H. (s/dir.), La psychanalyse à l’épreuve de la guerre, Paris, Berg International, 2015, p. 254.
[7] Freud S., « Psychologie des foules et analyse du moi », Œuvres complètes, tome XVI, Paris, PUF, 1991, p. 67.
[8] Eltchaninoff M., Dans la tête de Vladimir Poutine, Paris, Actes Sud, Babel, 2015, p. 45.
[9] Ilyine I., « Le national-socialisme. Un nouvel esprit. I », cité par M. Eltchaninoff, in Dans la tête…, op. cit., p. 48.
[10] Ibid., p. 49.
[11] Ilyine I., « Nos missions », cité par M. Eltchaninoff, in Dans la tête…, op. cit., p. 55.
[12] Eltchaninoff M., Dans la tête…, op. cit., p. 55.
[13] Ilyine I., « Nos missions », cité par M. Eltchaninoff, in Dans la tête…, op. cit., p. 55.
[14] Eltchaninoff M., Dans la tête…, op. cit., p. 53.
[15] Ilyine I., « Nos missions », cité par M. Eltchaninoff, in Dans la tête…, op. cit., p. 55.
[16] Ibid.
[17] Eltchaninoff M., Dans la tête…, op. cit., p. 55.
[18] Ilyine I., « Nos missions », cité par M. Eltchaninoff, in Dans la tête…, op. cit., p. 56.
[19] Ibid.
[20] Ibid., p. 57.
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