« J’aimerais être à la place de [votre chien,] Fifi : être assise à vos côtés, mettre ma tête sur vos genoux1 ». Voici ce qu’écrivait Sidonie – connue grâce à Freud comme la jeune homosexuelle2, mais ici à un âge avancé – à un dernier amour, une femme bien plus jeune qu’elle.
Sidonie avait dix-huit ans lorsque son père l’amena voir Freud après un passage à l’acte : croisant son père alors qu’elle se promenait avec la dame qu’elle courtisait, Sidonie se jeta d’un pont sous le poids de son regard désapprobateur. Mais, comme le démontre Lacan, c’est Freud lui-même qui fut déstabilisé par les rêves de cette jeune fille : « cet inconscient que nous avons l’habitude de considérer comme étant le plus profond, la vérité vraie, il peut donc nous tromper3 ». La passion de Freud – à savoir l’inconscient comme vérité – mise à mal, il passe la main à une analyste femme, mais cette relève n’aura jamais lieu.
Faire le chien
On en apprend davantage grâce à sa biographie. Sidonie y décrit son père comme un pauvre homme soumis aux caprices de sa femme, lui obéissant comme un chien. Pourtant, lorsque Sidonie tente de séduire la dame, elle imite ses manières : « Sidonie est la première à la porte. Elle a vu chez son père comment on laisse la préséance à une dame selon les règles de l’art. […] D’une élégante rotation du corps et d’un geste léger de la main, elle libère la voie pour Léonie4 », note sa biographe. Derrière ces gestes, déjà, se profile une identification signifiante : celle au chien, un animal de compagnie.
Cet accrochage imaginaire lui sera salvateur. Après le passage à l’acte qui l’avait conduite chez Freud, elle fit deux autres tentatives de suicide, chaque fois au moment du laisser tomber de l’Autre : quand la dame quitte Vienne, puis lorsqu’elle réalise que sa mère ne l’avait jamais aimée : « La douleur de ne pas avoir été désirée en tant que fille remonte en elle5 ». Sidonie se tire alors une balle dans la poitrine. Voici peut-être la matrice du partenaire pour elle : une femme toujours inaccessible, dont elle sera le chevalier servant, la dame de compagnie, voire le chien fidèle.
Devenir la dame
Après la mort de son père, Sidonie part à Cuba. Le regard de son chien, Petzi, lui permettra, quinze ans durant, de tenir dans l’existence6. Elle ne fera plus de tentatives de suicide. Au moment de la mort de Petzi, lorsque « le corps du chien dans ses bras devient mou en perdant la vie, c’est comme si on découpait puis enlevait un morceau de l’intérieur de son propre corps7 ». Le regard du chien s’éteint, faisant advenir, pour elle, le signifiant dame de compagnie. Dès lors, elle voyagera à travers le monde en s’occupant de vieilles dames.
À la fin de sa vie, elle retourne à Vienne, logée par une institution caritative. Sidonie rencontre de jeunes femmes intéressées par son histoire. Elle, la jeune homosexuelle de Freud, survivante de la guerre et qui a fait preuve de liberté envers et contre tout, devient à leurs yeux l’icône de la lesbienne dans le siècle. Soutenue et enfin reconnue dans le regard de ces militantes, Sidonie acheva sa vie paisiblement, juchée sur un nouvel escabeau.
Mari Paz Rodríguez Dieguez
[1] Cf. Rieder I., Voigt D., Sidonie Csillag. Homosexuelle chez Freud. Lesbienne dans le siècle, Paris, Éditions EPEL, 2003.
[2] Cf. Freud S., « Sur la psychogenèse d’un cas d’homosexualité féminine », Névrose, psychose et perversion, Paris, PUF, 1973, p. 245-270.
[3] Lacan J., Le Séminaire, livre X, L’Angoisse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2004, p. 151.
[4] Rieder I., Voigt D., Sidonie Csillag. Homosexuelle chez Freud. Lesbienne dans le siècle, op. cit., p. 22.
[5] Ibid., p. 155.
[6] Cf. Rodríguez M. P., La sexualidad es transgénero, Éditions Grama, Argentina, 2023.
[7] Rieder I., Voigt D., Sidonie Csillag…, op. cit., p. 342.




