
La bascule de « Radiophonie »
Écho de la première des « Études lacaniennes » d’Éric Laurent : « Parler lalangue du corps »
En quoi et comment le symbolique tient-il au corps ?
C’est « le moment Radiophonie » qu’examine Éric Laurent lors de la première des huit études freudiennes qu’il consacre, sous le titre : « Parler lalangue du corps », au corps et à sa jouissance au-delà de la pulsion freudienne qui réunissait charge libidinale et représentation dans un mythe fondateur.
Radio Lacan permet de suivre dans leur intégralité les élaborations d’Éric Laurent dont l’intérêt, l’érudition et la précision le disputent à la rigueur du propos, qui culmine dans la mise en valeur des conséquences de la disproportion entre la multiplication des objets de la jouissance et les orifices du corps.
Dans le cadre imparti, que faire d’autre que d’en coudre ensemble quelques pièces ?
Tenant le fil rouge tendu par la conférence de Jacques-Alain Miller « L’inconscient et le corps parlant »[1], il s’approche du point de réel, du mystère de « l’union de la parole et du corps » dans la perspective de « l’analyse du parlêtre ». « Radiophonie » franchit un seuil, produit une bascule dans l’examen des rapports entre structure et corps, dans la considération de la manière dont le signifiant touche le corps.
Lors de cette première séance, É. Laurent fait valoir l’importance de ce « moment » dans l’élaboration de Lacan. Entre « Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse », en 1953, qui abordait l’analyse à partir du désir, et « Radiophonie », en 1970, qui met le cap sur la jouissance, un franchissement s’effectue. D’abord appréhendé comme résultat de l’identification imaginaire stabilisée par la saisie à partir d’un point symbolique extérieur, le corps est maintenant situé à partir d’un processus d’incorporation directe du symbolique. Désormais « La structure s’attrape […] du point où le symbolique prend corps. »[2] Une fois le signifiant incorporé, le corps devient surface et son caractère de vivant ou de mort devient secondaire.
Le symbole n’est plus seulement le meurtre de la chose car une double opération s’effectue : d’un côté le signifiant produit le corps, mais le résultat de l’opération signifiante n’est pas le sens comme ce fut le cas dans le « Rapport de Rome », ce qui résulte alors est la jouissance.
L’opération de désincarnation que produisait la notion de structure avec laquelle rompt « Radiophonie » situait le sens comme effet de surface et de position lié aux déplacements de la case vide et mettait au jour une structure logique, écartant la question des rapports du sujet avec la jouissance. Dans « Radiophonie », le corps devient surface d’inscription de l’effet de surface que supporte l’objet a. Le lieu du corps s’en trouve déplacé dès lors que cet effet ne s’inscrit ni « sur » ni « dans » le corps mais hors-corps. La négativation de la jouissance dans la chair que produit le signifiant « redistribue[r] corps et chair »[3].
La chair est du vivant d’avant l’incorporation de la structure du symbolique alors que le corps comme surface d’inscription où se déploient les effets de surface du jouis-sens lacanien résulte du fait d’avoir « mangé le livre ».
[1] Miller J.-A., « L’inconscient et le corps parlant », La Cause du Désir, Paris, Navarin Éditeur, n° 88, octobre 2014, p. 104-114.
[2] Lacan J., « Radiophonie », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 408.
[3] Ibid., p. 409.
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