Lorsqu’une personne arrive au CPCT, elle rencontre d’abord le consultant. C’est à celui-ci de décider s’il y a lieu de continuer les entretiens ou non.
Nicole Borie nous présente un cas pour lequel elle dit non. Et elle ajoute : « Le temps nécessaire est à prendre pour trouver la meilleure issue. » Elle nous enseigne que ne pas donner suite à une demande adressée au CPCT doit tenir compte de la modalité de parole du sujet. Elle nous transmet une façon de faire qui se construit dans les rencontres avec le consultant. Elle n’énonce pas un non, mais élabore une issue qui, vous pourrez le lire, est encore une solution singulière.
Il arrive que nous rencontrions au CPCT une personne pour qui le dispositif ne convient pas. Le temps nécessaire est à prendre pour trouver la meilleure issue.
J’ai reçu cinq fois Lina, d’origine chilienne, à raison d’un rendez-vous tous les mois, voire toutes les six semaines. Venue en France pour y devenir professeur d’espagnol, « mise au chômage » contre son gré par l’éducation nationale, Lina rumine sa rancœur. Depuis quatre ans elle ne travaille plus, et l’année de stage et de formation qui a précédé son premier poste reste une source inépuisable de reproches. L’année suivante, l’annonce d’un cancer du sein condensera son combat. La médecine lui propose une mastectomie préventive de l’autre sein. Lina n’hésite pas et « demande » cette deuxième opération. Depuis, elle n’a de cesse d’exiger que l’on reconnaisse le dommage qui lui a été fait. Elle est bénéficiaire du RSA, mais elle se déclare toujours mise au chômage par la volonté mauvaise d’un Autre.
Le conseiller de Pôle emploi l’adresse au CPCT. Lina attend qu’il lui trouve un travail à la hauteur de ses compétences. Par ailleurs, Lina n’a aucun problème. Elle vit seule, a repris la course à pied le plus vite possible après l’opération. Elle ne s’ennuie jamais, ne se plaint de rien, pas même de douleurs physiques. Elle reconnaît qu’elle ne souffre d’aucune douleur physique suite à son opération.
Le même conseiller de Pôle emploi lui propose de déposer une demande d’AAH (Allocation aux Adultes Handicapés). Lorsqu’elle arrive au CPCT, elle vient d’être déboutée de sa première demande. Lina veut obtenir la fameuse carte d’invalidité qui est, pour elle, la marque minimale de reconnaissance de ce qu’on lui a fait et lui donnerait des droits et des priorités, en particulier de ne pas attendre dans les files d’attente. Lorsque je relève l’incertitude quant à la possibilité d’obtenir l’AAH, elle me toise et, avec une extrême déférence langagière, rétorque : « Madame, dans ce cas, je ferai appel à l’avocat de mon consulat ! » Je vois son effroi de ne pas être reconnue dans ses droits.
Elle m’entretient à chacune de nos rencontres de l’avancée de son dossier. Sa deuxième demande à la MDPH (Maison départementale des Personnes Handicapées) vient de partir ; elle m’a déjà demandé de très nombreuses fois quand elle aurait, non pas la réponse, mais l’accord.
Lina a été une bonne skieuse dans son pays. Elle a sans doute choisi Lyon pour la proximité des montagnes. Il a fallu les Jeux Olympiques d’hiver pour qu’une issue soit trouvée. Ce jour-là, elle parle des Jeux Olympiques qu’elle regarde intensivement à la télévision. Je lui fais remarquer que « l’expert, c’est elle », elle est d’accord. Alors, avec douceur, je fais le parallèle avec la demande à la MDPH et l’incompétence du CPCT à l’aider dans sa démarche pour obtenir l’AAH.
Nous nous sommes quittées de façon cordiale. Rassurée d’avoir pu utiliser le CPCT, puisque c’était son droit, Lina a pu partir, non sans avoir reconnu une certaine incapacité de notre structure. Ainsi pour cette raison, le CPCT n’était pas conseillé pour Lina.
Souvent, dans les premiers entretiens, nous déboutons un « j’ai le droit » pour le remplacer par un « c’est possible ». Pour cela il faut une question, si ce n’est une demande, que le sujet accepte de prendre à sa charge. Lina n’a pas le choix, l’absence de question subjective la pousse à une modalité de parole résolument revendicative.