Freud crut pouvoir réduire la sexualité au trauma de la séduction par le père (ou, le cas échéant, son substitut), et en faire la cause de l’hystérie. Il se heurta cependant à des points de butée dans les analyses qu’il ne put mener à leur terme. Il s’étonna aussi du fait que ses patientes accusent systématiquement leur père de perversion. Il « n’existe dans l’inconscient “aucun indice de réalité” de telle sorte qu’il est impossible de distinguer l’une de l’autre la vérité et la fiction investie d’affect » [1]. Enfin, dans le cas des psychoses les plus graves, aucun souvenir de séduction ne surgit, pas même dans le délire. Prenant appui sur sa clinique, il renonça à sa neurotica, sans nier qu’il puisse parfois exister des abus réels.
Ce qui fait effraction, c’est la rencontre avec la sexualité comme hors sens. C’est cela qui est traumatique, ce n’est pas l’événement en lui-même : « Le trauma est toujours une effraction de jouissance dont l’effet traumatique est à distinguer de l’attentat qui le produit » [2].
Freud découvrit la structure de l’après-coup [3]. C’est « par un effet rétroactif que la rencontre du premier trauma produit ses effets » [4]. Dans un second temps, au moment de la puberté, l’événement peut être interprété comme sexuel. Le symptôme sera une réponse à ces deux temps intriqués. Le cas d’Emma [5] en est l’exemple parfait : « Les mêmes signifiants se répètent entre les deux scènes, mais à l’origine du symptôme provoqué par la seconde se trouve la jouissance obscure liée à la première ». [6]
Je me suis alors rappelée cette phrase de Serge Cottet : « il ne peut pas y avoir de trauma s’il n’y a pas d’expérience de satisfaction. » [7] Cette assertion freudienne, scandaleuse en son temps, l’est toujours aujourd’hui.
Comment la lire avec l’attentat sexuel ? L’abus de l’Autre peut être causé par une sexualité forcée comme lors d’un viol ou d’un inceste, mais aussi « par un événement minuscule, par exemple la caresse anodine d’un père dans le cou de sa fille qui aura provoqué chez celle-ci un frisson aux conséquences sismiques durables. Premier frisson de jouissance sexuelle qui en fait un trauma » [8]. Dans ces deux cas de figure, très différents l’un de l’autre, il y a un réel en jeu, un réel de la jouissance des corps. Une excitation sexuelle peut alors surprendre le sujet entraînant honte et culpabilité. Il peut mettre du temps à parler dans son analyse de ce moment où il a éprouvé une jouissance sexuelle qui l’a surpris. Comment dire cet indicible ?
Une jeune fille arrive en colère à sa séance. Sa mère a trouvé sa tenue inconvenante et l’aurait comparée à une pute. L’adolescente est affectée par ces mots blessants, sexualisés. Elle en parle et en reparle. C’est autre chose qui va surgir et qu’elle évoque cette-fois-ci avec gêne. Une scène avec son père, lorsqu’elle était enfant, qui pourrait paraître insignifiante si ce n’est justement l’éprouvé d’un premier émoi érotique. Quelle-est alors la part du fantasme s’il est aussi réel que le trauma [9] ?
[1] Freud S., « Lettre n°69 du 21 septembre 1897 à Wilhelm Fliess », La Naissance de la psychanalyse, Paris, PUF, 1956, p. 191.)
[2] Bosquin-Caroz P., « Un rire qui dénude », DESaCORPS, n°13, 14 juillet 2020, publication en ligne (www.attentatsexuel.com).
[3] Freud S., « Lettre n°75 du 14 novembre 1897 à Wilhelm Fliess », La Naissance de la psychanalyse, op. cit., p. 206.
[4] Stevens A., « Un enfant a-t-il une biographie ? », in Roy D., Zuliani É. (s/dir.), Le Savoir de l’enfant, Paris, Navarin, 2013, p. 182.
[5] Freud S., « Esquisse d’une psychologie scientifique », La Naissance de la psychanalyse, op. cit., p. 363-366.
[6] Stevens A., « Un enfant a-t-il une biographie ? », op. cit.
[7] Cottet S., « Freud et l’actualité du trauma », entretien, La Cause du désir, n°86, mars 2014, p. 30.
[8] Chiriaco S., « Ce qui se dit », DESaCORPS, n°14, 17 juillet 2020, publication en ligne (www.attentatsexuel.com).
[9] Cf. La Sagna Ph., « Trauma et après-coup », DESaCORPS, n°3, 9 juin 2020, publication en ligne (www.attentatsexuel.com).