
éditorial : Attentat à la pudeur
Lacan démontre que « la Chose freudienne […] a pour propriété d’être asexuée » [1]. Toute la motivation de l’acte ne s’explique pas, ne se résorbe pas dans le sexuel : « il n’y a pas d’acte sexuel, poursuit-il, au sens où cet acte serait celui d’un juste rapport, et, inversement, […] il n’y a que l’acte sexuel, au sens où il n’y a que l’acte pour faire le rapport » [2]. Seul moyen donc, mais pas suffisant, car il faudra toujours recommencer, ou alors, choisir l’abstinence.
Il n’y a que ça est la formule où se démontre que la vérité du rapport serait dans l’acte sexuel. Chaque sujet cherche son réglage particulier pour répondre à cette dimension propre à la jouissance sexuelle qui comporte, de structure, un inabouti : la « psychanalyse nous révèle que la dimension propre de l’acte – de l’acte sexuel en tout cas, mais du même coup de tous les actes […] –, c’est l’échec. C’est pour cette raison qu’au cœur du rapport sexuel, il y a dans la psychanalyse ce qui s’appelle la castration » [3].
L’amour et ses fictions, la séduction et le consentement, les fantasmes, sont autant de tentatives sublimatoires qui tournent autour du vide central de la Chose pour faire avec l’impossible rapport. L’attentat sexuel, lui, nie cet impossible. Et son auteur tend souvent à faire de l’autre un agent provocateur.
Les polémiques actuelles sur la tenue des jeunes filles dans les établissements scolaires illustrent, encore une fois, que c’est le féminin qui, par excellence, attenterait à la pudeur : « En vérité, dit Jacques-Alain Miller, sous toutes les latitudes, la jouissance féminine, on ne sait pas où la fourrer. Explicitement ou non, on la met toujours sous burqa. » [4] Aujourd’hui, ce n’est plus tant l’uniforme qui y répond qu’un faisceau de normes [5]. Le débat sur le bout d’étoffe qui bat son plein dans les foyers, que celui-ci soit plus ou moins court, trop ceci ou trop cela, indique plutôt le manque du signifiant adéquat pour dire La femme.
Dans ce jeu de regards, deux logiques se dégagent : l’une qui est de ceux qui protestent contre leur pudeur offensée (ou « déconcentrée »…), en refusant de se faire responsable de leur propre jouissance scopique ; l’autre qui relève de celles qui « ne voient pas le problème à s’habiller comme elles le souhaitent et estiment que ce sont les autres qui sexualisent, par leur regard » [6], éludant qu’elles peuvent secrètement viser « l’émotion de l’Autre au-delà de sa pudeur » [7] (et, puisque c’est secret, pourquoi vouloir les démasquer ?). Or, « Vivre en société, c’est être vu, ajoute J.-A. Miller. Le monde visible est toujours un monde potentiellement voyeur » [8].
Vous trouverez dans ce numéro le second volet que L’Hebdo-blog, Nouvelle série consacre à la préparation des 50e journées de l’ECF sur « Attentat sexuel » [9].
[1] Lacan J., Le Séminaire, livre XVI, D’un Autre à l’autre, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2006, p. 346.
[2] Ibid.
[3] Ibid.
[4] Miller J.-A., « Porter la burqa, c’est tuer symboliquement l’homme, c’est incarner sa castration », entretien, Le Point, 4 février 2010.
[5] Battaglia M., « Tenues au lycée : quand le ‘‘crop top’’ s’invite à la table des discussions familiales », Le Monde, 29 septembre 2020, disponible sur internet.
[6] Ibid.
[7] Lacan J., Le Séminaire, livre VI, Le Désir et son interprétation, texte établi par J.-A. Miller, Paris, La Martinière/Le Champ freudien éd., 2013, p. 500 ; et cf. p. 495 sur la « pulsion scoptophilique ».
[8] Miller J.-A., « Porter la burqa… », op. cit.
[9] « Attentat sexuel », 50e journées de l’École de la Cause freudienne, Paris, Palais des Congrès, 14 et 15 novembre 2020, inscriptions et informations sur www.attentatsexuel.com
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