Le thème proposé par Jacques-Alain Miller pour le prochain congrès de l’AMP à Rio nous invite à expliciter un oxymore issu du dernier enseignement de Lacan : oui, la notion de « corps parlant » est un véritable « mystère[1] » que Jean-Luc Monnier, dans sa conférence du samedi 5 décembre à Marseille à l’invitation de l’ACF MAP, contribue à percer pour nous.
Pour Freud, deux axes de recherche ont toujours coexisté : l’un portant sur le fonctionnement de l’inconscient « structuré comme un langage » et l’autre fondé sur la découverte des pulsions, le déchiffrage des symptômes se cognant très vite à la fixité libidinale.
Jean-Luc Monnier nous fit entendre la déconvenue des « premiers analystes [qui,] à la suite de Freud, interprétaient à tour de bras » après l’enthousiasme devant « les symptômes [qui] s’évanouissaient, littéralement[2] ». Vers la fin de son œuvre, Freud faisait état de « restes[3] » symptomatiques, de « manifestations résiduelles[4] » – autre nom du réel du symptôme – dont l’analyse ne peut venir à bout.
Lacan, parti lui aussi des pouvoirs de la parole, radicalise la première topique freudienne, là où les post-freudiens s’égaraient à partir de la seconde. Il commence par penser la pulsion en termes signifiants, à partir de la demande de l’analysant. D’où son (étonnant) mathème de la pulsion : $ <> D[5]. Ainsi, le ça freudien se met à parler… avec pour conséquence la guérison sans reste du symptôme[6]. Plus fort que Freud, souligne Jean-Luc Monnier !
Las ! Lacan en revient rapidement, face au même reste indéchiffrable de la pulsion, irréductible au sens sexuel. Le concept de l’objet a lui permet d’énoncer qu’une part de cette jouissance rebelle est significantisable, ce qu’il traduit d’abord par la formule du fantasme : $ <> a, puis généralise dans Le Séminaire, livre XVII, où a est l’un des éléments qui structure chacun des quatre discours.
Ceci permet de rendre compte de la répétition symptomatique par le pousse-à-jouir que constitue le rapport de chacun à l’objet. Reste la jouissance dite « opaque », appelée aussi « réel sans loi » – à entendre comme sans loi symbolique.
Jean-Luc Monnier parle d’un « glissement […] vers le corps[7] ». En effet, le dernier enseignement de Lacan nous invite à considérer cette jouissance comme celle du corps vivant, dont « nous […] savons […] seulement ceci, qu’un corps cela se jouit[8] » – ce en quoi elle s’apparente à la jouissance féminine qui s’éprouve mais ne se dit pas[9].
Mais alors… Comment opérer ?
Avançons encore. Jacques-Alain Miller nous propose une nouvelle articulation du corps et du signifiant[10]. Il met en évidence une opération, à l’envers de la significantisation, qu’il nomme corporisation. Le signifiant y percute le corps, y fait trace et du même coup, en fait sourdre la jouissance et l’affecte. Le corps devient surface sur laquelle la jouissance s’écrit. Dès lors, l’opération analytique ne vise plus le déchiffrage, mais la lecture de la lettre du symptôme.
Place à une nouvelle clinique !
[1] Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, Paris, Seuil, 1975, p. 118.
[2] Monnier J.-L., « Symptôme et fantasme à l’heure du corps parlant », conférence prononcée dans le cadre des grandes conférences de l’ACF MAP, 5 décembre 2015, inédit.
[3] Freud S., « L’analyse avec fin et l’analyse sans fin », Résultats, idées, problèmes, tome II, Paris, PUF, p. 244.
[4] Ibid., p. 243.
[5] Lacan J., « Subversion du sujet et dialectique du désir dans l’inconscient freudien », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 817.
[6] Lacan J., « Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse », Écrits, op. cit., p. 269 : « il est déjà tout à fait clair que le symptôme se résout tout entier dans une analyse de langage ».
[7]Monnier J.-L., « Symptôme et fantasme à l’heure du corps parlant », loc. cit.
[8] Lacan, Jacques, Le Séminaire, livre XX, Encore, op. cit., p.26.
[9] Ibid., p. 69.
[10] Miller, Jacques-Alain, « Biologie lacanienne et événement de corps », La Cause freudienne, n° 44, Événements de corps, février 2000.