Dans la troisième partie du Séminaire XII nommée par Jacques-Alain Miller « Le sujet, le savoir, le sexe », Lacan s’emploie à articuler ces trois éléments, tout en soulignant leur hétérogénéité. C’est par le symptôme qu’il trouve finalement à les nouer : « La division du sujet et du symptôme, c’est l’incarnation de ce niveau où la vérité reprend ses droits, et sous la forme de ce réel non su, de ce réel à exhaustion impossible, qui est le réel du sexe.[1] » Essayons de cerner ici ce que recouvre cette formule.
Le savoir et le Je
Si le sujet est défini comme représenté par un signifiant pour un autre signifiant, Lacan souligne dans ce Séminaire que le sujet de l’inconscient est également ce qui manque au savoir. Celui-ci se situe au niveau du Je ne de la phrase Je ne savais pas, prononcée par l’analysant à l’issue de la séance, au moment où ce qui jusque-là restait énigmatique s’éclaire. Le Je qui ne savait pas ça n’est déjà plus. Il est aussi évanescent que le savoir inconscient. Celui-ci, si lumineux qu’il soit lors de son jaillissement au cours d’une séance, apparaît vite dans son impossibilité, d’une part à dire le sujet et d’autre part à faire cesser le symptôme. Ce n’est toujours pas ça. Il y a encore un Je qui continue à ne pas savoir. Et pour cause, Lacan avance qu’il y a dans le savoir un signifiant forclos. Aucun signifiant ne peut dire le réel du sexe, qui est « à exhaustion impossible ». C’est pourquoi le sujet bricole un symptôme : « Disons plus précisément que c’est sa vérité qu’il change en objet a, chaque fois qu’il la trouve en ce point d’où part l’incidence de l’être sexué[2] ».
Un symptôme de Dora
Évoquons Dora, qui présente depuis l’enfance une toux intermittente se faisant à nouveau entendre lorsque Freud la reçoit. Dans ses associations, elle qualifie son père de fortuné, Vermögen en allemand, ce qui signifie puissance sexuelle. Freud y entend une dénégation. Dora pense inconsciemment son père impuissant. Une lecture du symptôme s’en déduit. La toux mime la relation sexuelle que Dora impute à son père et Mme K. Un rapport génito-buccal qui peut donc avoir lieu malgré l’impuissance supposée du père. La jeune fille rétablit donc la puissance paternelle, tout en faisant exister son infirmité sexuelle, infirmité qu’elle fantasme. C’est une version du rapport sexuel où sont convoqués objet voix et objet oral. C’est une élucubration qui vient à la place du savoir forclos sur le réel du sexe.
Dans sa petite enfance, Dora est saisie par l’écoute du souffle court de son père, tuberculeux, à travers le mur de sa chambre à coucher mitoyenne de celle de ses parents, souffle lié à un coït. Ce bruit laisse sa marque sur son corps, comme un trognon à partir de quoi s’élabore un bricolage recouvrant le trou forclusif sur le réel du sexe qui concerne chaque sujet.
Laura Vigué
[1] Lacan J., Le Séminaire, livre XII, Problèmes cruciaux pour la psychanalyse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil & Le Champ freudien, 2025, p. 315-316.
[2] Ibid., p. 317.