Sortir d’une salle de cinéma et se précipiter pour tenter de coucher sur le papier ce qui, dans ce film-là, est venu attraper le regard et percuter le corps. Parcourir un livre et s’arrêter sur un paragraphe, le relire plusieurs fois, puis s’en tenir à le recopier, comme pour attraper ce qui n’arrive pas à se dire autrement qu’en se répétant. Découvrir un auteur et essayer d’ordonner les mouvements de sa pensée, comme pour reconstruire ce qui, si l’on rebrousse chemin, est venu titiller l’intime…
Cette semaine, Hebdo blog recueille des textes qui témoignent de ce qui a fait rencontre avec une oeuvre cinématographique ou littéraire. Et faire une rencontre ne se traduit-il pas tout d’abord par le temps de l’étonnement que suscite la surprise ? Toujours « drôle » en un sens parce que de biais, inattendue. Avec le second temps advient le temps de l’élaboration pour tenter d’attraper, justement, ce que l’on ne peut comprendre mais qui est venu nous accrocher.
Ce qui ne peut être contenu dans la compréhension n’est-ce pas ça, ce trait de poésie, tapi dans les oeuvres d’art comme dans une psychanalyse ? Ce noyau qui attire, accroche, fait parler, écrire, et d’où peuvent découler quelques jaillissements, fruits d’un effort, sans ce soucier « de l’exactitude, de la conformité de ce que je dis ou de ce que je veux transmettre »1.
Jacques-Alain Miller, dans son cours « Un effort de poésie », dont nous retranscrivons un extrait cette semaine, nous enseigne en quoi « la psychanalyse a partie liée avec la poésie ».
Si l’oeuvre d’art recèle en elle une poésie, c’est en tant qu’elle résulte d’un acte créatif. Il y a une fin palpable, visible. Mais la psychanalyse, elle, est cet effort sans cesse renouvelé, cet acte qui n’en finit pas de donner forme à la matière. Cette narration qui se tisse à chaque séance, c’est faire de sa vie « une épopée » nous dit J.-A. Miller dans son cours. Si l’épopée est un vaste récit qui emporte dans son sillon personnages et événements, alors notre regard sur le monde qui nous entoure peut s’en trouver, pour un temps, modifié. Or, nous dit-il, « réenchanter le monde, n’est-ce pas ce qui s’accomplit dans chaque séance de psychanalyse ? »
1Miller J.-A. « Un effort de poésie », 26 mars 2003, http://www.causefreudienne.net/un-effort-de-poesie/.