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Nouvelle Série, L'Hebdo-Blog 196

Donner sa parole

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Un mot se détache du conte Le Joueur de flûte de Hamelin [1], dont le sens a filé hors de la langue d’usage vers la désuétude. Un mot de la langue qui intrigue : lésinerie.
Hamelin était envahi par les rats et un petit joueur de flûte avait promis d’en débarrasser le village contre mille pièces d’or. Une fois sa mission accomplie, venu chercher son dû, il se heurte au refus du maire et ses concitoyens. Il leur dit alors : « Vous regretterez votre lésinerie ». Et au son de sa flûte, il entraîne derrière lui, avec la même facilité qu’il le fit pour les rats, les enfants du village à leur perte.
La lésinerie du maire et ses concitoyens sacrifie au sortilège les enfants du village.

Au début de son film Disneyland, mon vieux pays natal [2], Arnaud des Pallières évoque ce conte. Il est en route vers Disneyland où affluent les enfants, pris par ces objets en toc que le capitalisme de l’entertainment produit sans fin. Un lieu d’oubli et de promesses de sensations fortes sur les machines foraines, de rencontre de personnages de fiction en vrai, un lieu où se laisser happer – avec un horaire de sortie certain.
Un parc d’attraction.

Dans ce parc, l’autorisation de tournage demandée par le réalisateur avait été assortie d’une interdiction de prise de son directe. L’image, oui mais ni les rires ni les voix.
Accompagnées d’une voix off et dépouillées du son live, les images du film décillent : elles donnent à voir avec bien plus d’acuité des scènes dont on se demande si elles sont de liesse ou de terreur. L’inquiétante étrangeté surgit.

C’est bien cela que le conte des frères Grimm dévoile, et qui peut s’étendre à d’autres objets de capture contemporains : l’enchantement des plaisirs rêvés, la promesse d’être comblé sans fin, peuvent mener à la noyade, à la disparition. Ne pouvoir s’arracher à ce par quoi on est happé effrite la frontière entre la vie et la mort. Une autre question s’y dessine en filigrane : comment trouver l’interrupteur dans l’obscurité de la pulsion quand l’engagement de parole fait défaut ?

Là est la lésinerie. Le pivot du conte. Nom de l’avarice, du vouloir jouir d’un bien pour soi sans limite. De ne consentir à aucune cession de jouissance, le maire et les villageois manquent à leur parole et précipitent la nouvelle génération à la catastrophe.

C’est dire la puissance de la parole, et la profondeur de la nuit qui se referme sur qui la trahit. C’est là que la boussole de la psychanalyse opère, y faisant bord de l’éthique du bien-dire et de ses conséquences formulées par Lacan.

Lors d’une conversation dans un collège [3] où il fut question de la divulgation d’un secret sur les réseaux sociaux, un jeune garçon nous a demandé : « quand on donne sa parole c’est à quelqu’un ou on la donne de toute façon ? ». Sur ce point, notre engagement, avec la psychanalyse, est de ne pas lésiner.

[1] Grimm J. & Grimm W., Le Joueur de flûte de Hamelin, 1816.

[2] Pallières (des) A., Disneyland. Mon vieux pays natal, film documentaire, France, 2001.

[3] L’association ParADOxes intervient dans certaines classes du nord-est de Paris.

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