Violence à l’école, phobie scolaire, déficit d’attention, tels sont les signifiants qui font l’actualité. Face à ce malaise, le corps enseignant cherche des solutions entre amas de protocoles, flux de directives des experts en santé et orientation vers les CMP saturés. Parfois, il est attiré par les sirènes de l’idéologie du tout neuro, mû par une véritable fascination pour un dressage aux allures scientifiques. Que dit la psychanalyse de ce malaise inéluctable de l’inéducable ?
D’entrée, la psychanalyse révèle comment l’inconscient est ce qui échauffe, échoue, échappe. L’éducation comporte alors aussi ratage, manque et désir. Si Freud indique qu’éduquer est un des métiers impossibles, il donne une orientation : l’école doit procurer l’envie de vivre. L’inventeur de la psychanalyse dépistant la curiosité infantile, véritable soif de savoir sur l’énigme du sexuel, nomme « pulsion épistémophilique », la pulsion du ça-voir qui travaille avec l’énergie du plaisir scopique.
Enfant inéducable ?
Lors de la période de latence s’édifient des forces psychiques telles des digues qui vont resserrer le cours de la pulsion sexuelle. Pudeur, dégoût, esthétique et morale font barrière à la pulsion. Via une éducation scolaire et la transmission de codes sociaux, la visée est l’éducation de la pulsion. Mais dès 1905, Freud explique que « de temps à autre, on assiste à la percée d’un fragment de manifestation sexuelle […], l’activité sexuelle rend l’enfant inéducable2 ».
Acéphale, la pulsion trace son chemin, loin des programmes autoritaires d’éducation thérapeutique. Irrémédiablement hors-norme, elle est rebelle aux discours du tout éducatif. Qu’en est-il aujourd’hui de l’inéducable, cet impossible qui se manifeste parfois bruyamment face à la volonté d’éduquer, de conduire voir de dresser ?
L’auto-éducation, impasse contemporaine
Le courant de l’éducation positive prône une auto-discipline basée sur les émotions. L’auto-évaluation du bien-être devient l’outil du dressage du petit d’homme. Dès la maternelle, le bambin doit colorier chaque jour un petit animal en rouge ou orange ou vert selon le comportement qu’il estime avoir eu.
Ces pratiques de « gestion des émotions » et cet apprentissage du « savoir vivre ensemble » laissent place à de nouveaux principes : autonomie et égalité absolue. L’adulte est pensé comme dominateur, potentiellement traumatique pour l’enfant qui doit s’autodéterminer dans la vie quotidienne. C’est la suprématie de l’individu autonome. Le résultat de cette supposée liberté est une grande solitude. La valeur de l’égalité entre l’adulte et l’enfant est poussée à son paroxysme, effaçant toute différence structurante.
Une des conséquences en est l’absence de transmission, considérée comme inutile. Éduquer devient hors-sens. Sans recours à l’Autre, le sujet porte seul l’inéducable de la pulsion. L’enfant est considéré alors comme un Un-tout-seul. Or, le pari de l’éducation se loge dans la rencontre et la demande car le savoir est à prendre chez l’Autre.
La psychanalyse propose d’en savoir un peu plus sur ce qui de la pulsion le déborde, d’adresser à un Autre le trop de jouissance qui envahit le parlêtre et de tenter d’en extraire un point. Pour cerner l’inéducable qui, lui, est singulier, il s’agira pour le sujet de se laisser dresser par le signifiant et le dire vrai.
Valérie Bussières
[1] Cf. Pour rappel, les 47es Journées de l’École de la Cause Freudienne avaient pour titre : « Apprendre – désir ou dressage »
[2] Freud S., Trois essais sur la théorie sexuelle, Paris, Gallimard, 1987, p. 101-102.
