La psychanalyse inscrit ce qui relève du psychique dans une réalité, mais sans lui attribuer de substance. Cette croyance d’un inconscient affranchi d’une localisation – si complexe serait-elle – est nécessaire à son existence.

Sans cette boussole, les tenants d’un appareil différencié dans le cerveau s’égarent dans les méandres de la psychologisation, tandis qu’au loin, les explorateurs des fonctions cérébrales fondent leurs tentatives de donner corps à la réalité psychique en lui attribuant une substance, identifiée à celle d’un ordinateur. On trouve depuis peu à la pointe de cette position l’innovation technologique des « implants neuronaux ». L’objectif de faire communiquer directement cerveau et ordinateurs découle naturellement de ce fantasme (ou de ce qui en fait fonction) de l’homme-machine.

La psychanalyse propose un autre paradigme, une expérience de parole qui contient en elle-même quelque chose en plus que la structure du langage, sachant que le signifiant a aussi « une incidence de jouissance sur le corps, ce que Lacan appelle symptôme » ^[1].

Pourquoi donc Lacan introduit-il le terme de substance jouissante, dans le Séminaire Encore ? Pour passer fermement à l’envers de ses positions initiales – disons, pour faire vite, « structuraliste » – à propos de la pulsion. Il souligne dans ce moment tournant de son enseignement que « nous ne savons pas ce que c’est que d’être vivant sinon seulement ceci, qu’un corps cela se jouit », ajoutant ce qui signe son franchissement : « Cela ne se jouit que de le corporiser de façon signifiante. » ^[2]

Dans la dernière année de son cours, « L’Un tout seul », Jacques-Alain Miller rassemble et clarifie les avancées de ce dernier enseignement de Lacan sur ce point. « Dire qu’il y a une substance signifiante, dire qu’il y a de l’Un – et cet Un on ne peut pas le déduire, il est premier, il arrive au monde avec le langage – oblige à en faire comme une substance. Substance veut dire ici : pas de genèse ». Il a donc « dégagé comme un dualisme de la substance : la substance signifiante et la substance jouissante », cette dernière étant celle d’« un corps qui jouit de lui-même » ^[3].

C’est autour de cet axe que va graviter la nouvelle économie de la jouissance ^[4]. Cette autre distribution du signifiant, de la parole et du langage amène Lacan à souligner la valeur foncière de lalangue, où « le langage lui-même est fait appareil de jouissance » ^[5], avec la matière sonore qui excède le sens, et son impact réel sur le corps. Finalisons ce renversement avec J-A Miller : « le concept du corps parlant […] rappelle que les chaines signifiantes […] sont branchées sur le corps et qu’elles sont faites de substance jouissante […] le corps parlant […] est comme tel substance jouissante. » ^[6].

Jean-Marc Josson propose une lecture des addictions à partir de leur fonction, tandis que dans un style vivifiant, Pierre Sidon traite de « l’infini de la production, au principe du capitalisme, [qui] reste dénombrable comme le Un de l’addiction. » La suite – passionnante – est à découvrir dans son texte…

Philippe Giovanelli

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^[1] Miller J.-A., L’Os d’une cure, Paris, Navarin, 2018, p. 66.

^[2] Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1975, p. 26.

^[3] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. L’Un tout seul », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, cours du 23 mars 2011, inédit.

^[4] Cf. Miller J.-A., « L’économie de la jouissance », La Cause freudienne, n° 77, mars 2011, p. 135-174, disponible sur internet : https://www.cairn.info/revue-la-cause-freudienne-2011-1-page-135.htm

^[5] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Choses de finesse », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, cours du 10 juin 2009, inédit.

^[6] Miller J.-A., « L’inconscient et le corps parlant », La Cause du désir, n° 88, novembre 2014. p. 112-113.