CHRONIQUE DU MALAISE : De quel réel parlons-nous ?

 

Le 14 septembre dernier, l’Agence France Presse rapportait les propos de Tedros Adhanom Ghebreyesus, selon qui on voyait désormais la fin de l’épidémie de Covid-19. Le directeur général de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), qui, dans un atermoiement délicieusement diplomatique, n’avait pas vraiment annoncé le début de l’épidémie, a aussi administré une parabole sportive : « Quelqu’un qui court un marathon ne s’arrête pas quand il aperçoit la ligne d’arrivée. Il court plus vite, avec toute l’énergie qui lui reste. Et nous aussi. Nous pouvons tous voir la ligne d’arrivée, nous sommes en passe de gagner mais ce serait vraiment le plus mauvais moment de s’arrêter de courir » [1].

Ces propos étonnent. Le virus ne veut rien, il se moque de la performance. Sans hôte, il est inerte. Si les conditions sont réunies (température, hydrométrie, pression, distance, charge virale ou d’autres encore que l’on ne connaît pas), le virus se réplique, certaines mutations sont favorisées, et ainsi de suite.

Or, selon les termes de M. Ghebreyesus, il faut comprendre que le virus court aussi, voire est susceptible de nous sauter au visage pendant que nous courons pour fuir. Cette idée essentialise le virus et, par le truchement de la ligne d’arrivée, fait consister une barrière. En clair, M. Ghebreyesus s’en tient à produire du symbolique à foison comme il fabriquerait une imploration divine pour venir à bout du virus. La ligne d’arrivée, c’est l’endroit où la butée logique du symbolique se disloquera comme le coureur arrache la petite ficelle lorsqu’il la franchit. Face à un tel arrangement et surtout une telle dislocation, Lacan prévient : « C’est de là que le réel surgit » [2]

M. Ghebreyesus ne fait sciemment pas référence à la science du virus, il en reste à l’étage de la personnification qui élude précisément le surgissement d’un réel. Il promeut une menace à laquelle il s’agit d’échapper comme on contournerait une tempête sur l’océan. Le virus présente un comportement de prédateur auquel doit répondre l’intention comportementale des populations sur lesquelles il s’abat. Attraper le virus, tomber malade devient une malédiction. Le symbolique ne vise pas la compréhension d’un mécanisme viral mais la description de ladite malédiction. Contrôler les désastres du virus revient à contrôler les usages sociaux des populations. Être touché par le Covid est la conséquence d’un trop grand relâchement. C’est le tour spectaculaire que le régime chinois a opéré : inculquer qu’un malade est une nuisance qui colporte le mal par faute d’une jouissance inadaptée au virus. Donc, on vous calfeutre ; cette finalité qui vise d’avoir le virus à l’usure justifie n’importe quel moyen.

Mais il y a pire. Soit on discute ARN messager, soit on discute scellés sur la porte, enfermement H24, et l’on collationne non plus un savoir sur le virus mais un savoir sur les conditions de sa transmission. Or, les conditions de sa transmission, c’est qu’il suffira toujours qu’un cœur batte quelque part sur terre pour qu’il y ait du virus. 

De l’animal à l’humain et retour.

La stratégie dite du « 0 Covid » qui n’est plus pratiquée qu’en Chine vise à faire d’une population l’obstacle de son régime politique, la veille du renouvellement du mandat de Xi Jinping. On n’échappe au virus qu’à la condition de ne pas échapper à Xi Jinping. La science de l’ARN ou la science du fichage statistique : la course est lancée. L’OMS s’est rangée en dehors de la biologie du virus pour privilégier la menace que fait peser l’humanité sur l’humanité. Le virus agit comme le ferment d’une gestion des populations. Le fichage contemporain, qui a débuté en Syrie, se poursuit à Pékin dont la population globale vieillit à force de compter toute la journée. Le Covid était le cadeau parfait pour accélérer le mouvement. Conséquence : de quel réel parlons-nous ?

Luc Garcia

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[1] Le Monde, 14 septembre 2022, https://www.lemonde.fr/planete/article/2022/09/14/covid-19-la-fin-de-la-pandemie-est-a-portee-de-main-pour-le-chef-de-l-oms_6141625_3244.html

[2] Lacan J., Le Séminaire, livre XVII, L’Envers de la psychanalyse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1991, p. 143.