Lorsque je rencontre Tania, deux ans auparavant, elle est âgée de 10 ans et demi et son père vient de se suicider. Tania raconte que depuis plusieurs mois le couple parental ne s’entendait plus. Aux vacances estivales, la mère part au Mali avec sa fille pour rejoindre un ami. Sur place, la fillette observe sa mère en présence de cet homme, et « elle comprend ». Au retour, madame annonce à son mari qu’elle veut le quitter. Il se suicidera peu après. Quand Tania veut interroger sa mère sur le lien qu’elle entretient avec cet homme, celle-ci n’aura de cesse de répéter « ça ne te regarde pas ». La fillette décide donc de trouver des réponses en cachette, dans le téléphone de sa mère. Elle énoncera en séance « j’ai peur de ma curiosité ».
Tania évoque des moments d’angoisse. « Ça arrive à l’école, quand je dois faire la roue ou parler devant tout le monde, quand les autres me regardent ». L’analyste interroge : « quand ça te regarde ? » Tania est saisie. Coupure. La semaine suivante, elle amène un rêve : sa prof de dessin l’enferme toute nue dans une boite transparente, sur le pont des Arts. Impossible de se cacher. Tout le monde la regarde. « Il y en a même qui prenaient des photos ! » Les trois temps de la pulsion se dévoilent, voir-être vue-se faire voir. « Photographiée comme une œuvre d’art ! » s’exclame l’analyste. Elle rit. Coupure. Tania dévoile un autre point d’angoisse qui apparaît quand elle est avec le compagnon, devenu cette fois-ci officiel, de sa mère. « Il m’énerve ! De toutes façons, je ne veux pas l’aimer ! » « Drôle de formule… » avance l’analyste. Alors Tania confie que quand sa mère et elles devaient partir au Mali pour aller visiter cet ami, le père lui avait strictement interdit de lui parler. Elle évoque également les croyances de sa famille : « quand quelqu’un meurt, il va au ciel et nous voit de là-haut, il veille sur nous ». Elle ajoute : « des fois, je me sens observée. (Silence). Comme si mon père me surveillait ». Une question émerge chez l’analyste : y a-t-il lieu de soulager Tania du poids de cette croyance ou peut-elle être un point d’appui elle ? L’analyste choisit de faire silence sur cet aveu, laissant ce jeune sujet interroger lui-même ce point. Tania témoigne de son embarras à l’égard du compagnon de sa mère, partagée entre le plaisir qu’elle éprouve dans les moments de complicité qu’elle partage avec lui, et sa culpabilité. Elle avoue son agacement à l’encontre de sa mère repérant son attitude de séduction quand il est présent. Alors qu’il séjourne chez elles, l’angoisse surgit de nouveau et se présente sous la forme d’un « comme si on me regardait ». Sans savoir pourquoi, Tania a le sentiment que la présence de cet homme « a quelque chose à voir dans son angoisse ». Cette période correspond aussi à la date d’anniversaire de son père. « Quelque chose à voir ou à savoir ? » interroge l’analyste. À la séance suivante, elle amène un rêve : sa mère lui marche sur le pied. Elle lui demande d’arrêter mais elle ne l’entend pas. Tania la pousse pour dégager son pied. Sa mère entre dans une colère folle et veut l’étrangler, l’insulte, la traite de « pute ». Tania s’enfuit et téléphone au compagnon de sa mère. Elle entend sa mère crier « jalouse ! ». « Jalouse » reprend l’analyste. Alors Tania confie qu’elle commence à aimer cet homme mais qu’elle est freinée par l’interdit du père. À partir de son « je ne sais pas comment faire », l’analyste soutient le savoir plutôt que le voir. Tania conclut : « Oui, il faut que je sache comment j’ai le droit de l’aimer ».