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Ce qu’écrire fait cesser

Par Mathieu Siriot
21 avril 2018
Ce qu’écrire fait cesser
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Michel, âgé de 74 ans, vient à Intervalle-Cap[1] tous les week-ends, depuis plus de dix ans. Il y relate plusieurs accidents de la route où son corps a été violenté, percuté. De ces accidents, il peut dire qu’ils sont à l’origine de ses ennuis tout en étant suffisamment perplexe sur ce qui s’est véritablement passé. Chaque collision a une valeur d’événement pour lui. Nous pouvons citer comme exemples l’accident de scooter lorsqu’il était étudiant à Maths Sup, qui a entrainé l’arrêt complet de ses études, ou son accident en 2003 à vélo, qui a provoqué son internement. À cette perplexité s’adjoint quasi systématiquement un responsable, un fautif à la violence, au choc subi par son corps. Son frère aîné revient abondamment : Michel ne cesse de parler de la violence quotidienne que son frère lui infligeait lorsqu’ils étaient enfants. Il voyait son aîné le violenter verbalement ou sexuellement, en se masturbant contre lui. Plus il manifestait de la douleur et plus cela excitait son frère. Cette violence « qu[‘il] ne [comprenait] pas enfant », Michel explique dès les premiers entretiens qu’elle découle de « l’éveil sexuel, de l’éveil de la jouissance sexuelle de [son] frère ».

Ce qui a donc fait effraction chez cet homme durant son enfance, c’est avant tout le sexuel, la violence de son propre éveil du sexuel. Cette jouissance du côté du corps, ce « réel [qui] cogne »[2] comme dit Lacan, insiste de manière itérative dans les différents accidents. C’est la même violence que Michel veut faire reconnaître à tout prix par les autorités avant de pouvoir retourner dans son appartement, dorénavant vide, qui a été occupé par des trafiquants de drogue liés à la police et au terrorisme, et dans lequel il a été séquestré en 2002, soit un an avant l’accident à vélo qui a provoqué son hospitalisation. La réponse qui s’est faite autour de ce réel, et qui se répète inlassablement chez cet homme, c’est que c’est l’Autre qui le violente, le fait taire, l’agresse, jouit de lui. Michel n’a de cesse de revenir sur cette jouissance sexuelle de l’enfance lorsqu’il se retrouve confronté à la jouissance de l’Autre au sein de différentes associations et multiples groupes de travail qui militent pour la défense et la reconnaissance des droits des personnes les plus vulnérables, et auxquels il dédie bénévolement tout son temps. Michel peut dire à certains entretiens vouloir « faire reconnaître quelque chose qui n’arrive pas », et ce depuis l’enfance, « à s’exprimer, à se faire entendre ».

Michel s’adresse en 2007 à Intervalle-Cap car il ne comprend pas pourquoi les policiers refusent de constater la fracturation et la dégradation de son appartement, le classement sans suite de sa plainte et la fermeture de son dossier, et pourquoi il a été interné, étiqueté comme « fou » et traité comme du bétail par les infirmiers. Cela amène Michel, au travers de diverses lettres, à se battre pour faire entendre et reconnaitre auprès des autorités qu’il n’est pas fou, qu’il a bien subi le préjudice dont il se dit victime. Ses lettres, comme toute production écrite, occupent une place prépondérante dans les entretiens, et jusqu’à aujourd’hui. Il les lit, les commente, les corrige, reformule certaines phrases, s’interroge sur la polysémie.

Michel va de plus en plus s’attarder sur son rapport à la parole, à la langue, et ce, suite aux différentes interventions des accueillants, qui isolaient tout dire intime en disant par exemple : « Ça, c’est très important !», ou « Ça, c’est à écrire ! », lui suggérant parfois de prendre la plume dès l’entretien terminé. Premier changement notable dans la cure. La non-reconnaissance par les autorités de ce qu’il a subi et surtout la répétition des séances à Intervalle-Cap vont l’amener à entendre et à nous faire entendre que si sa parole n’est pas entendue, c’est qu’elle est avant tout inaudible au niveau du sens et de la communication. Michel affirme à de nombreuses reprises que « dans [sa] tête ça tourne en rond, ça tourne à vide ; [que] les mots perdent de leur sens, ne veulent plus rien dire, sont équivoques », et cela dit-il rend la « communication difficile, [le] fait décrocher du langage commun et [lui] procure un sentiment de grande solitude ».

Lors d’une séance, il va dire que c’est dans les entretiens, avec les accueillants, qu’il se bat avec les mots pour que sa parole et ses idées ne soient pas de l’ordre de la revendication mais deviennent entendables, communicables et donc transposables par écrit. Au fur et à mesure des rencontres, il en vient à avoir davantage d’aisance avec les mots et le sens, écrivant des textes en peu de jours et destinés uniquement à la réflexion associative sur les droits des personnes vulnérables. Deuxième changement : ses productions ont désormais comme finalité, non pas la reconnaissance d’avoir été victime de la jouissance de l’Autre, mais de « produire de la réflexion et de l’échange avec autrui ». Ses textes, Michel dit les anonymiser, les nettoyer d’éléments trop personnels, trop subjectifs car selon lui « lorsque l’on met trop de passion cela rend la communication difficile ». La souffrance, affirme-t-il, « c’est qu’on ne peut plus entendre ». Le langage qu’il dit construire à partir de ses écrits, il le nomme « dialogue éthique » et le définit comme un « langage de fragilité, un langage vécu qui sert aux plus faibles à échanger entre eux ». Le soutien récent d’un professeur d’université, à la production de textes pour des conférences ou à la passation d’un diplôme d’éthique universitaire, aide ce patient à se trouver une place autre que celle du « fou » au sein du lien social, à se faire, comme il l’affirme, « une réputation ».

Nous sommes donc passés de la position « se faire entendre » à celle de « se faire une réputation », et ce grâce à l’écriture de textes, qui, orientée en direction du réel, a permis à ce sujet de produire une autre écriture qui, elle, tente de border, de chiffrer la jouissance de la langue, et qui favorise un peu plus l’inscription dans un discours, dans le lien social.

[1] Intervalle-CAP est un centre d’accueil et de consultations psychanalytiques ouvert à Paris 13e uniquement le week-end. Créée en 2003, cette institution fait partie depuis 2015 de la fédération des institutions de psychanalyse appliquée (FIPA). Plusieurs praticiens se relaient chaque samedi et dimanche pour assurer les accueils et les consultations, gratuits et ne nécessitant pas de prise de rendez-vous préalable. Pour chaque consultation, une note clinique est réalisée par l’accueillant et/ou par le stagiaire présent.

[2]  Lacan J., Le Séminaire, livre XXIII, Le Sinthome, texte établi par Jacques-Alain Miller, Paris, Seuil, 2005, p 50.

Numéro : L'Hebdo-Blog 134
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