Lacan, les femmes et lalangue

Au cours de sa Conférence sur le symptôme, Lacan déclare à un auditeur qui l’engage à dire plus sur les femmes : « Moi, je serais assez porté à croire que, contrairement à ce qui choque beaucoup de monde, c’est plutôt les femmes qui ont inventé le langage. D’ailleurs, la Genèse le laisse entendre. Avec le serpent, elles parlent – c’est-à-dire avec le phallus. Elles parlent avec le phallus d’autant plus qu’alors pour elles, c’est hétéro. […] Contrairement à ce qu’on croit, le phallocentrisme est la meilleure garantie de la femme. […] La Vierge Marie avec son pied sur la tête du serpent, cela veut dire qu’elle s’en soutient. » [1]

Il fait un pas de plus dans Le sinthome, très peu de mois après : « Si quelque chose dans l’histoire peut être supposé, c’est bien que c’est l’ensemble des femmes qui a engendré ce que j’ai appelé lalangue, devant une langue qui se décomposait, le latin dans l’occasion, puisque c’est de cela qu’il s’agissait à l’origine de nos langues. On peut s’interroger sur ce qui a pu guider un sexe sur les deux vers ce que j’appellerai la prothèse de l’équivoque, et qui fait qu’un ensemble de femmes a engendré dans chaque cas lalangue. »[2]

Au Centre Universitaire Méditerranéen, à Nice le 30 novembre 1974 il avait avancé : « Pour avoir ces effets, (criblage du parlêtre par le dire des parents), quelle est la source, l’origine, du langage ? […] Mais le sens du langage, quel en est le poids propre ? Quel en est la portée ? J’ai là-dessus ma petite idée, mais je ne vois pas pourquoi, ladite petite idée, je ne pourrais pas me la garder. » [3]

D’un côté Ève, la mère des vivants, de ceux qui parlent et Marie, la nouvelle Ève, face au phallus ; de l’autre, l’invention du langage, l’origine de lalangue. Ève, aux côtés d’Adam, une aide contre, contre le réel mais aussi contre les errements de l’homme suivant J.-A. Miller dans sa Notice de fil en aiguille avec les traductions de kenegdo. Le Caravage[4] loin des représentations traditionnelles de la Vierge écrasant la tête du Serpent nous offre un généreux portrait de Marie guidant sous le regard de Sainte Anne le pied de l’infans Jésus sur la tête du serpent. Le serpent, phallus symbolique, grand Φ, opérateur d’une soustraction de jouissance chez le parlêtre se soumettant aux lois du langage, signifiant de la parole nouée au désir, opérateur de la disjonction des sexes dans le complexe de castration, assurant à chaque un l’identification Imaginaire et Symbolique aux coordonnées de l’un ou l’autre sexe. Phallus qui installe le discord dans le langage, agent de la division du sujet, grand Φ coincé dans le nœud borroméen aux limites des trous entre Réel et Symbolique. Cause et voile du non-rapport sexuel. Pour la femme il est « hétéro », au lieu de l’Autre.

Marie et Sainte Anne, mères, participent là de sa transmission dans la génération, femmes, les étoffes tissées et drapées de leurs robes dissimulent leurs secrets. Jésus est nu comme Adam et Ève avant qu’ils ne mangent de la pomme du dis-corps.

Lacan use avec subtilité des nuances de sens du mot origine, l’un concernant ce qui serait le temps de l’apparition l’autre plutôt la cause.

L’origine est inimaginable et ne peut se poser que sous forme du mythe, elle surgit entre un temps d’avant où il n’y avait rien et un temps d’après où il y a quelque chose. Elle est trou, rupture.

Concernant la cause Lacan fait l’hypothèse que le langage, suppléance au non-rapport sexuel « masque la mort, […] »[5], la mort limite et origine de la parole.

Il affirmait dès 1957, « Que le moi lui-même soit fonction de la relation symbolique et puisse en être affecté dans sa densité, […] cela […] n’est possible qu’en raison de la béance ouverte dans l’être humain par la présence en lui, biologique, originelle de la mort, […]. C’est le point d’impact de l’intrusion symbolique. »[6]

Cause, origine, il va de l’une à l’autre, la cause, le manque inscrit par la signification phallique et l’absence d’un signifiant qui dirait la femme, l’origine, l’Urverdrängung, la béance inscrite par la mort, les deux se nouent pour faire parler.

Vie et mort ont des places singulières sur le nœud borroméen mis à plat. La vie qui regarde les femmes dans leur rôle d’enfantement, du côté du réel, de l’impossible à dire ce qu’elle est, la mort du côté du symbolique. Mais la mort ne les regarde pas moins dans leurs corps de mères. Sur l’origine, elle sait depuis toujours : la connaissance que lui donne la mise au monde de l’enfant passe par sa propre et mortelle division dit Eugénie Lemoine.

Lalangue et la prothèse de l’équivoque

Elle est première, issue du jeu de l’infans dans l’apprentissage de sa langue maternelle et c’est elle qui se travaille en analyse. Elle sert la jouissance et traite le réel. On la crée en parlant et elle s’ouvre aux équivoques, elle est vivante avec son avers mortel de pétrification du sujet dans la fixation et la répétition aliénante d’une jouissance mauvaise.

Le nœud borroméen, une écriture

Cette valeur scientifique qui exige de s’extraire de l’imaginaire en abandonnant les coordonnées de la géométrie euclidienne pour celles de l’espace du nœud, celui autour des cordes, un espace souple et mouvant jouant du temps et de plusieurs dimensions, Lacan va l’ancrer dans la logique et la topologie non sans conséquences sur le sens ainsi que le note J.-A. Miller ; avec le réel Lacan fait un saut vers la « futilité du sens ». L’écriture est accès au réel par la lutte qu’elle mène à l’imaginaire. Elle lui permet de montrer et démontrer le non-rapport sexuel. Le réel est hors-sens.

De fait, la non équivalence des sexes puis des positions sexuées dans leurs relations à l’objet a, à la castration et au phallus accordent à la sexualité féminine une structure propre, hors champ œdipien, au-delà du Nom-Du-Père, le parlêtre produisant lui-même sa castration.

Eugénie Lemoine-Luccioni a su se saisir avec autant d’audace que de liberté du dernier enseignement de Lacan et du nœud borroméen. Suivant Lacan dans les Écrits, partant du cri du nourrisson, un réel, à la racine du langage et de la réponse de l’Autre maternel, une interprétation, elle relève que « L’entrée dans le langage ‒ la chose est remarquable ‒ n’a pas de nécessité naturelle »[7].

Sur la cause plutôt que l’origine elle propose que le désir de parler remplisse le blanc laissé par la jouissance, le blanc c’est le trou du désir, l’absence de l’objet dont la femme se sait privée, affirme-t-elle, sachant qu’il n’a jamais été là. « Les femmes veulent parler et les hommes enfanter »[8] .

Couleur homme, couleur femme :

« L’invention du réel »[9] est le chapitre dans lequel Lacan énonce cette énigme ; il repart de ce qu’il avance dans « Du nœud comme support du sujet » à propos de la dualité des nœuds : « C’est seulement si quelque chose est introduit pour marquer la différence entre les trois, et non pas leur différence deux à deux, qu’apparaît en conséquence la distinction de deux structures de nœud borroméen. »[10] Il y a deux sexes sans équivalence. C’est ça le réel du sexe.

Par la manipulation des trois ronds on touche au fait que l’inversion dans l’espace de deux ronds colorés non orientés sans changer l’orientation du troisième produit deux objets non identiques. L’inversion seule de l’orientation n’y parvient pas, d’où l’affirmation de Lacan que le réel du couple colorié n’a pas de sens et que le symbolique, celui qui apporte la signification, jouant de l’équivoque du mot sens entre orientation et signification, est le rond orienté, « les sexes en l’occasion sont opposés comme l’imaginaire et le réel, comme l’idée et l’impossible »[11]. De l’insondable décision de l’être dépendra la couleur, homme ou femme.

Dans le corps de sa Conférence de 1975, il avait affirmé : […] « C’est en elles-mêmes qu’elles sont pas-toutes. À savoir qu’elles ne prêtent pas à la généralisation. Même, je le dis là entre parenthèses, à la généralisation phallocentrique. » L’ensemble des femmes est un ouvert. La femme n’est pas-toute de n’être pas-toute saisie par le sens, mais dans la fonction phallique « elle y est à plein » avec un « en-plus », la jouissance du corps au-delà du phallus. Côté femme, celui de l’être, c’est l’infinitude des espaces ouverts comptables au un par un. Si le langage existe hors des corps, la femme n’est pas-toute dans son corps, l’impossible à dire de cette jouissance Autre la place côté réel.

Ce « pas-de-sens » caractérisant le réel fait son accointance avec l’équivoque, le glissement du sens dans lalangue et l’invention.

Les femmes ont pour partenaire le manque, S(Ⱥ). Elles se font invocantes, « elle est l’invocation même et c’est pourquoi elle peut être tenue pour l’origine du langage, comme la Béatrice de Dante, […], Elle est depuis toujours installée dans l’alternative : vie ou mort. C’est le vel létal lacanien. »[12]

Au tout début du Sinthome, Lacan fait retour sur le Séminaire XX : la première personne à se servir de la langue est Ève pour parler au serpent dont elle fait le phallus. Pierre Skriabine sous le titre « Lacan topologue »[13] écrit : « Notre espace est donc structuré par la perte, […].  […] plus de rapport sexuel qui ne soit problématique : la pomme d’Ève n’est rien d’autre que le langage. » Le langage fait lien entre les vivants, les sexes, les générations.

La petite fille se cogne au réel de sa privation de l’organe, cette privation, réelle, est un trou d’où elle va prendre position par rapport au phallus, signifiant du manque. À elle, il ne manque rien, il manque dans l’Autre le signifiant, manque absolu, qui pourrait pour chacune dire son être.

« Cela va au point d’ailleurs que la femme s’en invente un de phallus, qui s’appelle phallus revendiqué, phallus du pénis… uniquement pour ça, pour se considérer comme châtrée, ce qu’elle n’est justement pas la pauvrette au moins quant à ce qui est de cet organe puisqu’elle ne l’a pas du tout. »[14]

C’est le – φ de la castration imaginaire soutenue par le côté mâle qui la fait s’adresser à l’homme dans sa demande d’amour et d’objet qui n’est pas et qu’il n’a pas.

La décomposition du langage

Antoni Vicens fait l’hypothèse qu’une langue qui se décompose a pour effet de féminiser les rapports humains et de produire une communauté de jouissance, nécessairement hors la loi, puisque ce « hors-la-loi » est la condition de la création. Il soutient que Lacan « considère les femmes, plus exactement la jouissance féminine, à l’origine de l’unité des langues ».[15]

En Chine des femmes ont inventé une langue et une écriture.[16]

Le nüshu, en mandarin nǚshū, « écriture des femmes » appelée « écriture moustique » est un système, dérivé du mandarin, exclusivement utilisé par des femmes de la province du Hunan. On l’a cru disparu après le décès, le 20 septembre 2004, de Yang Huanyi, la dernière femme sachant l’utiliser. Selon les sources il est apparu soit au XIIè soit au XVè siècle, né de leur isolement social. Chercheurs et artistes s‘y intéressent.

Pour conclure

Une note non dénuée d’humour de J.-A. Miller dans son cours du 16 mai 2007 :

« Le moment de saisissement, qui sans doute n’a pas quitté Lacan tout le long de son enseignement, c’est la notion de la petite femme qui sait. C’est comme le principe de ce qu’on pourrait appeler le délire de Lacan avec les femmes. […] je ne suis pas encore avancé dans le délire de Lacan avec les femmes, avec la féminité, […] puisque ça m’a été d’une utilité prodigieuse, si je puis dire, dans la vie comme dans la pratique. »[17]

[1]          Lacan J., « Conférence à Genève sur le symptôme », La cause du désir, no 95, avril 2017, p. 22.

[2]          Lacan J., Le Séminaire, livre XXIII, Le sinthome, texte établi par J.-A. Miller, 2005, Paris, Seuil, p. 117.

[3]          Lacan J., « Le phénomène lacanien », Section clinique de Nice, septembre 2011, p. 30.

[4]          Le Caravage, « La madone des palefreniers », 1605, Rome, Galleria Borghese.

[5]          Lacan J., « Réponse à C. Millot », L’Âne, no 3, 1981, p. 3, disponible sur internet.

[6]          Lacan J., Le Séminaire, livre V, Les formations de l’inconscient, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1998, p. 10.

[7]          Lemoine-Luccioni E., Le rêve du cosmonaute, Paris, Seuil, 1980, p.  34.

[8]          Ibid.

[9]          Lacan J., Le Séminaire, livre XXIII, op. cit., p. 105-139.

[10]         Ibid., p.  53.

[11]         Ibid., p. 117.

[12]         Lemoine-Luccioni E., Partage des femmes, (1976), Points, Paris, Seuil, 1982, p. 90.

[13]         Skriabine P., « Lacan topologue », La Cause freudienne, no 79, Navarin éditeur, octobre 2011, p. 261.

[14]         Lacan J., Mon enseignement, Paris, Seuil, 2005,  op. cit., p. 56.

[15]         Vicens A., « Lacan, un mode de jouissance », in Brousse M.-H. (s/dir.), La psychanalyse à l’épreuve de la guerre, Paris, Berg, 2015, p. 176-177.

[16]         femmes.blogs.courrierinternational.com

[17]         Miller J.-A, « L’orientation lacanienne. Le tout dernier Lacan », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris VIII, cours du 16 mai 2007, inédit.




Lee Harvey Osvald

Mises à part les théories du complot concernant l’assassinat du Président Kennedy survenu le 22 novembre 1963, il devait être possible d’appréhender le sujet Lee Harvey Oswald, identifié comme son assassin. La lecture des documents produits par la Commission Warren impose l’idée qu’il pourrait s’agir d’un cas de psychose déclenchée. En effet, ce cas peut être resserré dans une formule qui l’éclaire : au départ, il y a chez Oswald le devoir, la mission à accomplir qui est de passer à l’Est et puis sous l’effet du déclenchement une transmutation s’opère, tout le passé soviétique devient la faute qu’il faut garder secrète, et tenir ainsi à distance la persécution de l’Autre.

Le cas

 

Le père de Lee Oswald meurt d’une crise cardiaque deux mois avant sa naissance. Ce trait est repris par sa mère devant la Commission Warren dans un syntagme figé : « child of one parent » correspondant aussi à sa situation puisque sa propre mère est morte dès son jeune âge. C’est encore par ce trait qu’Oswald se présente dans une vignette autobiographique : « Lee Harvey Oswald est né en octobre 1939 à la Nouvelle Orléans. Fils d’un courtier en assurance dont la mort prématurée lui a laissé une fâcheuse tendance à l’indépendance, causée par la négligence. » [1] De quelle négligence s’agit-il ? De celle de sa mère sans doute, Marguerite, qui se qualifie volontiers de « working mother » et se justifie ainsi d’avoir confié le soin de ses enfants à l’orphelinat dès l’âge de trois ans. Toutes les décisions de Marguerite Oswald sont dominées par le souci de l’argent. C’est John, le demi-frère de Lee, qui a défini la jouissance de cette mère par l’argent, « c’est son Dieu » [2]. C’est-à-dire que les enfants sont pour elle source de revenus soit par l’intermédiaire des pères, soit sans intermédiaire par le fruit de leur travail. La relation mère-enfant n’a pas été médiatisée par le don d’amour mais par le signifiant de l’argent et transposée chez Lee dans la relation de l’exploitation capitaliste dont il est le rebut. Son engagement idéologique en tant que marxiste n’est que le produit de l’identification dans le réel à « cette mère au travail ». La doctrine marxiste rencontrée à l’âge de quinze ans est ce qui a fait capitonnage pour Lee Oswald en lui fournissant, je le cite : « une clé pour mon environnement »[3]. Après une scolarité chaotique, balloté au gré du caprice maternel, il s’engage à dix-sept ans chez les Marines. Son passage en Union Soviétique, considéré comme son devoir, autre nom de l’exigence du surmoi, sera réalisé dans le plus grand secret à l’âge de dix-neuf ans. Arrivé sur place, il fait immédiatement des démarches pour dissoudre sa citoyenneté américaine.

 Le déclenchement

 

Sa mère insiste sur un point dans son témoignage, Lee Oswald était un militaire, ses frères, John et Robert étaient des militaires, « nous sommes une famille de militaires » [4]. Elle indique que le prénom « Lee » vient du célèbre général sudiste. Or, à la suite de cette tentative de renoncement à la citoyenneté américaine, Lee Oswald avait vu sa démobilisation du corps des Marines qualifiée de « dishonorable » en lieu et place d’ « honorable ». Cette mention dépréciative est reçue par lui comme un affront, un dommage subi par toute la lignée, exigeant réparation au moment où Oswald va être père pour la première fois. À l’époque à Minsk, il avait pris la plume en février 1962 pour faire un recours auprès du Secrétaire à la Marine, John Connally, celui-là même qui sera assis auprès de Kennedy dans la limousine en tant que gouverneur du Texas. On sait qu’il sera blessé au bras. Oswald lui écrivait alors cette phrase lourde de menaces : « J’emploierai tous les moyens pour rectifier cette grossière erreur et injustice commise envers un citoyen américain de bonne foi et un ancien militaire. » [5] Nombre de commentateurs se sont demandés si Connally qui entre temps avait quitté ses fonctions dans l’armée pour se lancer en politique, (ce que savait Lee Oswald au moment du tir) n’avait pas été la véritable cible. Je dirai que sa présence vient renforcer l’acte meurtrier car ce que vise Oswald avant tout c’est la « tête » du gouvernement. La tête est ce qui fait tache au moment du tir quand le sujet se réalise comme regard meurtrier.

 Répétition de jouissance

 

Avec le déclenchement de la psychose donc, cette défection et ses suites : c’est-à-dire la tentative de renoncement à la citoyenneté américaine, le mariage avec une soviétique donnant lieu à descendance, devient la faute suprême, non pour lui-même mais pour l’Autre méchant dont il faudra, en retour, tirer vengeance. Oswald va faire deux tours comme sur une bande de Mœbius conduisant à une répétition de jouissance qui culmine à chaque fois dans un acte meurtrier, prenant place après la naissance de chacune de ses deux filles.

Premier tour : Depuis son retour aux U.S.A en juin 1962, la principale préoccupation de Lee Oswald désormais chef de famille, sans ressource, est de trouver du travail. Au mois d’octobre, il est employé dans une entreprise publicitaire comme apprenti photographe. Après environ six mois, il se fait licencier. C’est pendant cette période, en mars 1963, qu’il se fait photographier par sa femme, tout de noir vêtu, avec ses armes et ses journaux politiques. Il s’était procuré un fusil, ainsi qu’un revolver quelques mois plus tôt, en faisant usage d’un pseudonyme : Hidell présentant une assonance probable avec « Hidden », c’est-à-dire « caché »[6].

Quelques jours après son licenciement, le 10 avril 1963, il passe à l’acte en tirant sur la personne de l’ancien Général Edwin Walker, figure politique sulfureuse d’extrême droite, raciste prônant la ségrégation et l’anticommunisme. Les recommandations testamentaires qu’il laisse à sa femme dans une note, avant de se rendre sur le lieu du crime, montrent qu’il pensait déjà en finir mais aussi que son nom apparaitrait dans la presse. Après cet attentat manqué, il quitte Dallas pour s’installer à la Nouvelle-Orléans, sa ville natale où sa famille le rejoint au mois de mai 63.

Deuxième tour : En juillet 63, il apprend que sa demande de révision concernant sa « dishonorable discharge » est rejetée. Il perd son travail d’ouvrier de maintenance dans une usine. Grâce à des indemnités de chômages, il peut se livrer à des activités militantes en faveur de Fidel Castro. Ces activités s’avèrent basées sur une affabulation consistant à se faire passer auprès du président du Comité Fair Play For Cuba, pour un membre d’une section fictive locale de cette organisation à la Nouvelle Orleans dont Hidell serait le chef. Après un passage à la radio au cours duquel, malgré lui, son passé soviétique est révélé au plein jour, il décide de passer à l’attaque en se rendant à Cuba pour prêter main forte aux partisans de Fidel Castro. Il fait un périple au Mexique dans l’intention de se procurer le visa nécessaire à ce nouvel exil, tandis que sa femme Marina et la petite June retournent au Texas où elles vont être hébergées chez une connaissance. À Mexico, Lee se rend à l’ambassade cubaine et puis à l’ambassade soviétique, où à chaque fois le visa lui est refusé. Autant de refus qui sont comme des laisser tomber qui le rejettent du côté rebut en place de son idéal. Après ces échecs répétés, Lee Oswald fait finalement retour à Dallas pour rejoindre sa famille mais il habite seul. Il a loué une petite chambre chez une logeuse sous le pseudo « Lee », qui peut laisser présager des intentions de plus en plus belliqueuses. À l’approche de la naissance de sa seconde fille, les démarches du FBI, virent à la persécution, c’est sans doute pourquoi il vit incognito. Selon lui, c’est le FBI qui lui fait perdre ses emplois ou l’empêche d’en trouver. De plus, un certain agent est venu en son absence interroger sa femme, ce qui l’a conduit à écrire à l’ambassade soviétique le 9 novembre pour se plaindre. Cet agent  aurait « suggéré » à Marina de renoncer à sa citoyenneté soviétique en échange de la « protection » du FBI. En ce qui le concerne, ce même agent l’aurait averti que s’il poursuivait ses activités en faveur de Cuba, on allait de nouveau « s’occuper » de lui. « Bien sûr, [écrit-il], moi et ma femme avons fermement protesté contre cette tactique du fameux F.B.I. »[7]. Marina précise à la commission qu’aucun de ces propos ne lui a été tenu [8].

On voit que la jouissance est identifiée au lieu de l’Autre méchant, c’est-à-dire ici le FBI.

Lee Oswald a trouvé un petit travail au dépôt des manuels scolaires. Un mois après la naissance de sa seconde fille, la venue de John Kennedy au Texas et le passage de la voiture présidentielle sous le building tombent à pic, l’heure de la vengeance a sonné ; le photographe, c’est ainsi qu’il se présentait à la face du monde, va se faire tireur (shot). Son objet a comme regard meurtrier, Oswald l’a à sa disposition, c’est son fusil à lunette.

Pour « compenser la carence paternelle »[9], sans doute le nom d’« Oswald » devait-il être associé à celui de « Kennedy »  au-delà de la mort, comme Ravaillac à celui d’Henry IV. Le réel en jeu dans ce passage à l’acte se répercute dans ses effets, les occupants de la limousine en ont témoigné dans l’horreur, tous éclaboussés par des morceaux de la cervelle du Président.

1 https://www.maryferrell.org/pages/Main_Page.html , Warren Commission Report, p. 395.

[2] Ibid., Témoignage de John Edward Pic,  Vol. 11, p. 73.

[3] Ibid., Johnson Priscilla Pièce N° 5, Vol. 20,  p. 300.

[4] Ibid., Témoignage de Marguerite Oswald, Vol.1, p.212. « We are a servicemen family ». On note l’homonymie avec les frères Kennedy.

[5] Ibid., Warren Commission Report, p. 710.

[6] Sa femme Marina dira que c’est une allusion à Fidel. On sait qu’Oswald était un farouche partisan de Fidel Castro.

[7]  https://www.maryferrell.org/pages/Main_Page.html , Pièce N° 15, Vol. 16, p. 33.

[8]  Ibid., Témoignage de MRS. Lee Harvey Oswald, Vol. I, p. 49.

[9] Lacan J., Le Séminaire, livre XXIII, Le Sinthome, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, p.94.




« Envoyez les clowns ! »

« Envoyez les clowns ! »[1]

Lorenzo Speroni

Le 9 octobre 2019 sortait dans les salles de cinéma françaises Joker [2].

Avec un extraordinaire Joaquin Phoenix dans le rôle du protagoniste, on y voit racontée l’histoire de la transformation d’Arthur Fleck dans le célèbre anti-héros de la DC Comics, le Joker, un des criminels les plus redoutés de la ville fictive de Gotham City et ennemi juré du super-héros Batman. Un film de genre, donc ? Loin de là.

Diagnostiqué comme malade mental, fauché et solitaire, Arthur Fleck vit dans un petit appartement avec sa mère, une femme malade et psychotique dont il prend soin. En ouverte contradiction avec sa souffrance, ses journées sont scandées par un travail pour une agence de clowns dont la devise est : « don’t forget to smile » (« n’oublie pas de sourire »). De surcroit, sa mère le désigne dans l’intimité du nom de « happy », « joyeux », un nom strictement en lien avec un symptôme corporel de Arthur : un rire sardonique qui éclate d’une façon incontrôlable et qui lui vaut une petite carte en plastique qu’il porte toujours dans sa poche, à présenter, si nécessaire, aux gens qu’il rencontre, attestant qu’il est affecté d’une pathologie qui entraine des rires déplacés, immaitrisables et hors-sens. L’existence d’Arthur est caractérisée par une extrême détresse dont il témoigne dans son journal intime : « I hope my death will make more sense than my life » (« j’espère que ma mort aura plus de sens que ma vie »). Il confie la lecture de ce journal à une thérapeute qui le suit, mais qui, cependant, « ne l’écoute pas »  et, en même temps, il essaye de donner consistance à un idéal : le jeune Arthur rêve de devenir comédien, plus précisément un stand-up comedian (« monologuiste ou comédien de stand-up »). Il souhaite, comme sa mère le lui a annoncé pendant sa jeunesse et lui rappelle chaque jour : « apporter du bonheur et de la joie dans le monde ». Pourtant, le bonheur et la joie dont il serait le porteur sont contredits par la dureté de la réalité à laquelle il est confronté dans son quotidien : volé, frappé, dénigré par son patron, il souffre également d’un malaise existentiel profond qui s’exprime notamment par le biais d’un événement de corps immaitrisable, un rire sardonique, et un embarras évident vis-à-vis des relations avec les autres. Par conséquent, tout au long du film, Arthur essaye de construire une image de soi qui lui permette de circuler dans l’existence et apaiser ses angoisses par le biais de son rêve de devenir comédien. Cependant, comme le titre même du film laisse présager, il échouera et deviendra le Joker, criminel redouté pour sa folie et pour ses actes.

L’histoire du personnage d’Arthur/Joker nous permet d’illustrer un certain nombre de traits qui caractérisent un des aspects centraux du lien social qui opère à notre époque. On peut en effet rapprocher la façon dont Arthur a affaire aux injonctions de bonheur et de joie qui lui viennent des autres (en contradiction donc avec son extrême souffrance) aux impératifs de bien-être physique et psychique si insistants à notre époque par le biais de la promotion des images et du discours de la science. Les impératifs véhiculés par la société du « narcissisme de masse »[3] donnent en effet consistance à l’illusion de complétude véhiculée par les images, à partir des réseaux sociaux jusqu’aux promesses de bonheur des nouvelles technologies. Ce faisant, comme Clotilde Leguil le remarque, la dimension du sujet se dissout dans « un mirage : celui du rapport en miroir avec son semblable qui l’enferme dans des relations de comparaison, des demandes d’amour, de reconnaissance, des quêtes de preuves de son existence, des angoisses de sa non-existence, que l’exigence (…) de la pulsion, vient sans cesse alimenter »[4]. L’angoisse d’Arthur se situe précisément à partir de l’impression de ne pas exister, ce qu’il dira par ailleurs explicitement lui-même : « je n’ai jamais su si j’ai jamais existé ». De surcroit, son rire fait irruption dans le corps, signe d’une impossible réduction de celui-ci à son unité imaginaire : en effet, le rire sardonique d’Arthur s’émancipe des fonctions de l’organisme et se déporte hors-corps. Pur hétéros, il n’implique aucun Autre, et ne sert aucune fonction biologique. Autrement dit, ce n’est pas Arthur qui rit, mais il est ri, « ça rit » malgré lui.

Or, demandons-nous, quelle est la réponse d’Arthur à sa détresse ? On le sait dès le début, il devient le Joker. Mais qu’est-ce à dire ? Si on y prête attention, on s’aperçoit que par cette nouvelle nomination Arthur ira jusqu’à incarner dans le réel la figure de l’humoriste telle que Freud la décrit dans son article sur l’humour de 1927. Contrairement au mot d’esprit et au comique, Freud explique que « l’humour n’a pas seulement quelque chose de libérateur (…), mais également quelque chose de grandiose et exaltant »[5]. Quoi exactement ? Il le précise : « le caractère grandiose est manifestement lié au triomphe du narcissisme, à l’invulnérabilité victorieusement affirmée du moi. Le moi se refuse à se laisser offenser, contraindre à la souffrance par les occasions qui se rencontrent dans la réalité ; il maintient fermement que les traumatismes issus du monde extérieur ne peuvent pas l’atteindre ; davantage : il montre qu’ils ne sont pour lui que matière à gain de plaisir. Ce dernier trait est pour l’humour tout à fait essentiel »[6]. N’est-il pas exactement le sens de l’affirmation d’Arthur prononcée juste avant de devenir le Joker ? À l’instar du fantasme schréberien, à savoir « qu’il serait beau d’etre une femme en train de subir l’accouplement », Arthur énonce : « I used to think my life was a tragedy, but now i know it’s a comedy » (« Je pensais que ma vie était une tragédie, mais maintenant je sais que c’est une comédie »). Voici Arthur en train d’accomplir une opération métaphorique en substituant la tragédie constituée par une existence qui n’a pour lui aucun sens vivable, à la comédie vécue par le biais de l’humour. Happy ending ? Pas du tout.

Comme Freud le rappelle, si le mot d’esprit est « la contribution au comique que fournit l’inconscient »[7], « l’humour serait la contribution au comique par la médiation du surmoi »[8]. Le sourire sur le visage de Joker à la fin du film face aux citoyens en révolte qui l’acclament suite à son homicide en direct à la télé, est un sourire sanglant, tracé sur ses joues avec son propre sang, ce qui est crucial : si Freud a pu parler du caractère économique du mot d’esprit et de son lien avec l’inconscient, ici il n’y a pas de parole, pas de comique, mais une incarnation du surmoi : à la place du rire comique, on contemple un sourire sanglant et silencieux. À la différence du mot d’esprit où un nouvel usage du signifiant induit un rire au service du principe de plaisir, dans la perspective de l’humour, on pourrait dire que tout est comédie, autrement dit, tout est semblant. N’assiste-t-on pas à la mise en place de cette même logique sur les réseaux sociaux et dans l’usage du signifiant dans notre réalité quotidienne ? Le semblant constitue en effet le trait spécifique au lien social contemporain (tout peut être dit, vu, montré) et soudainement cela vire au pire : tout doit être dit, vu, montré, le surmoi révélant ainsi son visage et laissant le sujet désemparé face à ces impératifs sans que ce soit jamais assez.

Est-ce que nous sommes alors condamnés au même destin d’Arthur ? Celui d’incarner la jouissance véhiculée par les mots et les impératifs de l’Autre pour éviter le risque de se perdre dans l’existence ? Comment passer de la tragédie à la comédie sans transformer notre réalité en un pur semblant ?

Si le monde d’Arthur est une réalité crue et ses actes extrêmement violents, on ne peut pas négliger le fait que malgré ses efforts pour s’approcher des autres, il ne sera jamais vraiment écouté : ni par sa mère, ni par ses collègues, ni par sa thérapeute. Ses symptômes et ses bizarreries le garderont toujours à distance de ses semblables. Misons sur ça alors, entendre la fonction qu’un symptôme a pour un sujet pourrait changer la donne : « Send in the clowns ! ».

[1] Sondheim S., Send in the clowns, Decca Records, 1973. Chantée par Frank Sinatra dans le film.

[2] Philips T., Joker, USA, 2019.

[3] Leguil C., « Je » Une traversée des identités, Paris, PUF, 2018.

[4] Ibid., p. 105.

[5] Freud S., « L’humour », L’inquiétante étrangeté et autres essais, Paris, Gallimard, 1985, p. 323.

[6] Ibid.

[7] Freud S., « L’humour », L’inquiétante étrangeté et autres essais, op. cit., p. 327.

[8] Ibid., p. 328.




De l’adresse à l’entrée en analyse

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Ségrégation ou séparation

« Ségrégation » vient du latin, segregatio « séparation », dérivé de segregar, « séparer du troupeau », définie par le Littré comme « l’action par laquelle on met à part, on sépare d’un tout, d’une masse »*. L’étymologie et la définition qui en découlent renvoient à la notion de séparation. Mais peut-on associer si facilement ces deux termes ? La notion de ségrégation n’est pas particulièrement un concept psychanalytique, contrairement à celle de séparation. La ségrégation, dans sa définition même suppose un troupeau, un agrégat. Elle ne peut se produire qu’à partir de la constitution initiale d’un groupe alors que la séparation, au sens psychanalytique du terme, concerne le sujet.

La question qui m’a orientée pour ce travail fut la suivante : les formes de ségrégation actuelles viseraient-elles ce qui a de plus singulier en chacun de nous, autrement dit seraient-elles le rejet voire parfois la haine de ce qui nous sépare de façon irréductible de l’autre mais aussi de nous‑même ?

À la source de la fraternité, la ségrégation

Lacan introduit d’abord la ségrégation comme origine de tout discours, inhérente aux lois du langage lui-même. En reprenant Ferdinand de Saussure, il met en évidence que le langage est une structure essentiellement différentielle qui façonne la réalité humaine. Le langage préétabli dans lequel le sujet va entrer se définit suivant un ordre symbolique, désigné par Lacan par le Nom‑du‑Père. Celui-ci, construit à partir d’oppositions signifiantes, produit des différenciations, des catégorisations, avec son lot d’interdits et de prescriptions qui permettent un certain ordonnancement du monde. Lacan, dans Le Séminaire XVII, avance cette thèse essentielle de la ségrégation comme origine de la fraternité : « Tout ce qui existe est fondé sur la ségrégation, et au premier temps la fraternité. Aucune autre fraternité ne se conçoit même, n’a le moindre fondement, le moindre fondement scientifique, si ce n’est parce qu’on est isolé ensemble, isolé du reste. »[1] Cette thèse découle de l’interprétation par Lacan du mythe de Totem et Tabou. « Le vieux papa les avait toutes pour lui, ce qui est déjà fabuleux – pourquoi les aurait-il toutes pour lui ? – alors qu’il y a d’autres gars tout de même, qui eux aussi peuvent peut-être avoir leur petite idée. On le tue le vieux papa. […] Pour avoir tué le vieux, le vieil orang, […] ils se découvrent frères. Enfin ? Cela peut vous donner quelque idée sur ce qu’il en est de la fraternité »[2]. Ainsi pour Lacan, une des conséquences du meurtre du père est que les hommes se reconnaissent comme frères. La fraternité dont il nous parle n’est donc pas une affaire de consanguinité mais bien plutôt un effet de discours, une nomination. Si la ségrégation est de structure, aucune chance donc de la faire disparaître chez les êtres parlants que nous sommes.

La ségrégation au temps du discours de la science

Au cours de l’année 1967, à plusieurs reprises, Lacan prophétise « une extension de plus en plus dure des processus de ségrégation »[3] en lien avec la remise en question de toutes les structures sociales par la science et de l’universalisation qu’elle y introduit. Si tout discours est ségrégatif, tous les discours ne produisent pas le même type de ségrégation. Lacan s’arrêtera particulièrement sur les formes de ségrégation qui découlent du discours de la science, car celui-ci transforme considérablement notre monde en produisant un sujet nouveau, universalisable « qui n’a pas de sexe, d’âge, de nom, ni d’appartenance religieuse ou de nationalité »[4]. Ce qui est démontré par la science vaut pour tous. Ainsi attrapé, le discours de la science est profondément déségrégatif. Mais alors comment entendre que pour Lacan cette homogénéisation des êtres humains entre eux n’est qu’une illusion et produit, au contraire, des ségrégations qui se multiplient à l’infini ?

« Le mode universel semble ne pas avoir de limite alors qu’il en a […]. Le mode universel a ses limites dans ce qui est strictement particulier. Il a ses limites dans ce qui est ni universel, ni universalisable, et que nous pouvons appeler, avec Lacan, le mode de jouissance »[5]. Ce mode universel, nous dit Jacques-Alain Miller, n’empêche pas que l’on se gêne. Ce qui nous gêne et qui peut engendrer à l’occasion de la haine, c’est bien la façon particulière dont l’Autre jouit.

Nous pouvons constater quotidiennement qu’il ne suffit pas de dire que l’Autre est pareil pour que ce soit opérant. Malgré les avancées scientifiques, nous continuons à nous gêner, à être gêné par ce que l’Autre a de plus particulier, son mode de jouissance. Et nous pouvons même rajouter que plus la particularité de l’Autre est rejetée, plus elle tend à se revendiquer de façon radicale.

La particularité ne se laisse pas ravaler ainsi. On voit aujourd’hui émerger une prolifération de petits groupes, de petits clans qui se fondent à partir d’identifications issues d’un mode de jouissance particulier. Dans le domaine de la sexualité notamment, de nombreuses communautés se créent à partir d’une identification à un mode de jouissance sexuelle (gay, lesbien, bears, leather, butch, fem, etc.).

Par exemple, la communauté bear (ou communauté de l’ours) apparue dans les années soixante-dix, est une subdivision de la communauté gay. Des hommes se sont rassemblés en réaction à une tendance lourde imposant une allure et une culture de plus en plus formatées, et excluant de fait les homosexuels ne répondant pas aux codes établis. On perçoit par cet exemple ce double mouvement d’une déségrégation qui entraîne une nouvelle forme de ségrégation. La revendication pour que soit reconnue un mode de jouissance non reconnu jusque-là est d’abord effectivement déségrégative mais elle entraîne dans le même mouvement une nouvelle ségrégation, une ségrégation de ceux qui ne rentre pas dans ce groupe. Plus les revendications identificatoires se multiplient, plus la ségrégation se pluralise. On voit ici le sans limite de ce processus.

La séparation, une alternative à la ségrégation ?

Mais alors que dit la psychanalyse face à cet intraitable de la ségrégation ?

Le discours de la science n’a pas réponse à tout, il bute lorsqu’il s’agit de répondre aux paradoxes de la jouissance et c’est bien à cet endroit-là que la psychanalyse a sa place. L’universel de la psychanalyse n’est pas le même que l’universel promu par le discours de la science. Face à l’Homme universel du discours de la science, la psychanalyse promeut l’universalité du sujet, c’est‑à-dire un universel du singulier.

La question cruciale de notre époque, que Lacan posait déjà en 1967 porte sur la séparation des hommes entre eux. « Comment faire pour que des masses humaines, vouées au même espace, non pas seulement géographique, mais à l’occasion familial demeurent séparées ?[6] ». La déségrégation radicale que produit le discours de la science « désépare » les sujets entre eux, si nous pouvons utiliser ce néologisme ou pour le dire autrement avec les mots d’Alice Delarue « rien dans l’absolu ne sépare les sujets de la science entre eux »[7]. Nous pourrions donc avancer avec Lacan que c’est faute d’une certaine séparation que les processus de ségrégation se multiplient.

La praxis analytique vise quant à elle à l’extraction de l’objet, à ce que le sujet analysant puisse apercevoir cette séparation radicale d’avec l’autre mais aussi et surtout avec une partie de lui-même afin qu’il bricole à partir de cette expérience subjective singulière une réponse qui fasse lien social.

* Texte issu du Séminaire de Toulouse « Accueillir la différence », organisé par l’ACF Midi-Pyrénées en 2018-2019.

[1]Lacan J., Le Séminaire, livre XVII, L’envers de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1991, p. 132.

[2] Ibid., p. 131.

[3]Lacan J., « Proposition du 9 octobre 1967. Première version », Ornicar ?, Analytica, vol. 8, 1978.

[4] Gault J.-L, « La naissance de la science : une lecture de « La science et la vérité » », La cause du désir, n° 84, Paris, Navarin, mai 2013, p. 62

[5] Miller J.-A, « L’orientation lacanienne. Extimité », enseignement prononcé dans le cadre de l’université Paris VIII, leçon du 27 novembre 1985

[6] Lacan J., « Allocution sur les psychoses de l’enfant », Autres écrits, Paris, Seuil, 1981, p. 363.

[7] Delarue A., « Pluralisation des ségrégations », L’Hebdo Blog, n° 176.




Aimer son symptôme ?

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Faire de la ségrégation un joyau

L’Arabe du futur, la bande dessinée de Riad Sattouf, « raconte l’histoire vraie d’un enfant blond et de sa famille dans la Libye de Kadhafi et la Syrie d’Hafez Al-Hassad »* [1].

Quatre tomes pour l’instant, découpent son enfance jusqu’aux années collège, un parcours qui se partage entre l’Occident et le Moyen-Orient.

Le monde de R. Sattouf est un monde de contrastes qui rend visible différentes modalités de ségrégation. Il y a celles qui sont issues de la tradition, d’un monde imprégné de totalitarisme et de religion, et celles plus occidentales, issues du discours de la science où la jouissance de chaque un pose problème à l’universalisation des modes de jouissances. Chacune a sa violence, chacune éclaire « la haine de la façon dont l’Autre jouit »[2].

L’Arabe du futur est la traduction d’un exil intime, conséquence de la haine de l’Autre. Pour autant, la création originale de cette bande dessinée à laquelle la langue vient en appui, transforme la ségrégation en un joyau.

Riad naît à Paris en même temps que son père accouche de sa thèse en histoire contemporaine.

Son père, cadet d’une famille sunnite très pauvre de Ter Maleeh en Syrie, vise l’obtention d’un signifiant pour lui prestigieux : docteur en histoire. Sa mère, d’origine bretonne, se consacre à leur famille, laissant ses propres ambitions pour son mari, un homme en qui elle croit. La soutenance de thèse se solde par une grande déception pour Abdel-Razak : « mention Honorable ». La ddéception s’étend à la France : « C’est nul, pays de racistes »[3]. Il déprime, postule pour un poste de maître de conférences et accepte la proposition faite par l’université de Tripoli. La famille part donc pour la Libye, Riad a un an. Il y découvre un environnement hostile, qui le place dans l’urgence de trouver une issue à une menace qui n’est pas toujours visible.

Une nomination prestigieuse reçue très tôt de la part de sa grand-mère maternelle, « C’est un génie ! » (Il dessine très bien), complète sa position subjective confortablement installée dans un certain narcissisme : « Homme parfait », « Longs cheveux blond platine épais et soyeux », « maniéré et délicat », « l’air légèrement satisfait »[4]. C’est dans ces dispositions qu’il rencontre sa grand-mère paternelle : « Elle dit qu’il est très beau et qu’il ressemble à une fille avec ses cheveux longs »[5]. Conséquence immédiate sur la décision du père de Riad : il faut lui couper les cheveux car il ressemble à Brigitte Bardot. La blondeur est associée à la longueur et par extension à la femme.

Puis il y a cette nomination adressée à l’enfant dès qu’il parait : Yahoudi ! (Juif). « C’est le premier mot que j’ai appris en syrien. »[6] Les cousins, de véritables terreurs pour l’enfant, le traitent inlassablement de juif en prenant soin de le rapporter à sa mère : « fils de juive ».[7]

Le très jeune Riad a repéré que la présence de sa mère, femme occidentale non voilée, est extrêmement embarrassante pour l’oncle Mohamed. Elle sera d’ailleurs insultée, menacée de mort jusqu’à ce que se dévoile l’objet de la haine : « La juive ! Un homme chaque jour dans la voiture de son mari »[8]. Le cousin qui profère ces insultes fait ici référence aux séjours prolongés de la mère en France.

Le rejet de Riad mais aussi de sa mère, auprès de laquelle il passe de longues journées jusqu’au retour du père, est rejet de la jouissance d’une femme, une jouissance fantasmée. Elle est en contradiction avec le discours religieux « prescriptible sur ce que doit être le rapport sexuel »[9]. Yahoudi, ce qui est haï, concerne en définitive la jouissance d’une femme.

En France, la ségrégation porte sur un autre mode de jouir : la voix. Efféminée, caricaturée par de nombreux enfants, elle rappelle à nouveau son rapport particulier au masculin. Le grand-père maternel, grand amateur de femme, s’en inquiète au point de craindre que le petit Riad ne devienne « une tata ». Il sera la risée de certains élèves au point de se retrouver très isolé, rejeté et moqué. Les années collège, alors qu’il s’est installé en France avec sa mère et ses deux frères, seront cruelles. Et toujours cette mise en évidence de ses manières et de sa voix efféminée.

Riad Sattouf parle très bien de cela : « L’école des garçons, j’en ai eu conscience très tôt car j’en étais exclu par les garçons eux-mêmes. Je n’avais pas la voix comme il fallait car elle était efféminée. Je ne courrais pas aussi longtemps qu’eux car je m’essoufflais très vite. Il y avait des comportements à avoir vis-à-vis des filles ou des pensées qu’il fallait avoir si l’on voulait être considéré comme les autres hommes. Je m’en suis moqué car je ne pouvais pas en faire partie. »[10]

On retrouve dans la bande dessinée cet aspect où l’on voit l’enfant s’essouffler en courant derrière un ballon, renoncer et se tourner vers les filles qui jouent à la corde à sauter. Il joue et fait le commentaire suivant : « Ce fut une immense révélation, je devins une fille comme une autre. »[11]

La féminisation humiliante de son nom sera le point vif des moqueries adolescentes : « Hey Grillade Sattouf, ma touffe, notre touffe ! »[12] Son humour exquis, sa manière de faire usage de la langue et du dessin l’ont extrait de la ségrégation jusqu’au succès. Il répondait à Mathilde Serrell qui l’interrogeait sur son désir de postérité : « J’aimerais donner mon nom à des collèges. Les mecs seraient méga saoulés – P’tain ça saoule, j’suis à Sattouf ! Voilà mon idée de la postérité ! »

Dans son histoire, la haine de l’autre s’est portée sur plusieurs aspects mais l’objet le plus intime visé fut sans nul doute la voix, faisant trou dans le discours des traditions tout autant que dans l’idéal phallique. L’Arabe du futur est l’envers de la ségrégation, « J’ai trouvé à me limiter en dessinant mon quotidien ».

* Texte issu du Séminaire de Toulouse « Accueillir la différence », organisé par l’ACF Midi-Pyrénées en 2018-2019.

[1] Sattouf R., L’Arabe du futur, Éditions Allary, Quatrième de couverture.

[2] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Extimité », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’Université Paris VIII, leçon du 13 novembre 1985, inédit.

[3] Sattouf R., L’Arabe du futur, op.cit, p.10.

[4] Ibid., p.7.

[5] Ibid., p.34.

[6] Ibid., p.78.

[7] Sattouf R., L’Arabe du futur 4, Éditions Allary, p.138.

[8] Ibid., p. 236.

[9] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Extimité », op.cit., leçon du 13 novembre 1985, inédit.

[10] France Culture, Master Classe, émission de Mathilde Serrell du 24/07/19.

[11] Sattouf R., L’Arabe du futur 3, Éditions Allary, p. 116.

[12] Sattouf R., L’Arabe du futur 4, op.cit, p.248.




La part femme des êtres parlants – Après-midi sur la passe Bruxelles, le 2 décembre 2017

 

Dans le cadre d’une après-midi sur la passe organisée par l’ACF-Belgique, trois AE de l’Ecole de la Cause freudienne – Laurent Dupont, Dominique Holvoet et Daniel Pasqualin – et un ex-analyste de l’école – Bernard Seynhaeve –, ont été invités à prendre la parole à partir de ce que Jacques Lacan désigne dans le Séminaire XX comme « la part femme des êtres parlants » (1).

Écartant toute définition s’appuyant sur une distinction anatomique ou essentialiste, Lacan avance que la part dite femme et la part dite homme traduisent deux positions distinctes pour ce qu’il en est du rapport au désir et à la jouissance chez le parlêtre.

Du côté homme, cette position est subordonnée pour tous à la fonction symbolique et universelle du phallus, signifiant du désir et de la castration. Du côté femme, elle se caractérise par le fait qu’« elle a, par rapport à ce que désigne de jouissance la fonction phallique, une jouissance supplémentaire »(2), indiquant par là qu’une partie de sa jouissance échappe au signifiant et qu’il n’est par conséquent pas possible de La dire toute.

Durant cette après-midi, quatre hommes ont toutefois essayé de s’emparer de la question et d’approcher cet impossible à dire à partir de ce que leur analyse respective leur a enseigné, singulièrement.

Chacun d’entre eux a d’abord témoigné du fait qu’appréhender cette part femme implique une traversée. Cette traversée, c’est celle du fantasme de virilité et d’universalité et des fictions qu’il dessine. En faisant apparaître la dimension de semblant de ces fictions, l’analyse leur a ainsi permis de se délester de ce qui de la jouissance liée à la fonction phallique les a pendant longtemps encombrés.

Par la suite, ces témoignages ont laissé entendre que lorsque les fictions chutent et laissent place au manque, ce qui reste c’est le corps et l’éprouvé singulier de la façon dont celui-ci est affecté par la langue. Ainsi, l’Analyste de l’École est celui qui, en acceptant de faire avec ce manque et malgré ce qui l’a encombré au titre d’une position phallique, a éprouvé l’idée qu’il existe une jouissance Autre. De cette jouissance, s’il ne peut rien en savoir, il peut néanmoins nous témoigner du fait qu’elle s’éprouve. Ce n’est pas rien.

Interroger cette part femme, ce serait ainsi interroger le rapport propre à chaque parlêtre avec cette jouissance et la façon dont il invente un mode d’écriture de cette trace à jamais inscrite sur le corps.

Pour terminer, chacun d’entre eux a tenté d’indiquer en quoi « Dire oui au féminin »(3) peut influer sur la pratique de l’analyste. En s’orientant de son expérience d’un trajet allant de l’universel lié au fantasme à une manière à nul autre pareil de faire avec la jouissance inscrite sur le corps, l’analyste, délesté de toute attente et tout idéal universalisant, s’attelle à faire résonner par la coupure ce qui chez l’analysant touche au plus singulier.

1 J. Lacan, Le Séminaire, Livre XX (1972-1973), Encore, Paris, Le Seuil, p. 74.

2 Ibid, p. 68.

3 L. Dupont., « Au-delà du fantasme, l’outrepasse », La cause du désir, n°95, avril 2017, p.148.




Apprendre : à l’horizon du cartel

L’heure de la rentrée a sonné aussi pour les cartels de l’École. À l’initiative de l’ACF-MAP s’est tenue, le samedi 30 septembre à Marseille, une rencontre inter-cartel avec l’ACF-ECA (Nice), consacrée aux 47e Journées de l’ECF, Apprendre, désir ou dressage. Une rencontre qui a noué délicatement la question de l’acquisition de savoir à une réflexion sur le fonctionnement du cartel, « principe d’une élaboration soutenue dans un petit groupe1 », inventé par Lacan au moment où il fonde l’École freudienne de Paris. Une rencontre qui a fait démonstration, en réunissant des personnes d’horizons très différents, que le cartel est un outil qui peut se combiner à l’envi, pour produire des travaux porteurs de l’effet de surprise de leurs auteurs.

Les interventions et les discussions qu’elles ont provoquées, tant du côté des textes produits de cartels de l’année écoulée sur des thèmes très variés que du côté des introductions et conférences, se sont déployées de manière inventive autour de cet axe du cartel, sa nature, ses effets. L’occasion de rappeler que le savoir vaut beau-coût2 et qu’il est moins difficile de l’acquérir que d’en jouir. Avec le désir comme fil conducteur, la transmission d’un savoir qui fait lien entre les participants, le cartel est multiple et ses applications toujours singulières et créatives. Plusieurs textes, mises à ciel ouvert des travaux de l’année l’ont illustré par ce qui a été nommé « effet de cartel », une originalité permise et soutenue par le dispositif. Rencontre des corps et paroles, le cartel suscite une élaboration vivante ; c’est en partant de leurs savoirs particuliers et leurs insignes que travaillent les membres d’un cartel. Ceci s’est démontré ce jour-là. Un travail s’est construit autour de références données par Lacan dans le Séminaire Encore : lecture et commentaire du Cratyle de Platon3 qui interroge le non rapport entre signifiant et signifié, un point qui a ouvert une trajectoire qui s’est poursuivie dans la littérature. Un autre texte a abordé Le guerrier appliqué4 de Jean Paulhan, cité par Lacan5 pour aborder le concept de destitution subjective inhérente à la position de l’analyste, et rapporté quel usage a pu en être fait autour des conséquences de la guerre moderne. Une interrogation soutenue sur les rapports entre science et psychanalyse a conduit, à travers la question de la cause, à revenir sur l’hypothèse de l’inconscient, à l’aborder comme battement, discontinuité, béance où peut se produire la trouvaille6. Une étude précise et rigoureuse du dispositif de cartel en a souligné les mécanismes : principe de dérangement par son instabilité provoquée, le cartel produit une circulation d’idées. Véritable tourbillon autour d’un trou, désir, savoir, trouvaille se mêlent et s’enroulent pour tourner en une valse d’idées propice à la découverte pour chacun. Lacan a noué analyse personnelle, contrôle, enseignement, et cette journée de rencontre, d’étude et de discussion a démontré, encore, le rapport entre le plus intime de soi, le concept et sa propre analyse.

1 Lacan J., « Acte de fondation », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 229.

2 Lacan J., Le séminaire, Livre XX, Encore, Paris, Seuil, 1975, p. 89.

3 Platon, Cratyle, [ou sur la justesse des noms], GF, Paris, 1967, p. 387-473

4 Paulhan J., Le guerrier appliqué, Paris, Gallimard, 1930.

5 Lacan J., « Discours à l’École freudienne de Paris », Autres écrits, op. cit., p. 273.

6 Lacan J., Le séminaire, Livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1973, p. 27.




Psychanalyse dans et entre les institutions

Pénélope Fay dans l’Hebdo Blog n° 116 ré-impulse chez moi la nécessité de faire savoir une part de ce qui se passe au delà de notre ACF et pas sans elle.

Tout a commencé par la proposition de Christiane Alberti, vers les 44è Journées de l’ECF, Etre mère, d’activer nos réseaux au-delà de notre ACF. Ce qui fut fait pour le réseau de notre institution « Case Marmaillons »1.

Nous ne savions pas comment, ni ce que, de ce thème nous extrairions. Rien n’était dévoilé, nous avions à interpréter et tenter d’en lire quelque chose. Nous avons abordé des collègues hors de notre champ avec lesquels nous avions l’habitude de travailler ou d’échanger. Ce furent des rencontres au un par un avec ceux de nos plus proches collaborateurs, réseau LAEP2, dont « Kaz Timoun », les unités de Périnatalité, les services de Maternité et de Pédiatrie du CHU Sud Réunion, le Conseil départemental et la PMI.

Dans ces rencontres préalables, nous avons présenté, questionné ensemble le thème, jusqu’à : « Mais c’est quoi être mère ? » et puis  « On n’est pas obligée  ! » et « Ma mère me bouffe ! »  A partir de là, certains collègues ou groupes de collègues ont décidé d’écrire une vignette questionnant leur pratique en s’appuyant ce qu’ils découvraient du thème. La Conversation clinique autour de quatre vignettes de collègues de différentes institutions, de différentes pratiques, de différentes fonctions, a eu lieu à « Case Marmaillons ».

Cela n’a pas été sans conséquences. Pour les 45è journées, Faire couple, un pas de plus, nous avons envoyé, aux interlocuteurs dans les instituions un mail avec le thème et l’argument, ce qui a suscité des questions (« Comment faire quand il y a une coagulation dans le couple mère-enfant ?»…)   et a impulsé un désir de travail dans les équipes des LAEP, de la périnatalité, pédiatrie, ARPEJE3, CAMSP4, SESSAD5. La Conversation clinique s’est faite à partir de cinq vignettes au stade de Saint-Pierre.

Le thème des 46è journées, L’objet regard a provoqué beaucoup d’interrogations : qui n’est pas sous le regard, surtout dans les institutions ? Comment accompagner un enfant sous le regard de ses parents ? Une nouveauté, Marie-Pierre Audouy nous a invités dans son institution où la psychanalyse ne va pas de soi. Sa directrice nous a accueillis et là trois vignettes nous ont permis de tourner autour du thème, chacun à sa façon, dans sa pratique et son institution. Six institutions y ont participé.

Pour les 47è journées Apprendre : désir ou dressage ? encore du nouveau, faire cartel pour préparer des conversations cliniques. Ce cartel va vers les 47è journées et la Journée de l’Institut de l’Enfant. Avec des questions : Les enfants violents et Apprendre ? Pour eux, pour nous ? En utilisant la phrase de P. Fay : Par quel bout l’attraperaient-ils ?  Et nous ?

Notre désir aussi est d’entrer dans des institutions où nous ne sommes pas, ou pas reconnus mais où des collègues font les petites souris et peuvent discrètement nous ouvrir la porte. Nous avons été invités au CAMSP où deux vignettes ont été mises au débat et des collègues qui nous recevaient ont pu évoquer leur pratique.

Pour conclure, la nécessité de loger ce travail sous un titre m’a paru fondamental. Aussi j’ai proposé que ces actions soient intitulées : « Psychanalyse entre et dans les institutions : Conversations Cliniques » On pourrait rajouter Hors-les-Murs.

1 CM lieu d’accueil d’enfants jusqu’à 6 ans avec leurs parents

2 LAEP : Lieu d’Accueil Enfant Parent

3 ARPEJE : Association Réunionnaise de Protection et de l’Education de la jeunesse

4 CAMSP : Centre d’accueil médico-social précoce

5 SESSAD : Service Educatif Soin Spécialisé à Domicile