« Identifications et avatars vont de pair » [1], indique Gil Caroz dès le début de la présentation de la Journée Uforca 2023.
Une identification peut chuter, peut se transformer, varier, mais elle est toujours corrélée à une jouissance. Gil Caroz note justement que « signifiant et jouissance sont deux éléments hétérogènes » [2], la corrélation de deux éléments hétérogènes ne pouvant qu’entrainer des avatars.
L’instabilité identificatoire résulte de nos jours de la chute du signifiant du Nom-du-Père en place de signifiant maître.
Le sujet est donc face à un choix démultiplié de signifiants pour tenter de trouver une identification stable. Le dico contemporain, donné par Jacques-Alain Miller en 2022 : « je suis ce que je dis » renvoie bien à cette efflorescence identificatoire, détachée d’un ancrage dans le corps. L’identification au signifiant du Nom-du-Père ancrait le sujet, soumis à la castration, dans un corps phallicisé. Les temps ont changé, les identifications multiples délestées du corps comme Autre, autorisent le sujet à toutes les transitions.
Dans Le Séminaire, livre XIX, …ou pire, Lacan évoque cette distinction à propos du transsexualisme et il énonce que « c’est en tant que signifiant que le transsexualiste n’en veut plus [du phallus], et non pas en tant qu’organe. » [3] Il ajoute « Le transsexualiste ne veut plus être signifié phallus par le discours sexuel » [4].
Il pense résoudre cette difficulté par un passage au réel, un genre nouveau, un corps à sa mesure. Il croit pouvoir dissocier le signifiant et la jouissance, c’est son erreur.
Le film de Pedro Almodovar, La piel que habito, démontre avec brio ce qu’est cette erreur.
Vicente, victime de la vengeance d’un chirurgien « déterminé » est pris en otage et se réveille Véra, transformé en femme, avec un corps de femme, un sexe de femme. Vera apprivoise peu à peu cette nouvelle image, elle tombe amoureuse de son bourreau, qu’elle finit par tuer quand elle tombe par hasard sur une photo de l’homme qu’elle était avant. Au cours du film Vera est de plus en plus identifiée à son nouveau genre. Mais le bouclage du film, son point de capiton, s’entend dans la courte phrase que Vera dit à sa mère qui ne peut la reconnaitre. Elle arrive chez sa mère, revêtue des semblants de la féminité, jolie robe et maquillage et lui dit après un long temps de silence : « Soy Vicente. »
Elle est Vicente, de toujours pour toujours, à jamais dans la peau d’une autre, revêtue de son enveloppe féminine.
Ce film, remarquable, prouve, par extension, que pour un homme « en transition », dire « je suis une femme », ne suffit pas à ce qu’il le devienne.
Ce film préfigure le nouveau dico de ce siècle débutant, apporté par Jacques-Alain Miller en 2022 : « je suis ce que je dis » qu’Almodovar anticipe avec précision et justesse. Il pointe l’erreur que Vicente ne peut pas faire, mais qu’il démontre : le refus d’articuler le signifiant phallique et la jouissance du corps.
Les sujets « en transition » veulent une nouvelle identité de genre avec une volonté d’avoir, dans le réel, un corps qui s’accorde à cette identité.
De ce fait ils se construisent un nouveau corps dans le réel, répondant au signifiant identitaire de genre qu’ils se sont choisis, commettant l’erreur de croire qu’ils peuvent faire fi de la jouissance attachée, de toujours, à ce corps.
Des effets, en particulier dépressifs s’en suivent fréquemment.
Jean-Pierre Deffieux
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[1] Caroz G., « Avatars des identifications », argument du colloque Uforca 2023, Ironik-55, disponible sur internet : https://www.lacan-universite.fr/avatars-des-identifications-argument-du-colloque-uforca-2023-en-visio-conference/
[2] Ibid.
[3] Lacan J., Le Séminaire, livre XIX, …ou pire, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2011, p. 17.
[4] Ibid.