« Mais il n’y a pas à envisager de dévalorisation ou de valorisation de la vieillesse. Elle est ce qu’elle est. D’ailleurs je ne crois pas exacte la description de la vieillesse comme le fait de parvenir à un âge auquel on soit en dehors des passions de l’amour, etc. Ce fait ne paraît pas excessivement sûr. Ceux qui vivent avec des vieillards s’aperçoivent que les drames sentimentaux sont nombreux et fréquents parmi eux. »[1] Jacques Lacan.
Un huis clos à l’amour, à la mort. Voilà ce que nous propose le film de Michael Haneke, primé en 2012 à Cannes. Un couple en vase clos dont l’histoire pourtant résonne pour tous et en chacun de par son réel universel. Au fil des scènes, nous suivons leur évolution au rythme saccadé des attaques cérébrales, qui constituent autant d’épreuves auxquelles ils tentent ensemble de faire face. Tour à tour, Georges, un homme aimant, que Anne, sa femme, décrit tendrement comme « un monstre qui est gentil parfois », se fait auxiliaire de vie, kinésithérapeute ou encore orthophoniste pour elle.
Au retour de l’hôpital, les deux partenaires retrouvent le contact d’un corps à corps à l’occasion d’un transfert. Soit, en terme de rééducation fonctionnelle, le passage d’une chaise roulante à un fauteuil. Pour ce qui est de notre transfert à nous, il joue à n’en pas douter sa partition dans ce couple bouleversé et bouleversant. S’en suivront, alors, des scènes où des corps amoureux s’enlacent l’un à l’autre comme pour les derniers pas de danse de leur vie. L’appui sur le corps de l’autre permet de se lever, de marcher, de se laver, d’uriner. Haneke fera dire à Trintignant que « rien de tout cela ne mérite d’être montré », mais pourtant le réalisateur autrichien arrive à l’explorer avec un regard qui se fait, tour à tour, pudique, tendre ou beaucoup plus cru.
À un moment, par la fenêtre, au-dessus de l’épaule d’Isabelle Huppert, fille déboussolée, la perspective d’une rue parisienne, tout à la fois droite mais à l’horizon bouché, nous laisse présager du destin à venir pour Anne et Georges. « Tu as ta vie, laisse-nous la nôtre », c’est ainsi que le père suppliera la fille de laisser de côté le couple parental. Il n’y à pas de place dans ce petit appartement pour une tierce personne, c’est une histoire à deux.
Pendant deux heures, le réel que nous présente Haneke ne se dérobe pas. Le désenchevêtrement pulsionnel que connaîtront les deux protagonistes les mènera à leur fin. D’un côté Anne, refusant de soutenir le regard de l’autre, et aspirant à une mort prompte, et de l’autre, Georges, dont le corps et l’esprit s’affaissent à mesure que la pulsion de mort se déchaîne hors de ses liaisons à l’objet qui jusque-là faisait boussole. Un départ à deux s’impose alors, la route tracée par ce couple ne pouvant plus être parcourue en solitaire.
[1] Lacan J., Intervention sur l’exposé de J. R. Cuel « Place nosographique de certaines démences préséniles (types Pick et Alzheimer) », Groupe de l’Évolution psychiatrique, L’Évolution psychiatrique, 1948, fascicule II, p. 72.