La vérité sur la jouissance n’existe pas. Jacques-Alain Miller le rappelle : « La jouissance ne dit pas Je parle. Elle ne dit pas non plus Je ne parle pas. […] La jouissance silet1 ». C’est dans son cours Silet qu’il s’intéresse aux différents modes de jouissance du sujet : « En effet, si à ce niveau il n’y a pas de manque, il faut au moins que l’on puisse dire qu’on passe d’un mode de jouissance à un autre2 ». Il place le silence au principe de l’analyse : « Le silence est un rapport éminent du sujet au signifiant et ce silence-là est […] à la croisée des chemins de l’analyste et de la pulsion3 ».
Silence de la pulsion
Comment l’épreuve du manque-à-être que constitue la parole est-elle susceptible de produire cette rectification de l’état constant de satisfaction, qui résonne avec le silence de la pulsion ?
Éric Laurent, dans son texte « La traversée, le littoral et la marque4 », cite Lacan qui disait que la fin de l’analyse se produit « quand on a deux fois tourné en rond, c’est-à-dire, retrouvé ce dont on est prisonnier5 ». Que peut donc désigner ce « deux fois tourné en rond » énigmatique, eu égard à une longue analyse où les tours de la demande sont multiples avant de pouvoir serrer l’objet a comme enforme de l’Autre6 ?
Deux bouches pour un sujet
À partir de la clinique, É. Laurent s’interroge sur le recouvrement régressif des « deux bouches du sujet7 » : la bouche qui mange et la bouche qui demande. Comment faire pour que l’analyse ne se termine pas sur l’objet oral ? Cela dépend évidemment de la direction de la cure. Comment le transfini de la demande peut-il se résoudre ? Dans « L’étourdit8 », Lacan distingue le terme d’une analyse et sa fin, dans la mesure où seule la fin permettrait d’extraire un savoir sur l’opération analytique. Du symptôme au fantasme, la jouissance insiste, pousse – Ça urge ! Le sinthome vient nommer le mode de jouissance singulier d’un parlêtre. L’élucubration de savoir ne suffisant pas, l’accent est mis sur la satisfaction de la fin.
Pour Lacan, ce qui se dit à partir de l’inconscient participe de l’équivoque. C’est l’équivalence du son et du sens qui lui a permis d’avancer que l’inconscient était structuré comme un langage. En percutant le sens joui, l’équivoque peut produire un passage soudain du sens au non-sens. Le fantasme ouvre alors sur un au-delà des fictions de l’être, et de l’objet a qui donnait forme à la jouissance. Reste une jouissance informe, innommable.
Saisir ce qui ne parle pas
Comment saisir ce qui ne parle pas, si ce n’est par le réel de la lettre ? Le sujet est un effet de langage, mais c’est « un effet de vide9 ». Faire valoir la différence entre tacere (se taire) et silere10 élève le silence à la dignité de l’acte analytique. Cela suppose le vidage de cette jouissance orale qui, se refermant sur elle-même, obturait la place vide de l’analyste.
Marie-Hélène Blancard
[1]. Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Silet », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, cours du 23 novembre 1994, publié dans Horizon, n°65, octobre 2020, « À partir du silence », p. 28.
[2]. Ibid., p. 27.
[3].Ibid., p. 22.
[4]. Laurent É., « La traversée, le littoral et la marque dans une psychanalyse », La Cause du désir, n°118, p. 181.
[5]. Ibid. et cf. Lacan J., Le Séminaire, livre XXV, « Le moment de conclure », leçon du 10 janvier 1978, inédit.
[6]. Ibid., p. 185.
[7]. Laurent E., « Les deux bouches du sujet », Analytica, vol. 45, Le Champ freudien, 1986, p. 43-47.
[8]. Cf. Lacan J., « L’étourdit », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001.
[9]. Lacan J., Le Séminaire, livre XIV, La Logique du fantasme, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil & Le Champ freudien, 2023, p. 257.
[10]. Cf. Lacan J., Le Séminaire, livre XII, Problèmes cruciaux pour la psychanalyse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil & Le Champ freudien, 2025, p. 221.




