Notre modernité fournit un flot continu d’images – à la télévision, sur les réseaux sociaux, dans l’espace public, etc. – auquel chacun est exposé quotidiennement. Le champ visuel en est saturé. Cela permet-il pour autant de voir ? Cette question est centrale, car elle souligne ce que l’image et le voir cherchent à voiler, un point inquiétant, étrange, qui déstabilise : l’objet regard.
Lacan parle à ce propos de schize : le regard en tant qu’objet a est séparé de l’œil et « ne se présente à nous que sous la forme d’une étrange contingence, symbolique de ce que nous trouvons à l’horizon et comme butée de notre expérience, à savoir le manque constitutif de l’angoisse de la castration1 ». Objet du désir, logé dans l’Autre ou dans les figures de la représentation, il y est « éludé ». Néanmoins, si cet objet est dévoilé, le sentiment d’étrangeté émerge et avec lui l’angoisse : « Au regard de l’Autre s’attache toujours une étrangeté. Le regard porte en lui et nourrit des phénomènes […] d’étrangeté inquiétante2 ». Mise au jour par Freud, cette dimension d’inquiétante étrangeté est suscitée par cet objet du désir. Lire, extraire du malaise inhérent à la rencontre avec l’objet a un savoir, c’est le travail d’une analyse.
Ce numéro s’attache à interroger ce lien singulier entre le regard et l’inquiétante étrangeté à partir de souvenirs personnels de Freud, de l’interprétation cinématographique en la matière et de l’écueil de son traitement par le discours capitaliste. Les photographies de doubles fantomatiques de l’artiste dessinent en creux l’étrangeté qui troue l’image.
Dominique Pasco & Romain Aubé
[1] Lacan J., Le Séminaire, livre XI, Les Quatre Concepts fondamentaux de la psychanalyse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1973, p. 69-70.
[2] Miller J.-A., « D’un regard, l’étrangeté », La Cause du désir, n°102, juin 2019, p. 45.




