« Le comique dans la clinique est-il la voie royale pour saisir l’ampleur du malaise dans la culture ?1 » C’est la question posée par Laura Sokolowsky dans son argument préparatoire aux 55es Journées de l’École de la Cause freudienne. Cette proposition audacieuse reprend la citation de Freud, qui nous indique que « chaque rêve éveille, fait agir une partie de la force inactivée du préconscient2 », de sorte que l’analyse des rêves peut conduire sur la voie de son désir inconscient.
Une époque qui ne prête pas à rire
Notre monde, marqué par les pouvoirs foisonnants de l’imaginaire, est témoin d’un certain « basculement des temps3 ». L’époque est à la mise en scène d’impérialismes erratiques, où prévaut l’écrasement du plus faible par le plus fort. Elle est celle d’un langage politique qui nous « présente […] des images aux couleurs les plus criardes, [qui] exag[ère et] répète […] sans cesse la même chose4 », un langage qui verse désormais dans « l’infantile » et « la brutalité »5, emportant avec lui un monde devenu « terrible et féroce6 ». Un tel spectacle ne peut qu’émouvoir profondément, exciter les foules ou laisser dépité et impuissant.
En quoi le comique constitue-t-il une voie d’accès à ce qui trame le malaise contemporain ?
Abord du malaise par le singulier
Prenons cet exemple d’une femme évoquant dans son analyse « la glue » de la jouissance maternelle, signifiant répété à l’envi, empreint de pathos. L’interprétation, énoncée avec l’accent chantant de celle qui la porte, fuse : glouglouglouglou. Le sujet éclate de rire avant de témoigner de son allègement. La découpe opérée produisant une forme de décollage, il rit de lui-même, dans la distance prise avec le moi, et la libération d’une part de vivant. Le comique indexe ici un changement dans le dire.
Habiter l’imaginaire autrement
L’effet de comique distingue les deux versants de l’imaginaire. Là où cette dit-mansion avait été investie du côté de ce qui occulte et opacifie, charriant fixité des outrages et douleur des blessures, c’est désormais sa version marquée du « jouir de la vie » qui se trouve libérée, dimension connectée au corps vivant, jouissant. Ce changement dans la manière dont le sujet investit ce lieu du dit qu’est l’imaginaire, lui ouvre une respiration inédite.
Dans un monde pathétique, le comique dans la clinique permet ainsi de maintenir vibrante l’énigme du vivant et offre la possibilité de réaménagements dans le dire. Dès lors, le sujet peut s’orienter de ce qui le constitue en son plus singulier, ce qui n’est pas sans effet sur le lien social. Quoi de plus politique ?
Anne Colombel-Plouzennec
[1] Sokolowsky L., « Argument », 55es journées de l’ECF « Le comique dans la clinique », publication en ligne (journees.causefreudienne.org).
[2] Freud S., L’Interprétation des rêves, Paris, PUF, 1971, p. 489.
[3] Cf. Audouin-Rouzeau S., émission C ce soir, juillet 2025.
[4] Freud S., « Psychologie collective et analyse du moi », Essais de psychanalyse, Paris, Payot, 1968, disponible sur internet.
[5] Cf. Audouin-Rouzeau S., émission C ce soir, juillet 2025.
[6] Monnier J., « Argument », Section clinique de Rennes 2025-2026 « La clinique analytique contemporaine et la puissance de l’imaginaire », disponible sur le site de la Section clinique de Rennes.