Q – On a pu suivre la préparation du Congrès de la NLS, Les amours douloureuses, qui se tiendra à Paris les 17 et 18 mai prochain. Sa Newsletter régulière, son rythme de diffusion soutenu, son blog et les réseaux sociaux s’en sont fait l’écho. Quelle a été l’orientation donnée à ce travail et où en sommes-nous ?
EZ – Où en sommes-nous ? Eh bien le lieu à Paris avait une jauge qui a été vite atteinte. Si bien que face à l’affluence, l’organisation du Congrès a décidé d’ouvrir la possibilité de le suivre en visioconférence.
Le Congrès de la NLS est un moment fort de l’École, ponctuation du travail d’une année de ses Sociétés, groupes et initiatives. Le blog et sa Newsletter ont été pensés comme exploratoires de l’événement. L’argument de Patricia Bosquin‑Caroz, présidente de la NLS, qui ouvrait en juin dernier des perspectives précises a permis de structurer le blog en rubriques : Deuils et ruptures ; Amours monstres ; Amours empêchées ; Amour et discours ; L’homme, la femme et l’amour ; Amour, savoir et vérité, que des plumes de la NLS ont introduites. La Newsletter EROS a bien porté son nom, suscitant le désir d’y décocher une flèche. La bibliographie a permis de parcourir le thème et d’y trouver l’inspiration pour une flèche ou un cas clinique.
Q – Exploratoire, d’accord, mais pouvez-vous en dire plus sur les enjeux du Congrès ?
EZ – Lacan l’a noté dans son interprétation continue des effets des discours de la science et du capitalisme dans notre civilisation : l’amour, qui est pourtant un fait social – la culture en témoigne –, n’a pas la cote : il y a une précarité du lien amoureux. Remettre l’amour à la une, l’étudier dans un Congrès, c’est alors rappeler sa fonction éminente, souvent découverte ou redécouverte par les analysants, à commencer dans l’expérience qu’ils font du transfert. C’est aussi éclairer comment l’amour se noue ou pas avec le désir et la jouissance. C’est enfin rappeler que les voies de l’amour ne sont pas sans risque : l’amour peut être douloureux, et il l’est peut-être de manière structurelle.
Q – Cette question de l’amour douloureux est-elle abordée par Freud ? Qu’en est-il chez Lacan ?
EZ – Freud en parle dans son Malaise dans la civilisation, dès les premières pages, éclairant la façon dont les hommes centrent leur existence par l’amour, dans leur quête du bonheur, et mettant en garde contre le contre-coup de souffrance. Il examine aussi l’amour chrétien et met sur la sellette le commandement Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Sur le premier point, Freud note les replis sur le fantasme et évoque à cette occasion la retraite de l’anachorète. Les solitudes et célibats s’appuient aujourd’hui sur la consommation d’images et de pornographie. C’est sur fond de ce contexte pulsionnel qu’il est pertinent d’interroger les amours douloureuses. Chez Lacan, on pourrait souligner une tension entre la version d’un amour comme tournant le dos au savoir inconscient et un amour comme suppléance au non-rapport sexuel, donc comme solution. Il reste que dans l’amour, la parole, le dire, voire le bien-dire y ont une place centrale, d’où sa fonction dans l’expérience analytique.
Q – Alors comme dit la chanson, « il n’y a pas d’amour heureux » ?
EZ – Je vois que vous connaissez vos classiques ! L’amour est douloureux en différents sens : passion de l’ignorance ; prison du désir alors qu’il peut en être une voie d’accès ; douleur de le perdre et son cortège de ruptures et de deuils, ou quand il n’est pas réciproque ; parcours de jouissance mauvaise fait souvent de partenaires Kleenex quand on l’évite soigneusement. Voyez Anora, dernière Palme d’or du Festival de Cannes. C’est un portrait de femme très convaincant dans un style burlesque, où les hommes figurent comme de doux loosers et où chacun baigne seul dans sa jouissance : alcool, drogue, sexe. Anora sort du lot, animée par un dur désir de s’en sortir. La voie de l’amour est bien obstruée et je vous laisse découvrir comment, au bout d’une folle cavalcade faite de douloureuses péripéties, elle finit par l’emprunter par le truchement du personnage le plus improbable de l’histoire avec qui pourtant il y a enfin une rencontre.