L’enseignement de Lacan n’apparaît pas linéaire, il existe des ruptures subtiles, des changements de paradigme. Nous devons à Jacques-Alain Miller de nous permettre d’en saisir la logique à travers l’ordre de publication des séminaires, la parution du Séminaire VI en étant un exemple particulièrement éclairant. Notre combat doit aussi s’engager sur le terrain d’une mise à ciel ouvert de la psychanalyse comme un « instrument terriblement efficace » : il s’agit d’en démontrer les effets dans l’expérience. Ce texte de Fatiha. Belghomari y contribue.
Dès l’introduction du Séminaire VI[2], Jacques Lacan précise ce que nous pouvons attendre d’un traitement : une modification de structure.
Cette thèse vient après deux textes majeurs : « D’une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose »[3] et « La direction de la cure et les principes de son pouvoirs »[4]. D’emblée, Lacan souligne que « Une analyse […], c’est un traitement, un traitement psychique »[5], reprenant le développement freudien sur le traitement « de troubles psychiques ou corporels – [et ce], par ‘‘la simple’’ parole du médecin. »[6]
L’analyse, comme traitement des psychoses, a été interrogée à la suite des travaux de Lacan autour de la question de la pertinence du dispositif analytique auprès des psychotiques ainsi que de la position de l’analyste. La plupart des débats se sont conclus sur le fait que les analystes ont à se faire « secrétaires de l’aliéné »[7]. Puis, les élaborations cliniques et théoriques se sont centrées sur la question du traitement de la jouissance qui envahit le sujet psychotique. Ainsi, la limitation, la traduction, voire la nomination[8] sont alors apparues comme autant de modalités possibles de traitement de cette jouissance. La nomination vient s’inscrire dans le droit fil de la thèse de Freud selon laquelle la fonction paternelle, de par l’interdit qu’elle promeut, circonscrit la jouissance. Lacan notera que dans « le fait […] donné par l’expérience, […] c’est tout autre chose qui s’opère, à savoir la normalisation du désir dans les voies de la loi »[9].
Lacan relève une modification sur les actes manqués, les symptômes et les structures « qui s’appellent névroses ou les neuropsychoses, et que Freud a d’abord structurées et qualifiées comme neuropsychoses de défense »[10]. Voilà dans quelles perspectives s’inscrit son propos. Lacan se réfère à deux textes[11] dont les traductions usuelles ne rendent pas compte de la portée de la découverte freudienne du point de vue structural. Traduire « psychonévrose » est un contresens dans la mesure où Freud lui-même précise que psycho est ce qui a à voir avec l’âme, les affects et qu’« il n’est pas rare qu’une psychose de défense vienne épisodiquement interrompre le cours d’une névrose hystérique ou mixte »[12].
Le « modificateur » serait l’agent qui produit des changements non de jouissance mais du désir. Le traitement viserait à en produire des effets. Modifier la structure, c’est modifier le désir qui est « avant tout l’effet de la structure du langage »[13] mais aussi « une défense d’outrepasser une limite dans la jouissance »[14]. Limiter donc la jouissance induirait une modification de la structure du désir.
Il s’agirait de permettre que le sujet cerne son objet qui va le rendre désirant. Si nommer, c’est apporter au sujet psychotique des signifiants pour border sa jouissance, n’est-ce pas faire trou pour qu’y soit logé un désir décongelé[15] ?
Cette introduction ne marque-t-elle pas ce qui, de la modification structurale, doit être visé, soit une modification de la structure du désir que la psychanalyse traiterait tel « un instrument terriblement efficace »[16] ?
[1] Lacan J., Le Séminaire, livre VI, Le désir et son interprétation, Paris, Éditions de la Martinière et Le Champ Freudien Éditeur, 2013, p. 11.
[2] Ibid.
[3] Lacan J., « D’une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose », Écrits, Paris, Seuil, 1966.
[4] Lacan J., « La direction de la cure et les principes de son pouvoir », Écrits, op. cit.
[5] Lacan J., Le Séminaire, livre VI, Le désir et son interprétation, op. cit.
[6] Freud S., « Traitement psychique », Résultats, idées, problèmes, tome I, Paris, PUF, 1984, p. 2.
[7] Lacan J., Le Séminaire, livre III, Les psychoses, Paris, Seuil, 1981, p. 233.
[8] Cf. l’éditorial de Guy Poblome, « Conversations, traductions, nominations », Les feuillets psychanalytiques du Courtil, n° 22, mai 2004.
[9] Lacan J., Le Séminaire, livre X, L’angoisse, Paris, Seuil, 2004, p. 389.
[10] Lacan J., Le Séminaire, livre VI, Le désir et son interprétation, op. cit.
[11] Cf. Freud S., « Les psychonévroses de défense », « Nouvelles remarques sur lespsychonévroses de défense », Névrose, psychose et perversion, Paris, PUF, 1981.
[12] Ibid., p. 14.
[13] Miller J.-A., « Lacan, professeur de désir », propos recueillis par Christophe Labbé et Olivia Recasens, le 6 juin 2013, Le Point.fr http://www.lepoint.fr/culture/lacan-professeur-de-desir-06-06-2013-1688542_3.php
[14] Lacan J., « Subversion du sujet et dialectique du désir », Écrits, op. cit., p. 825.
[15] Cf. Lacan J., Le Séminaire, Livre XXII, « R.S.I. », leçon du 8 avril 1975, in Ornicar ? n° 5, hiver 1975/76, p. 42 : « la paranoïa, […] c’est un engluement imaginaire. C’est une voix qui sonorise le regard qui y est prévalent, c’est une affaire de congélation du désir ».
[16] Lacan J., « Les clefs de la psychanalyse », Entretien avec Madeleine Chapsal, paru dans L’Express n° 310, 31 mai 1957.