La cause de l’autisme

Un enfant attend dans la salle d’attente de la consultation. Il est avec sa mère, il est sage et tranquille, consulte un livre, échange quelques mots. La semaine suivante, le même enfant attend dans la même salle d’attente. Il est avec son infirmière – qu’il connaît bien. Il est agité et pousse des cris qui s’entendent dans tout le bâtiment, il dit qu’il veut « la voir », qu’il sait « qu’elle est derrière cette porte ». L’infirmière est embarrassée, elle veut sortir et s’éloigner.

Que faut-il en déduire ? Que cet enfant – dit autiste – ne supporte qu’une seule autorité, celle de sa mère ? Qu’en son absence il a un trouble du comportement et des conduites sociales ? Que l’infirmière est incompétente face à ce « comportement-problème » parce qu’elle n’a pas été formée aux bonnes méthodes, celles recommandées par la Haute Autorité de Santé ?

Nous ne le pensons pas. Écoutons-le : il crie une absence, féminine. Est-ce celle de sa mère ? De la psychologue qui le reçoit ? De la jeune fille qui vient de quitter la salle d’attente ? Nous ne le savons pas.

Mais nous savons une chose : il fait entendre sa voix dans tout le bâtiment. Sa voix emplit désormais  une absence qui avait pour lui creusé un trou, une déchirure dans le monde.

Nous savons aussi que cette déchirure peut très vite devenir abîme dans lequel l’enfant peut tomber la tête la première, comme un corps en perdition, et dans lequel l’adulte ou les adultes présents sont aspirés, pour faire taire cette voix, au moment même où elle est la seule solution disponible.

Ce cri est en effet à la fois porteur de la puissance de négativité à laquelle a à faire l’enfant dit autiste et à la fois construction d’un espace plus humain, « derrière la porte », là où on peut se cacher. Stéréotypies, balancements, quelquefois automutilations, répondent à la même logique, difficilement déchiffrable. Ce sont des effets, mais nous n’en connaissons pas la cause. Psychanalystes, nous ne cherchons pas à combler le trou de cette cause obscure qui aurait de tels effets. Mais, entre ces effets et cette cause, nous supposons un sujet. C’est un pari, mais c’est lui, ce sujet à naître, que nous appelons à la rescousse avec une voix douce, des bribes de chansons et d’histoire, et tout autre moyen à notre disposition qui permettra de créer un lieu pour faire advenir un sujet à cette voix que le cri est venu recouvrir.

On peut vouloir ne rien connaître de cette puissance de négativité dont est porteur l’enfant dit autiste, et dont  il souffre, mais les habits neufs du « trouble neuro-développemental », des « comorbidités » et des « méthodes scientifiquement validées », ne peuvent faire taire ce cri, ni arrêter ces stéréotypies. Il y a d’autres voies à explorer avec l’enfant, qui l’allègeront du poids de cette négativité, et elles sont nombreuses, et nombreux sont les parents et les professionnels, orientés ou non par la psychanalyse, orientés par les résonnances que ce cri a suscité en eux, qui accompagnent l’enfant dit autiste dans cette « incroyable diversité des chemins ».

Nous, psychanalystes, parents, citoyens, posons souvent la question : pourquoi l’autisme occupe-t-il aujourd’hui une telle place dans le débat public, pourquoi suscite-t-il de telles prises de position, souvent outrées, à tous les niveaux du corps social, jusqu’aux instances de la démocratie parlementaires et de l’état ?

Voici ma réponse, celle qui me vient aujourd’hui avec le souvenir des quelques mots échangés alors avec cet enfant-là : parce qu’il est dur d’entendre, dans ce cri qui affole, la voix singulière de cet enfant-là.

Telle est la cause de l’autisme que nous soutenons : maintenir, un temps, cet espace où ni l’enfant ni ceux qui l’entourent ne tombent, le temps de trouver une petite solution pour que la voix du sujet se fasse entendre. Sinon il disparaîtra de nouveau, pour longtemps.

Cette cause de l’autisme est aujourd’hui une cause à défendre – avec la psychanalyse.

Le blog La cause de l’autisme est ouvert et accueillera bientôt les initiatives, les difficultés rencontrées sur le terrain, et les divers événements qui soutiennent cette cause.

On y signe aujourd’hui la pétition Oui au choix de la méthode de soin – Non à l’interdiction de la psychanalyse : https://cause-autisme.fr/




Imposer une science totale à l’autisme

Imposer une science totale de l’autisme à ceux qui sur le terrain en connaissent les limites et les incertitudes, telle est l’ambition de M. Fasquelle et de quelques députés « Les républicains », à la faveur d’un projet de résolution déposé à l’Assemblée Nationale. Où puisent-ils leur science achevée de l’autisme ? Elle leur viendrait des recommandations de 2012 élaborées par la Haute Autorité de Santé. Or les députés procèdent à un détournement de celles-ci sur plusieurs points.

Les recommandations de la HAS sont des aides à la décision qui tiennent à préserver le discernement du clinicien. En transformant ces recommandations en injonctions, les députés veulent dicter aux professionnels ce qu’ils doivent faire et penser, les privant de la responsabilité de leur acte, et de la nécessaire adaptation de celui-ci à la singularité du patient. Porter ainsi atteinte à la liberté de prescription des médecins les a rapidement conduit à réagir par milliers[1] ; tandis que les psychologues et les psychiatres des hôpitaux dénoncent la mise en danger de la liberté académique, inséparable de toute élaboration et diffusion des connaissances scientifiques[2].

En ce qui concerne la prise en charge de l’autisme, les députés, qui n’ont certes pas pris le temps de lire les 465 pages de l’argumentaire scientifique de la HAS, croient naïvement qu’il existe des méthodes « validées scientifiquement ayant fait preuve de leur efficacité ». Or il n’en est rien. La HAS se montre très prudente. Des trois méthodes recommandées (ABA, Denver et TEACCH), elle estime que seules les deux premières atteignent « une présomption scientifique » d’efficacité (grade B), la troisième « un faible niveau de preuve » (grade C). Aucune des trois ne parvient au grade A, celui de la validation scientifique[3]. Pour cela une raison majeure : dans les méta-analyses il est régulièrement constaté qu‘environ 50% des enfants ne sont pas améliorés. Encore cette amélioration ne porte-t-elle que sur « le quotient intellectuel, les compétences de communication et le langage » ; pour ce qui est de l’essentiel, à savoir « les comportements adaptatifs », dont dépend l’insertion sociale, les résultats sont moins probants encore. De surcroît « les effets à l’adolescence et à l’âge adulte ne sont pas connus »[4].

Les travaux postérieurs à la publication du rapport de la HAS en 2012 n’ont fait qu’accentuer la circonspection de celui-ci. La NICE (National Institut for Health and Care Excellence), équivalente anglaise de la HAS, ne fait plus mention de la méthode ABA depuis 2013. Elle confirme en 2016 prôner essentiellement pour la prise en charge de l’autisme des interventions psychosociales effectuées par une équipe multidisciplinaire[5].

En 2014, est publié aux USA par l’AHRQ (Agency for Healthcare Research and Quality ), un rapport de plus de 500 pages, quasi-exhaustif sur la littérature scientifique de langue anglaise concernant les approches éducatives de l’autisme. Il est constaté que les résultats les plus robustes de celles-ci mettent en évidence un gain concernant les capacités cognitives et les compétences linguistiques. Cependant les améliorations s’avèrent moins marquées concernant la sévérité du noyau des symptômes autistiques, les compétences adaptatives et le fonctionnement social[6]. « Notre confiance (fondée sur le niveau de la preuve), écrivent les experts, dans l’efficience des approches précoces et intensives fondées sur l’ABA concernant la cognition et le langage reste modérée, du fait que des recherches supplémentaires seraient nécessaires afin d’identifier quel groupe d’enfants tire le meilleur bénéfice des approches spécifiques de forte intensité. Le niveau de preuve quant à l’aptitude de ces interventions de forte intensité à produire un effet sur les compétences comportementales d’adaptation, sur les compétences sociales et sur la sévérité du noyau des symptômes autistiques est faible. [7] Qui plus est, en ce qui concerne l’acquisition des compétences cognitives et linguistiques leur impact sur le long terme reste incertain : beaucoup d’études n’ayant pas suivi les enfants au-delà de la pré-scolarité tardive ou des toutes premières années de scolarité[8].

Que les résultats de la méthode ABA quant à l’adaptation sociale soient « faibles », c’est ce que confirme son expérimentation en France, entre 2010 et 2014, dans 28 structures expérimentales bénéficiant de conditions d’encadrement et de financement particulièrement favorables. Une expertise indépendante observe que le taux d’inclusion scolaire des enfants autistes après plusieurs années de traitement n’y est que de 3%. (Les attentes avoisinaient 50% voire plus)[9]. Les évaluateurs aboutissent à un constat d’échec : « malgré les progrès individuels constatés pour une grande majorité d’enfants et de jeunes, le nombre de sorties est resté très limité sur la période, alors même que ce modèle d’intervention ne peut être tenable financièrement que si l’accompagnement intensif pour un même enfant est limité dans le temps (logique de parcours). »[10] Dès lors leur conclusion est nette : « cette solution est certes intéressante en termes de niveau individuel de prestation, mais n’est tout simplement pas tenable financièrement »[11]. Que malgré ce rapport peu flatteur le fonctionnement des 28 structures ait été prorogé, n’est-ce pas gaspillage de l’argent public ? Ce dernier ne serait-il pas mieux utilisé en finançant des études sur les résultats obtenus par des institutions orientées par la psychanalyse ?

D’autre part, estimant ne pas disposer d’éléments suffisants pour prendre position, faute de considérer les études de cas comme des documents probants, la HAS en 2012 classe la psychanalyse et la psychothérapie institutionnelle dans les « méthodes non consensuelles » pour la prise en charge de l’autisme. N’écoutant que leur envie, les députés font glisser abusivement « la psychanalyse » dans la liste des « non recommandées ». Ils méconnaissent qu’en raison des divergences des experts, aucun consensus n’a pu être obtenu, de sorte que la HAS ne s’estime pas en mesure de prendre parti.

Vouloir mener jusqu’à son terme une interdiction des pratiques psychanalytiques avec les autistes, comme le prône la résolution, se heurterait immédiatement à un problème quasi-insoluble : définir celles-ci. Dans une acception stricte de la pratique analytique, elle n’est nulle part mise en œuvre avec les autistes, et dans une acception large, elle y est presque partout. La méthode inventée par Freud avec les névrosés (divan, associations libres, interprétations des fantasmes et des symptômes) n’est aujourd’hui nulle part mise en œuvre avec les autistes. La référence analytique en ce domaine est en général combinée à d’autres approches (psychothérapie institutionnelle, thérapie par le jeu, thérapie par affinités, psychomotricité, orthophonie, voire techniques éducatives et autres). Qui plus est, le programme de Denver, recommandé par la HAS, se fonde pour une part sur les concepts psychanalytiques de M. Malher. Faudrait-il pour cette raison interdire une méthode pourtant recommandée ? À partir de quelle dose de psychanalyse une pratique devrait-elle être interdite ? Aucun marqueur de ce genre n’étant disponible, nul doute que les bras tomberaient au législateur s’il devait s’atteler à répondre à cette question.

À cet égard, dès 2012 la HAS ne manquait pas de discerner la difficulté quand elle notait que « la frontière entre volet thérapeutique et éducatif est parfois artificielle et floue ». Une même activité, précisait-t-elle, (par exemple une activité aquatique) peut avoir des objectifs éducatifs et/ou thérapeutiques parfois en fonction du professionnel qui la met en œuvre. Bref, dans le travail avec les enfants autistes, il est d’une extrême difficulté de séparer le thérapeutique, le pédagogique et l’éducatif, ces volets étant en permanence intriqués[12].

Les députés signataires semblent ignorer que la seule méthode ayant fait l’objet d’interventions des tribunaux pour suspicion de maltraitance est la méthode ABA – pourtant privilégiée par eux. Les punitions n’ont été exclues de celle-ci qu’à la suite de décisions des tribunaux américains prononçant l’illégalité des pratiques aversives. Néanmoins, au Centre Camus de Villeneuve d’Ascq, établissement pilote pour l’introduction de la méthode ABA en France, elles ont continué à être pratiquées, suscitant la plainte d’un parent d’enfant autiste. L’enquête de l’Agence Régionale de Santé qui s’en est suivie concluait que ce centre présentait des « dysfonctionnements » constituant « des facteurs de risques de maltraitance susceptibles d’avoir des répercussions sur les enfants accueillis »[13]. Le recours en diffamation de la directrice du Centre a été rejeté[14]. Qui plus est, beaucoup d’autistes de haut niveau, tels que Michelle Dawson, dénoncent « les terribles souffrances des premières semaines d’ABA. » Elle considère probable que « les pleurs, les cris perçants, et les fuites soient ceux du soulèvement d’un enfant qui est forcé de manière répétitive à abandonner ses points forts »[15]

Les députés ignorent la montée prometteuse de la thérapie par affinités, qui fait aujourd’hui l’objet d’études approfondies, or la HAS ne pouvait la prendre en compte en 2012 puisqu’elle n’existait pas encore. Bien que les fondateurs de cette méthode (Suskind, Dan Griffin) n’utilisent aucun concept freudien ; sa pratique orientée, non vers la rééducation, mais vers le développement des affinités du sujet, s’avère présenter de nombreuses convergences avec la pratique des institutions pour lesquelles la référence psychanalytique est majeure[16].

Les députés n’ont pas eu connaissance d’une étude de l’INSERM postérieure aux recommandations du 3ème plan autisme. Elle établit que suivis en psychothérapie 50 enfants autistes sont parvenus à des « changements significatifs » après seulement un an de prise en charge. Parmi les thérapeutes 80% se référaient à la psychanalyse, 20 % à des approches cognitivo-comportementales ou à celles du développement psychomoteur. L’étude confirme ce que met en évidence la thérapie par affinités, à savoir l’importance que l’enfant soit acteur du traitement et que le thérapeute soit en mesure de s’ajuster à ses capacités. Les auteurs concluent : « le point majeur qui découle de ces constatations est que l’approche psychothérapique mise en œuvre par le thérapeute dépend pour une part importante – et peut-être complètement – des possibilités qui lui sont offertes ou non par le fonctionnement de l’enfant, quelle que soit l’approche de référence »[17]. Mettant en évidence que des approches différentes peuvent les unes et les autres induire des changements significatifs, et que l’adhésion de l’enfant à la méthode proposée est un élément décisif, cette étude de l’INSERM est une invitation particulièrement probante à promouvoir la liberté de choix des traitements.

Les institutions orientées par la psychanalyse lacanienne ne pratiquent pas le packing avec les autistes. L’interdiction de celui-ci est cependant exemplaire d’une désinformation associée aux pratiques psychiatriques et psychanalytiques. Initialement nommé « emmaillotement humide », le packing est pratiqué en psychiatrie depuis le XIXème siècle. À l’encontre d’autres pratiques, dont on peut regretter qu’elles soient rarement critiquées (telles que la sismothérapie ou l’isolement), il n’avait jamais fait l’objet de plaintes de la part de patients hospitalisés. Ce n’est que depuis 2007, sous l’impulsion de certains parents d’autistes, que le packing est soudainement devenu une pratique maltraitante, voire une « torture ». Celle-ci est bien atypique puisqu’ il est des autistes pour témoigner l’apprécier et en redemander[18]. De surcroît nul ne s’en plaint quand il est utilisé en dermatologie. Certes il est des autistes qui le rejettent. Il ne devrait être imposé à personne – pas plus que ne devraient l’être les violences initiales de la méthode ABA.

L’opposition du Pr Golse au nom de la CIPPA[19]  à l’initiative de résolution proposée à l’Assemblée nationale a immédiatement suscité les habituelles réactions outrancières (comparaison des psychanalystes aux nazis !) et toujours aussi mal informées. Répéter sans cesse dans les médias que les psychanalystes culpabilisent les parents et considèrent l’autisme comme une psychose tend à faire passer pour pertinentes auprès du grand public ces réductions simplistes. Or la fameuse « mère frigidaire » imputée aux psychanalystes est une notion introduite par Kanner qui n’était pas psychanalyste. La position nuancée de Bettelheim est sans cesse caricaturée : certes il considère parfois que le désir inconscient des parents serait à l’origine de l’autisme, mais il affirme aussi que celui-ci résulte d’une réaction propre de l’enfant à son environnement[20]. Une psychanalyste telle que Frances Tustin, qui a marqué tout autant que Bettelheim l’approche psychanalytique française de l’autisme, se prononce très clairement dès les années 80 contre toute imputation de celui-ci au désir des parents[21]. M. Mannoni a certes soutenu le contraire concernant les enfants « arriérés », ce que la moitié des autistes ne sont pas. Cependant la référence majeure dans le champ lacanien concernant l’autisme ne fut jamais M. Mannoni : dès 1980 ce furent les travaux de Rosine et Robert Lefort qui parurent incontournables. Or ceux-ci orientent très différemment. D’une part, ils laissent ouverte la question de la causalité de l’autisme ; d’autre part, ils s’employèrent à établir que l’autisme serait une structure subjective originale – différente de la psychose. Cette thèse trouve aujourd’hui crédit en se fondant sur des arguments nouveaux auprès de psychanalystes lacaniens. En matière d’approche psychanalytique de l’autisme, les médias et les détracteurs ne veulent connaître que Bettelheim et Mannoni ; les spécialistes citent au moins tout autant Tustin et les Lefort.

Certes il se trouve des parents pour attester de paroles blessantes proférées à leur égard par des psychanalystes ; mais combien aussi pour témoigner de menaces exprimées par des thérapeutes ABA : « si vous n’adoptez pas une méthode validée scientifiquement, vous êtes une mauvaise mère, votre enfant se suicidera ». L’incompétence de certains cliniciens déborde leur formation. Elle transcende les pratiques et apparaît équitablement partagée.

Plutôt que de « systématiquement engager la responsabilité pénale des professionnels de santé qui s’opposent aux avancées scientifiques », comme il est écrit dans la proposition de résolution, ne devrait-on pas examiner la responsabilité politique de députés mal informés qui cherchent à promouvoir des résolutions liberticides ?

[1]  Gintz C., « Pour la liberté de prescription des médecins, contre l’instauration d’une science d’Etat.», Change.org

[2]   Tous ces textes, ainsi que d’autres réactions au projet de résolution Fasquelle, ont été réunis par P. Sadoun sur le site du RAAHP., www. Autismes.info/

[3] HAS. Anesm. Autisme et autres troubles envahissants du développement : interventions éducatives et thérapeutiques coordonnées chez l’enfant et l’adolescent. Recommandations. Mars 2012, p. 25.

[4]  Ibid., p. 25.

[5] Autism spectrum disorder in under 19s support and management. Clinical guideline [CG 170] August 2013, www.nice.org.uk/guidance/cg170/

[6]   Weitlauf AS, McPheeters ML, Peters B, Sathe N, Travis R, Aiello R, Williamson E, Veenstra-Vander-Weele J, Krishnaswami S, Jerome R, Warren Z. Therapies for Children With Autism Spectrum Disorder: Behavioral Interventions Update. Comparative Effectiveness Review No. 137. (Prepared by the Vanderbilt Evidence-based

Practice Center under Contract No. 290-2012-00009-I.) AHRQ Publication No. 14-EHC036-EF. Rockville, MD: Agency for Healthcare Research and Quality; August 2014, p. 79. www.effectivehealthcare.ahrq.gov/reports/final.cfm.

[7]  Ibid., p. 80.

[8]  Ibid., p. 79.

[9] « L’expérimentation institutionnelle d’ABA en France : une sévère désillusion (en collaboration avec M. Grollier) » Lacan Quotidien n° 568 et 569, Février-Mars 2016.

[10] Cekoïa Conseil. Planète publique. Evaluation nationale des structures expérimentales Autisme. CNSA. Rapport final. Février 2015, p. 82.

[11]   Ibid., p. 86.

[12]  HAS. Anesm., Argumentaire scientifique, o.c., p. 79.

[13]  Dufau S., « A Lille, le procès d’une méthode de traitement d’enfants autistes », Médiapart, 2 Juillet 2012, www. mediapart.fr

[14]  Dufau S., « Vinca Rivière et l’association Pas à Pas perdent leur procès face à Médiapart »,  6 Mars 2015. www.mediapart.fr

[15]    Dawson M. The misbehavior of behaviorists. Ethical challenges to the autism-ABA industry. [2004] En ligne sur No Autistics Allowed.

[16]  Perrin M. s/d. Affinity therapy. Nouvelles recherches sur l’autisme. Presses Universitaires de Rennes. 2015.

[17] Thurin J.-M., Thurin M., Cohen D., Falissard B., « Approches psychothérapeutiques de l’autisme. Résultats préliminaires à partir de 50 études de cas », Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 62 (2014), p.102-118, www.isir.upmc.fr/fles/2014ACLN3103.pdf

[18] En ce qui concerne le packing, cf l’excellente mise au point du Pr David Cohen. https://u2peanantes.files.wordpress.com/2015/08/edito-neuropsy-david-cohen-efbfbd-monsieur-franccca7ois-hollande-2016.pdf

[19] Golse B., “Réaction à la proposition visant à l’interdiction de la psychanalyse dans l’autisme”, https://blogs.mediapart.fr/bernard-golse

[20] « Servis et Garcia […], écrit-il, dans La forteresse vide, sont arrivés à des notions semblables à celles d’Anna Freud et aux nôtres, à savoir que ce n’est pas l’attitude maternelle qui produit l’autisme, mais la réaction spontanée de l’enfant à cette attitude » (Bettelheim B., La forteresse vide, Gallimard. Paris. 1967, p. 102]

[21] « Kanner a lancé une mode bien regrettable en voyant (les mères d’autistes) comme « froides et intellectuelles ». Depuis qu’il a dit cela, on s’est constamment renvoyé des expressions comme « mères réfrigérantes » pour parler d’elles. Je ne souscris pas à ce point de vue […] Je suis convaincue qu’il y a quelque chose dans la nature de l’enfant qui le prédispose à l’autisme ». Tustin F., Le trou noir de la psyché [1986], Seuil. Paris. 1989, p. 49.




Pour que perdure la dimension du symptôme

Pour imposer les pratiques comportementalistes, pour leur donner libre cours dès lors qu’elles s’inscrivent parfaitement dans la logique de la coalescence entre le discours de la science et le discours du capitalisme, les derniers gouvernements se sont appuyés sur les associations de parents d’enfants autistes. Ils se sont appuyés sur ces associations en tant qu’associations d’usagers et non pas en tant qu’associations de parents.

On ne voit pas pourquoi d’ailleurs le fait d’être parents leur donnerait un quelconque droit, un quelconque savoir, c’est en tant qu’usagers qu’ils ont leur mot à dire, en tant qu’aidants, en tant qu’on leur laisse de plus en plus pour une grande part la charge de leur enfant. On leur permet même d’accéder à des formations pour pouvoir s’occuper de leurs enfants comme des professionnels.

Le point sur lequel je veux insister, c’est que donner la parole aux parents, ne contredit en rien ce que nous avons dit de la structure familiale, qu’il s’agit d’opérer une séparation entre chacun de ses membres. En somme, il s’agit de ne pas prendre en compte le lien particulier, le lien intime, qui existe entre les parents et les enfants. Ce lien particulier, intime, ce lieu irréductible, vient souvent se traduire par un sentiment de culpabilité dès lors qu’il arrive quelque chose à notre enfant. C’est une des façons de subjectiver ce lien singulier qui nous échappe la plupart du temps, lien qui prend racine dans la constitution même du couple qui a présidé à la naissance de l’aimable rejeton. C’est ce lien qui fait symptôme et qui peut faire de l’enfant le symptôme de la vérité du couple familial. La famille est la première institution que rencontre l’enfant. C’est une institution qui se fonde certes sur l’amour et le désir, mais aussi sur ce qui se présente en deçà d’eux, la jouissance. Il faut d’ailleurs souvent ajouter la haine dans ce qui donne consistance à cette institution qu’est la famille.

Pour des raisons complexes qui ont donné sa couleur particulière à la clinique des enfants, à une époque où s’affrontaient psychogénèse et organogénèse, la famille a pu être considérée comme responsable, comme cause des symptômes et des maladies de l’enfant. La causalité familiale est venue comme un gant pour ne pas se confronter à l’opacité de la question de la cause. La cause en psychanalyse ne relève pas de l’événement, de la situation, de la conjoncture, mais de la structure, elle s’origine d’une absence, d’une absence de rapport, celui du rapport sexuel. La causalité familiale, de voiler la structure même de la cause, ne pouvait que déboucher sur une impasse. La culpabilité en cause ne conduisant pas forcément à un procès de subjectivation, c’est le surmoi et la haine qui ont fait retour dans l’accusation portée contre les psychanalystes.

C’est ce qu’indique d’ailleurs l’absence de dialectique d’un discours qui se répète inchangé depuis plus de trente ans. Les gouvernants ont donc donné progressivement satisfaction aux associations en cause en reprenant à la ligne près leur discours. C’était bien sûr au prix de mettre de côté le lien particulier qui les attachait à leurs enfants et de le remplacer par l’adhésion à une cause commune, se mettre à compter pour un leur enfant, pour lui appliquer des protocoles déduits du discours de la science avec comme but la disparition de l’autisme. On dépiste, on nomme, on traite tous les uns de la même façon en parlant la même langue : une langue créée de toutes pièces pour éliminer la dimension d’équivoque que comporte toute langue. C’est cette langue qu’on apprend désormais aussi bien aux usagers qu’aux professionnels, qu’aux parents, une langue qui vise à ce que les choses soient bien administrées. Le psychanalyste rimant avec symptôme, il était important en effet de l’extraire du jeu afin que les choses puissent enfin tourner sans se heurter à un point de butée.

En opérant ce double traitement grâce à l’alliance de certaines familles d’autistes et des TCC, on saisit l’avancée qu’ont pu faire nos gouvernants dans la mise en œuvre d’une gouvernance qui fait de chacun de nous un objet de soins et d’éducation, d’une gouvernance qui permet enfin de prévoir et non plus de devoir faire avec ce qui arrive. Dans cette marche forcée et victorieuse, nos politiques ont toutefois oublié un point essentiel, la part irréductible que maintient la famille dans le traitement de la jouissance. C’est cette part que Lacan a rappelée dans une lettre à Jenny Aubry : « La fonction de résidu que soutient (et du même coup maintient) la famille conjugale dans l’évolution des sociétés, met en valeur l’irréductible d’une transmission – qui est d’un autre ordre que celle de la vie selon les satisfactions des besoins – mais qui est d’une constitution subjective, impliquant la relation à un désir qui ne soit pas anonyme. C’est d’après une telle nécessité que se jugent les fonctions de la mère et du père. De la mère : en tant que ses soins portent la marque d’un intérêt particularisé, le fût-il par la voie de ses propres manques. Du père : en tant que son nom est le vecteur d’une incarnation de la Loi dans le désir. »[1]

La famille ne tire plus sa puissance et son existence de la transmission des idéaux et des identifications. Elle demeure indispensable pour le sujet, pour le parlêtre, de l’extraire de l’anonymat et de lui offrir une transmission, singulière, particulière. Cette transmission se situe justement au lieu même du non-rapport, au lieu même des trouvailles de chacun pour se débrouiller des à-coups de l’existence. C’est dans la langue même propre à chacun que se véhicule cette rencontre avec l’innommable. C’est dans sa famille que le sujet se confronte à ces premiers éclats de lalangue qui vont donner une tournure particulière à ce qui va constituer la sienne. C’est cette dimension du Un de lalangue qui ne peut s’inscrire dans la comptabilité des uns du calcul infini des populations.

Aussi bien la création de la « Main à l’oreille »[2] que le colloque d’Affinity Thérapy[3] nous ont permis de saisir ce que nous avions pu déjà remarquer à Nonette sans pouvoir le formaliser. Aussi bien certaines familles que certains autistes ne peuvent supporter que la particularité du sujet soit rejetée, ignorée, mise de côté, au profit de la constitution d’une normalité embrassant tous les gestes de la vie. Ce qu’a opéré Myriam Perrin, c’est de nommer ce qui constituait un intérêt commun entre les parents, les professionnels et les psychanalystes. Elle nous donne ainsi l’occasion non pas de nous opposer aux visées gouvernementales et administratives, ce qui est contre-productif, mais de nous allier avec certaines familles et certains autistes pour faire valoir une autre méthode que celle de la normalisation totalitaire, le respect pour les intérêts et les inventions des autistes, ce qui évidemment résonne avec l’option libérale propre aux gouvernements actuels. « L’Affinity therapy, c’est la force d’une nomination. La thérapie par affinité devient le dénominateur commun, non pas d’une méthode, mais d’un savoir-faire avec l’autiste, dans le respect et la singularité de son invention pour être au monde. »[4]

Elle nous permet ainsi non pas seulement de nommer ce que nous faisions déjà, mais d’orienter notre combat pour promouvoir le maintien de la psychanalyse dans les institutions. Or, dès lors que la santé est devenue une affaire de gouvernance, la psychanalyse ne pourra continuer d’exister que si elle maintient sa dimension de symptôme dans l’organisation des soins et des traitements.

Ce texte est extrait d’une conférence faite à Cahors le 8 octobre 2016.

[1]  Lacan J., « Note sur l’enfant », Autres écrits, Seuil, 2001.

[2] Association de parents et d’amis de personnes autistes créée par Mireille Battut, https://lamainaloreille.wordpress.com/

[3] Colloque organisé à Rennes le 5 mars 2015, https://affinitytherapy.sciencesconf.org/

[4] Myriam Perrin, échos du colloque, https://affinitytherapy.sciencesconf.org/resource/page/id/20




Une a(u-r)tiste de la lettre, à propos de « Dernières nouvelles du cosmos »

« Je suis arrivée dans ce jeu de quilles comme un boulet de canon, tête la première, pas de corps aligné, des neurones survoltés, une euphorie sensorielle sans limites. Les oreilles stand by à la jacasserie humaine, les mains et pieds sens dessus dessous, les yeux dans les yeux de moi-même. Modèle dispersé, gratuitement mis au monde par besoin de casser la mécanique culturelle.

La tête comme un ressort sans verrou oscillant vers les quatre points cardinaux…[1] »

C’est par ce texte que s’ouvre le film de Julie Bertuccelli, Dernières nouvelles du Cosmos[2], un texte lu par Pierre Meunier, auteur et metteur en scène, donnant ainsi voix à l’écriture d’Hélène, dite « Babouillec », jeune femme autiste de 30 ans. Il lui tient la main, au bord du sentier forestier, tandis qu’elle avance, souriante, le corps pris dans le contour d’une énorme bouée, sans doute pour éviter tout naufrage… Il veut saisir ce « surgissement d’une langue poétique, singulière (…), à même de nous atteindre au plus profond »[3] pour, écrit-il, sortir de son sommeil, « réveiller les interrogations fondamentales quant à notre rapport à la vie, à la modernité, à la construction, à notre corps, à nos propres limites », porter ainsi les petites lettres à la dignité d’un message, d’une œuvre d’art dont il serait le passeur.

Oui, Hélène écrit mais de façon surprenante, en utilisant des lettres de carton plastifiées qu’elle entasse, aligne maladroitement, au rythme de petits coups de la main adressés à sa mère docile qui ainsi, de ces signes silencieux, fait lecture, découpe. Par cet étrange appareillage au corps maternel, à la boîte de petites lettres, Hélène devient Babouillec, dans un geste « devenu sûr, ignorant rature et relecture (…) débarrassée de tout embarras lié au “bien écrire”[4]. » Elle délivre ainsi un poème brûlant, désormais mis en scène dans un spectacle[5] porté à Avignon par Pierre Meunier et Marguerite Bordat, un parcours que suit Julie Bertuccelli, cinéaste partenaire, témoin à son tour de la naissance d’une auteure qu’elle filme avec respect et sensibilité pour nous inviter, à notre tour, à l’accueillir… l’accueillir avec ses singularités, loin de la norme et des cadres, Hélène qui, comme elle l’écrit elle-même, fait partie d’un « lot mal calibré, ne rentrant nulle part .»

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Si le film de Julie Bertuccelli évoque le long parcours d’Hélène, il souligne la place prépondérante de sa mère, qui, pendant de nombreuses années, tentait avec patience de repérer la moindre aptitude, le moindre intérêt répétitif de sa fille pour s’en saisir, en faire tremplin pour une ouverture possible vers la scène du monde après 20 ans « de silence de plomb »[6]. Greffière de ces petites lettres mises en circulation entre elle et sa fille, elle a tissé un fil fragile, venu faire lien social dans ce qui n’était que chaos sensoriel. La charge sonore, l’impact des mots sur le corps, leur morsure, a pu ainsi se réguler à travers la valse de cet alphabet, « lente sortie sans secours » pour que « le bruit des lettres qui s’entrechoquent en cascades de mots (…) s’inscrit lettre par lettre ».[7]

Les lettres, à l’instar de la bouée dans sa fonction de bord, ont permis à Hélène de circuler, à distance, parmi les autres…. Elles naissent, s’organisent, se défont et se refont sur cette frontière insaisissable entre sens et hors-sens, dans un effort de poésie constant où chaque élément saisi prend tout son poids, Une puis Une, présence pleine, pour construire, semblable aux Haïku[8] japonais, un message bref visant à dire l’essence des choses mais ici dans une codification obscure en attente d’une lecture.

Ainsi « Le nyctalope en quête d’identité vulgarise la lumière du noir. Il rayonne ton sur ton indéfiniment ballotté entre le noir, la lumière et lui-même[9]. » Comment lire ces « rupestres inscriptions rivalisant tête baissée, toutes griffes dehors avec les taggers incompris. On efface les uns, on enrichit les autres. E=MC2. » ?

Cette écriture au rythme variable, à la syntaxe originale, avec peu de verbes, truffés de mots précis, savants, drôles parfois, devient énigme soumise au déchiffrage des uns et des autres (famille, amis, artistes, mathématicien…).

Chacun alors essaye de clarifier, de commenter, d’interpréter ce qui, par le silence inexorable d’Hélène, demeure vide central. Le savoir gît de son côté, vacuole offerte aux poissons voraces de sens. Devant ces lettres opaques qui font trou, la parole s’invite, se déplie, telles les fleurs japonaises, dans une nouvelle Cour de Babel[10] là où chacun s’exprime, « filet de semblant »[11]  jeté sur cette écriture. Cette pluie d’interprétations tend, à travers les échanges, les conflits, les joies, à devenir langue étrangère, murmure, silence, reflet de l’inexorable malentendu, de l’impossible rapport. Elle s’efforce de dire l’impensable, l’au-delà des mots ou l’en deçà, mais d’y échouer, elle devient création, un poème porté sur la scène publique dans « une forme entre le théâtre et les arts plastiques».[12]

Le film de Julie Bertuccelli est le témoignage unique d’une approche, d’une « définition » possible de l’autisme qui reviendrait, non pas aux professionnels, aux spécialistes, mais aux artistes.

[1] Babouillec autiste sans paroles, Algorithme éponyme, Texte poétique, Christophe Chomant Editeur, Rouen, 2012, p 16.

[2]  Julie Bertuccelli, Dernières nouvelles du Cosmos, 2016.

[3]   Pierre Meunier, préface du livre Algorithme éponyme, op. cit., p. 6.

[4]  Ibid., p. 5.

[5] « Forbidden di sporgersi », Projet de Pierre Meunier, conçu et imaginé par Marguerite Bordat, Avignon, juillet 2015.

[6]  Laurence Houot, « Forbidden di Sporgersi », journaliste, responsable de la rubrique livres de culturebox, 16 juillet 2015.

[7]  Babouillec, autiste sans paroles, Algorithme éponyme, Texte poétique, op. cit., p. 44.

[8]  Haïku, créé par le poète Masaoka Shiki (1867-1902), forme poétique venue du japon très codifiée. Il ne se contente pas de décrie les choses : il nécessite le détachement de l’auteur. Il traduit le plus souvent une émotion, un sentiment passager. Il ne se travaille pas : il est rapide et concis. Un exemple de  Tanaka Hiroaki (1873) : Pinçant le vide / Un crabe va mourir /Nuages de s’élancer

[9]  Babouillec, autiste sans paroles, Algorithme éponyme, op.cit., p 19.

[10]  Julie Bertuccelli, La Cour de Babel, documentaire, Pyramide distribution, 2014.

[11]  Jacques Lacan, « Lituraterre », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p 19.

[12]  D’après Marguerite Bordat citée dans l’article de Laurence Houot, « Forbidden di Sporgersi », op. cit., 2015.




De l’œil au regard : le mime d’une perte

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