« Penser que la psychanalyse est exclusivement une expérience d’un par un, une expérience intime échappant au chaos, au malaise qui prévaut au dehors, est une erreur. » Jacques-Alain Miller [1]
Et voilà que l’Envers de Paris, en choisissant de se pencher sur « Les nouveaux visages de la ségrégation », donne une incarnation puissante à ces mots très forts de Jacques-Alain Miller, prononcés tout récemment à Madrid. C’est une joie de constater que ce désir, surgi il y un peu plus d’un an à peine, de donner une orientation commune à nos initiatives autour d’un événement majeur, deviendra une réalité le 10 juin prochain : une Journée d’étude, une Journée clinique, pour réfléchir à ces manifestations haineuses qui ont implosé au milieu de nos vies, dans notre quotidien, avec le surgissement d’attentats d’une violence sans précédent, sur notre sol et partout ailleurs, marquant dans nos modes de vie, brutalement, un avant et un après.
Les effets de cette effraction se lisent un peu partout : de la géopolitique, aux mouvements sociétaux en passant par le champ de la subjectivité. Entre consolidation de préjugés et replis de tout bord, l’angoisse enserre l’individu autant que le collectif, remaniant sur son passage le relief de notre monde. En écrivant ces mots au lendemain du terrible attentat de Manchester, je pense à cette formule très juste d’Olivier Roy : « L’effet de terreur de Daech ne met pas les sociétés occidentales à genoux, il les radicalise à leur tour »[2].
Cette Journée sera l’occasion d’explorer de près, à partir de parcours singuliers, cette nouvelle forme de déconnexion sauvage d’avec l’Autre, cette discontinuité brutale qu’est souvent la radicalisation dans la vie du sujet, pour aller rejoindre un absolu, qui n’est pas forcément ni un idéal, ni une utopie, mais la collusion avec l’Un hors-dialectique du discours de l’Etat Islamique. Philippe Lacadée articule ce point très précisément dans la conversation qu’il animera l’après-midi : « Pour certains la dette symbolique, où ils auraient dû avoir leurs places, leur ayant été ravie, ils se retrouvent chargés d’un malheur de ce que leur destin ne soit plus rien. Faute de cette descendance certains donc se radicalisent dans une transcendance, les installant dans une nouvelle pratique ségrégative prenant appui sur une construction narrative où ils articulent leurs corps à des éléments de théologie et de pratiques imaginaires, les installant dans un discours où ils font entendre le mépris de la vie de l’autre qui ne jouirait pas comme eux ».
Il sera aussi question de s’attarder sur ce contexte de civilisation favorisant ces nouvelles manifestations et dont Jacques-Alain Miller avait saisi l’un de ses traits de façon fulgurante, il y a deux ans : « L’islam est resté intouché par les mutations de l’ordre symbolique en Occident et il est arrivé sur le marché occidental, disponible, accessible à tous par tous les canaux de la communication »[3].
Ces effets de défragmentation en cascade ne sont pas pour autant les seuls autour desquels s’installent les pratiques ségrégatives, à défaut de trouver des discours en mesure d’éponger le trop d’angoisse suscité par les remaniements, en constante accélération, de notre civilisation hypermoderne. Tout change vite, sans trêve, sans intervalle, transformant sans cesse un monde qui n’est plus ordonné par les anciens binaires de l’ordre symbolique mais aspiré par le vertige de ce régime illimité auquel Jacques Lacan a donné le nom de pas-tout.
Six séquences cliniques scanderont la Journée, entre exposés de fond et conversations cliniques autour des situations rencontrées par des praticiens intervenant dans des institutions où le réel de la ségrégation se présente sous des visages coriaces et pluriels. Des institutions s’inscrivant dans l’orientation lacanienne seront de la partie : Intervalle-CAP, parADOxes, L’EPOC, Lien POPI, Souffrances au Travail, aussi bien que des vecteurs cliniques de l’Envers comme TyA-Addictions et l’Atelier de Criminologie Lacanienne.
Nous sommes ravis d’accueillir nos invitées Zorah Harrach et Valérie Lauret, qui nous feront part de leurs expériences auprès des jeunes dans le dispositif de prévention des extrémismes violents où elles interviennent toutes les deux, dans une conversation animée par Philippe Lacadée.
Des collègues de l’ECF qui œuvrent avec rigueur pour l’élucidation de la haine et de la ségrégation propres au XXIème siècle, Éric Laurent et Clotilde Leguil, interviendront sur les aspects les plus aigus et les plus actuels de ces questions incandescentes tandis qu’Annie Dray-Stauffer et Sophie Gayard aborderont l’intime de la ségrégation dans la cure analytique.
Pour accompagner cette journée qui se déroulera dans le très beau lieu du Campus des Cordeliers, le peintre Salvatore Puglia, exposera des œuvres, dont l’une est celle de notre affiche, et proposera des estampes sur notre thème de travail. Une librairie aux ouvrages choisis vous attendra ainsi que d’autres surprises au fil de la journée et pour sa clôture.
Je vous invite à vous inscrire dès à présent par chèque ou par PayPal en allant sur le site de l’Envers, enversdeparis.org, ou en cliquant sur ce lien : goo.gl/RK0Bxu
Prix : 40 euros
Étudiants et demandeurs d’emploi : 15 euros
Chèques à l’ordre de l’Envers de Paris, à envoyer à L’Envers de Paris, 50 rue Bichat, 75010 Paris.
Rendez-vous donc le 10 juin au Campus des Cordeliers à 9h, 15 rue des Ecoles, 75006, Métro Odéon.
[1] Miller, J.-A. « Conférence à Madrid », Lacan Quotidien n°700.
[2] Roy, O., Le Djihad et la mort, Seuil, Paris, 2016, p. 13.
[3] Miller, J.-A., « En direction de l’adolescence », Intervention de clôture à la 3e Journée de l’Institut de l’Enfant, lacan-université.fr