À propos de : Ordres et désordres amoureux au XXIe siècle.
Clinique du partenaire-symptôme,
sous la direction d’Hervé Castanet[1]
« Je pense à vous. Ça ne veut pas dire que je vous pense. […] – j’aime à vous, en quoi elle [la langue] se modèlerait mieux qu’une autre sur le caractère indirect de cette atteinte qui s’appelle l’amour. »[2]
Lire Ordres et désordres amoureux au XXIe siècle ne laisse pas indemne son lecteur. C’est un vrai bon-heurt, une véritable gageure qu’Hervé Castanet a réalisée et réussie. Cet ouvrage collectif regroupe des textes de psychanalystes de l’ECF, tous orientés par Freud et Lacan, qui interrogent, chacun avec sa démonstration inédite, les nouvelles formes de rencontres contingentes entre les sexes.
Y a-t-il un ordre amoureux ? Ce qui était ordre amoureux serait-il dérangé pour devenir désordre ? Comment la relation aux partenaires amoureux se transforme-t-elle et se tisse-t-elle dans le malaise contemporain ? Peut-on croire en l’idée d’une complémentarité entre les partenaires dans le droit fil du mythe d’Aristophane qui sépare les êtres humains en deux moitiés cherchant, par la grâce de l’amour, à retrouver leur unité perdue ? Ce n’est pas l’option de Lacan qui martèle l’impuissance de l’amour « d’établir la relation d’eux »[3], entre les deux sexes. Parler de désordres amoureux serait plus approprié au XXIe siècle. Je le poserai, en suivant Lacan, comme un fait de structure logique. Dérangements, ratés, malentendus, embarras, obstacles, attentes imaginaires et idéalisées, espoirs déçus mais aussi rencontres contingentes, c’est-à-dire hasardeuses, sont démontrés avec brio par chaque auteur(e) par le biais de la logique et de la clinique des parlêtres. De la « faille d’où dans l’Autre part la demande d’amour »[4] aux effets clinique du « ça ne va pas », le livre concerne dans son ensemble le changement de paradigme qui prend son départ avec le Séminaire XX, Encore, à l’honneur dans les pages de l’ouvrage : ce changement de paradigme porte sur la jouissance et s’oriente du non-rapport sexuel, de la sexuation, de la logique modale, du nouage R.S. I.
Parler d’amour est propre au discours analytique. Qu’est-ce que le réel en amour ? Cette inépuisable question sera traitée par de nombreux exemples de la création littéraire, cinématographique et poétique. Mais comment parler d’amour, de la lettre d’amour et des dires du sexe ? Nous lirons ce qui agite Klossowski à travers le réel de la rencontre amoureuse avec Betty, une femme puis Dieu ; Ovide et son Art d’aimer ; Woody Allen et le triomphe de la confusion des sentiments ; Catherine Millot et la solitude de l’amour ; Gide et son rapport à la lettre à partir de l’équation mère-femme ; comment l’œuvre de Genet se fait réponse au réel qui le cause ; nous découvrirons une originale déclinaison des diverses figures imaginaires, symboliques et réelles de l’amant, les vicissitudes de la jalousie chez l’Albertine de Proust ou dans l’être-à-trois chez Lol V. Stein de Duras, les effets de l’utilisation des sites de rencontre, l’amour et la jouissance du corps…
« Comment un homme aime-t-il une femme »[5]? Les cas cliniques démontrent enfin ce qu’il en est de l’amour pour chaque parlêtre et de ses méandres quand la jouissance Une s’en mêle. Le sous-titre du livre pose d’emblée sa thèse : Clinique du partenaire-symptôme. Le parlêtre en tant qu’être sexué fait couple avec un partenaire dans un lien symptomatique qui relève de sa jouissance. Qu’est-ce qu’un partenaire ? C’est celui avec lequel on joue sa partie. Jacques-Alain Miller nous propose de lire le couple comme : « un contrat illégal de symptômes » [6] en l’opposant à la définition du contrat légal que représente le couple au regard de la loi. Quand le sexe ne permet pas à l’homme et à la femme d’être partenaires, seul le symptôme y pourvoit. La psychanalyse démontre son efficace en permettant au parlêtre d’assumer sa singularité qui tient à la contingence. Les textes ici présentés illustreront enfin la multiplicité des figures symptomatiques nouées à leurs modalités de jouissance. Car « parler d’amour est en soi une jouissance » [7]. Un réel est en jeu dans l’amour. J’aime à vous suppose un rapport à l’autre. Et puisque « l’amour, c’est le signe qu’on change de discours »[8], le partenaire-analyste par l’amour de transfert en constitue cette adresse.
[1] Ordres et désordres amoureux au XXIe siècle. Clinique du partenaire-symptôme, sous la direction d’Hervé Castanet, Paris, Économica /Anthropos, février 2015.
[2] Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, Paris, Seuil, 1975, p. 95.
[3] Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, Paris, Seuil, 1975, p. 12.
[4] Ibid., p. 11.
[5] Lacan J., Le Séminaire, livre XXI, « Les non-dupes errent », leçon du 18/12/1973, inédit.
[6] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Le partenaire-symptôme », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris VIII, leçon du 19 novembre 1997.
[7] Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, op. cit., p. 77.
[8] Ibid., p. 21.