
Les psychoses : à l’école des signes discrets
Les temps ont changé : l’évolution de la psychiatrie a contribué à modifier la valeur des diagnostics. Alors que notre époque voit des sujets revendiquer le statut d’« autistes » sur le mode « Je suis ce que je dis », être « psychotique » est généralement mal perçu et la folie n’est plus que rarement associée à la notion de « génie ». L’approche de la structure par le seul registre du médical contribue à étouffer le symptôme, à masquer la singularité subjective et procède à toujours plus d’exclusion sociale. En contrepoint, Jean-Claude Maleval, dans son livre récemment paru, Conversations psychanalytiques avec des psychotiques ordinaires et extraordinaires [1], indique pourtant que l’écoute du sujet psychotique participe à son soutien. Nombreux sont ceux qui, relevant de cette structure, s’adressent désormais à un psychanalyste. À partir d’un savoir sur la carence de la métaphore paternelle chez eux, il est possible pour le clinicien de faire barrage à une jouissance qui risque toujours de se déréguler. Rappelant la portée heuristique des concepts élaborés par Jacques Lacan, J.-C. Maleval tient la forclusion du Nom-du-Père comme point pivot qui enclenche la forclusion du phallus et la non-extraction de l’objet a. Par ailleurs, il prend pour boussole les apports de Jacques-Alain Miller avec son invention du syntagme de « psychose ordinaire »[2] pour évoquer les cas cliniques qui, ne correspondant pas à des névroses, peuvent relever de psychoses non déclenchées qui ont pu tirer profit d’un mode de suppléance plus ou moins satisfaisant pour s’orienter.
À partir de divers exemples tirés d’ouvrages de référence ou de sa clinique, J.-C. Maleval restitue une forme de dignité au sujet psychotique : celui-ci n’est pas toujours rétif à l’appréhension clinique, détient un savoir sur ce qui cause son malaise et peut trouver une voie dans le lien social. Ainsi, loin des positions neuroscientifiques actuelles qui bouchent l’accès à la parole en réduisant le patient à des circuits neuronaux et à un comportement qui relèverait de la normalité, l’orientation psychanalytique permet de faire valoir la variété des solutions que les sujets exploitent afin de trouver stabilisation. Plusieurs cas développés dans ce livre permettent de serrer l’enjeu du diagnostic pour entendre les tourments que certains sujets éprouvent, notamment lorsque la pulsion de mort est sur le devant de la scène. Il en est ainsi de certains criminels dont les meurtres semblent inexplicables mais tiennent à une logique que restitue J.-C. Maleval. D’autres chapitres sont consacrés à l’effort de créativité intellectuelle dont font preuve de nombreux sujets pour pallier leur exclusion du code commun, par exemple Fritz Zorn ou Raymond Roussel. J.-C. Maleval précise à chaque fois les coordonnées de la psychose, évitant le flou des diagnostics tels que « borderline » ou « syndrome d’Asperger ». Enfin, il consacre plusieurs textes au recours à l’écrit par de nombreux psychotiques, pointant les ressources qui s’en dégagent. Les différentes analyses de cet ouvrage sont toutes précieuses tant elles font entendre ce que des sujets peuvent formuler à l’abri des discours établis. Elles bousculent l’idéologie du moi autonome et nous enseignent plus généralement quant aux effets de la marque du signifiant sur le parlêtre.
Sébastien Dauguet
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[1] Maleval J.-C., Conversations psychanalytiques avec des psychotiques ordinaires et extraordinaires, Toulouse, Ères, 2022.
[2] Miller J.-A., La psychose ordinaire. La Convention d’Antibes, Paris, Agalma/Seuil, 1999.
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