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La petite fille au doigt coupé

Par Audrey Berthelot
2 septembre 2016
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Je reçois Madame L. trois jours après l’attentat de Nice. Elle vient sur conseils de ses proches pour parler de ce qu’elle a vécu le soir du 14 juillet. Ses premiers mots seront les suivants : « Je suis bloquée, c’est comme si je ne ressentais rien. » Madame L. indique d’emblée sa réponse symptomatique face au choc : la fermeture.

Elle rend compte brièvement de ce qui s’est passé pour elle. Elle était seule à Nice et avait décidé d’aller voir le feu d’artifice. Sur le chemin du retour, elle dit avoir été attirée par une musique. Un groupe que son mari apprécie jouait sur la plage, elle a quitté la promenade pour se rapprocher. Face à la mer, elle filmait les musiciens avec son téléphone quand l’horreur s’est produite. « Je n’ai pas vu le camion, je n’ai pas compris ce qu’il se passait. Je n’ai vu que les corps, mon premier mouvement a été de me diriger vers les blessés mais j’ai entendu des tirs et je me suis dit qu’il ne fallait pas rester là. J’ai vu un homme avec ses enfants, je les ai suivis, en regardant le sol. » Ils se sont réfugiés dans la cave d’un restaurant. « Je n’ai pas eu peur. » Madame L. dit avoir contacté sa fille qui vit à Toulon. Celle-ci a décidé aussitôt de venir à Nice, pour la chercher.

Au bout d’un temps, Madame L. et les autres ont pu sortir de leur cachette. Madame L. rapporte sa stupeur en découvrant que des hommes tout seuls s’étaient barricadés dans des cabines de plage et n’avaient pas ouvert aux autres. Elle est rentrée chez elle, sa fille est arrivée et l’a conduite à Toulon. « Je ne voulais pas qu’elle vienne. Je ne voulais pas partir. Je voulais rester avec les autres, comme pour partager la douleur avec eux. » Mais Madame L. s’est laissée conduire et a quitté Nice : « C’est comme s’il me manquait quelque chose, je me suis sentie comme amputée. »

« Avez-vous déjà éprouvé la même chose ? » Immédiatement, Madame L. me répond par l’affirmative et rapporte deux scènes qui résonnent avec ce qu’elle vient d’énoncer. Petite, vers l’âge de cinq-six ans, en jouant sur la plage, elle s’était blessée le doigt. Elle avait été amenée à l’hôpital par ses parents, il était alors question qu’elle soit greffée. Elle avait eu très mal, elle se souvient des mots de son père qui l’assistait : « Mords-moi si tu veux. » « Et puis, j’ai grandi avec ça, sans y penser. » Madame L. ajoute que cela ne l’a pas empêchée dans son travail, elle qui est professeur de piano.

Plus tard, toujours sur la plage, Madame L. touche à nouveau du doigt le réel. Elle se baigne avec sa fille. Elles sont prises par les « baïnes », des courants contraires qui les éloignent du rivage : « Je ne me suis pas rendue compte, on n’arrivait plus à revenir. C’est ma fille qui m’a sauvée, après c’est elle qui n’arrivait plus à revenir au bord, j’ai trouvé quelqu’un qui l’a aidée. Je me suis toujours sentie très coupable, pas à la hauteur. Normalement, c’est moi qui aurait dû la sauver. Je n’en ai jamais parlé à personne. »

C’est la petite fille au doigt coupé que j’ai entendue ce jour-là. Elle fait retour dès que le réel se pointe, qu’importe le lieu. Elle s’en remet à l’Autre, à ses parents, à sa fille, à l’homme avec ses enfants qui chacun à leur façon incarnent le Nebenmensch qui peut la secourir et calmer en partie la douleur. En partie seulement, car elle sait qu’ils ne peuvent rien contre le manque de l’Autre que les hommes cachés dans leur cabine lui ont rappelé.

A la fin de notre échange, je prendrai soin de lui communiquer le nom d’un psychanalyste. Je l’accompagnerai jusqu’à son mari, et en échangeant quelques mots, soutiendrai auprès de lui son souhait de rendre visite à ses parents et de ne pas rester seule pour quelque temps.

Numéro : L'Hebdo-Blog 79
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