Entre l’homme et la femme,
Il y a l’amour.
Entre l’homme et l’amour,
Il y a un monde.
Entre l’homme et le monde,
Il y a un mur. [1]
Jacques-Alain Miller commente le dire de Lacan dans …ou pire selon lequel « la transgression, ça ne tient pas quand il s’agit du véritable impossible » [2] et indique que « le véritable impossible, c’est le réel » [3]. Cet impossible qui se démontre et ne se transgresse pas a constitué le cœur de mon expérience, de l’entrée en analyse à sa sortie. Je vivais cet impossible comme un mur sur lequel je ne cessais de buter. Plus je voulais le démolir ou le traverser – m’acharner à vouloir écrire le rapport sexuel qu’il n’y a pas – et plus je le faisais consister.
Le mur composa la pièce autour de laquelle je fis d’innombrables tours. Il fallut une série d’opérations pour que mon impuissance face à ce mur passe à l’évidence d’un impossible. Le réel de cet impossible reste le même, mais j’ai cessé de chercher désespérément à faire le mur, ce qui constituait le lit de mes déboires conjugaux. Frappée à la puberté par un dire maternel [4], que j’avais saisi comme une promesse d’existence du rapport sexuel, et nourrie par une pente à l’infinitude, qui versait du côté d’un pousse-à-jouir surmoïque, je ne lâchais rien – quitte à m’accrocher à l’Autre – pour réaliser ce rêve de la complémentarité du deux, à l’amour et au désir conjugués. Autant dire que mes efforts furent vains et l’analyse nécessaire pour que se déconstruise ce mur, car c’était refuser d’admettre que l’amour échoue à chiffrer le non-rapport sexuel [5]. Contourner, cerner, serrer cet « (a)mur » [6], c’est passer de l’amour au mur, du manque de la castration au « ça ne marche pas », du mur du non-rapport sexuel au mur du langage. Le mur névrotique de la répétition prit la forme d’un acharnement que le fantasme fixait à me faire voir comme objet jeté, corollaire du fait de m’accrocher. Une fois le fantasme traversé, avec la chute de l’objet a, le réel de l’impossible rapport sexuel n’en demeurait pas moins.
C’est à atteindre la haine qui vise au réel, cachée par l’idéal, mais première par rapport à l’amour [7] – haine qui touche « la jouissance de l’Autre » [8] –, que je pus serrer la jouissance Une et, enfin, consentir à l’impossible. Alors, le mur s’évanouit. L’inconsistance de l’Autre s’en déduisit. « Ce qui parle n’a à faire qu’avec la solitude, sur le point du rapport […] [qui] ne peut pas s’écrire » [9]. De la solitude de l’enfermement des murs, j’ai pu accéder à la solitude qui ouvre à une liberté insoupçonnée. Celle qui s’affranchit de la demande, à l’analyste aussi bien.
[1] Poème d’A. Tudal, cité par J. Lacan, in Je parle aux murs, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2011, p. 98.
[2] Lacan J., Le Séminaire, livre XIX, … ou pire, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2011, p. 119.
[3] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. L’Un-tout-seul », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris VIII, cours du 2 mars 2011, inédit
[4] Développé dans mon premier témoignage et dans les suivants : cf. Béraud A., « L’amur et l’amour », La Cause du désir, n°101, mars 2019, p. 123-128 ; « Le devenir des modes de jouir féminins après l’analyse et la passe » La Cause du désir, n°103, novembre 2019, p. 168-171 ; « Passe et féminin – Du ravage à la solitude », Quarto, n°123, novembre 2019, p. 73-83 ; « La morsure », Quarto, n°123, op. cit., p. 87-90 ; « L’urgence d’y être », Mental, n°40, novembre 2019.
[5] Cf. Fajnwaks F., « L’amour après l’amour », enseignement prononcé dans le cadre de l’École de la Cause freudienne, cours du 22 avril 2020, inédit.
[6] Lacan J., Je parle aux murs, op. cit., p. 103.
[7] Laurent É., « Disruption de la jouissance dans les folies sous transfert », L’Hebdo-Blog, n°133, 15 avril 2018, publication en ligne (www.hebdo-blog.fr).
[8] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Extimité », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris VIII, cours du 27 novembre 1985, inédit.
[9] Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1975, p. 109.