Qu’est-ce qu’une institution qui place en son cœur la psychanalyse ? Nous prendrons les choses par le biais du singulier et du pratique.
D’une cause
Le rapport à la cause peut s’appréhender très précocement dans une existence, avant même qu’elle se dégage comme analytique.
Qu’est-ce qu’une institution qui place en son cœur la psychanalyse ?
J’aborderai la question à un niveau concret, à partir de mon expérience de l’École, et également de celle du Directoire dans sa troisième année.
Que la psychanalyse soit en jeu dans le rapport à l’École pour chacun, est à relier au fait qu’on y accède, un par un, sur la base d’une supposition de savoir avec effet transférentiel plus ou moins immédiat. C ‘est le un par un par où l’institution coïncide avec la pratique. On y entre non pas à partir de son statut social mais à partir d’un désir d’analyse : avoir mis la psychanalyse en position de cause dans son existence. On loge ainsi dans l’École le rapport à la cause.
Une communauté vivante
L’ECF est une association, et à ce titre une fiction légale mais elle est aussi d’un autre ordre : elle est enracinée dans la réalité effective d’une communauté, soutenue par une adhésion profonde, qui témoigne de sa longévité. Ses mécanismes statutaires et réglementaires sont délicats, qui permettent de supporter une autre réalité. Ils ne sont au service d’aucun pouvoir mais d’une politique. À distinguer de l’appareil bureaucratique, il y a la communauté vivante que l’on intègre à partir d‘un désir.
Le fonctionnement de l’École tient à ses forces vives. Il y a à la fois des dispositifs organisationnels et institutionnels solides, et le mouvement, les initiatives, qui font de l’École une réalité vivante et une présence dans la vie de chacun, une chose autour de laquelle gravite le désir d’analyse.
Une cause, des liens, un travail
Ça fonctionne comment ? Une cause, des liens, un travail.
Une action est politique si elle contribue à une politique de la psychanalyse, et ce, à condition de réaliser la pérennité des instances de l’École, de contribuer à la constitution d’une communauté vivante (physique et virtuelle), et d’élaborer une politique (tactique et stratégie). C’est parce que les instances de l’ECF fonctionnent dans leur stabilité et qu’elles se caractérisent par une conversation assidue sur la politique de la psychanalyse, qu’elles constituent des points d’appui sûrs pour l’action lacanienne, qu’elles rendent possible un travail d’École qui stimule les initiatives individuelles, suivant une organisation moins centralisée. L’action lacanienne en est d’autant plus inventive, aérienne, créatrice.
Éros unitaire
Il y faut un Eros unitaire, selon l’expression de J.-A. Miller, un mouvement vers le Un. Quel est il cet UN? Le standard ? Non, c’est le UN de l’orientation lacanienne. Cette aspiration unitaire constitue une finalité d’ordre supérieur mais comme elle n’est pas un mouvement vers une doxa déjà là, elle nécessite la « conversation continue », ainsi que J.-A. Miller le proposait lors de son allocution de Délégué général de l’AMP en 1998. La conversation est nécessaire pour forger la langue commune de la psychanalyse, l’anti-Babel (le multiple sans le localisme), une langue entre les psychanalystes et avec la sphère publique. La conversation psychanalytique a commencé avec Freud disait-il, puis s’est poursuivie avec Lacan et aujourd’hui elle continue dans le Champ freudien. Ce n’est pas la langue de l’harmonie, car la conversation appelle la dispute, la confrontation des élaborations.
Surtout, ce n’est pas un Discours que l’on tient, car on est nous mêmes immergés dans le discours. On ne tient pas un discours aux membres de cette École, on tente d’extraire la logique dont on est serf.
Bref une responsabilité réside à ce niveau là : ce n’est pas un gouverner à partir d’un sommet, à coup de S1 tels des significations figées, de slogans ou de mots d’ordre, véhicules d’idéaux. Si S1, il y a, c’est le S1 de l’inscription de la voix, celui de l’orientation. Si pouvoir il y a, c’est par le lien, non par le sommet.
Il s’agit de s’assurer et d’assurer les conditions de la conversation, telle qu’elle arrime l’École au réel du XXIème siécle, à la civilisation, à la cité.
Immersion
Il faut souligner ici la particularité de l’axe central de la politique d’une École, soit la formation du psychanalyste. Elle ne se fait pas par ascension progressive, suivant un cursus, mais s’effectue, se réalise par « immersion » selon l’expression que J.-A Miller a proposée. Elle nécessite de séjourner assidûment et longtemps dans l’École, de plonger dans ses enseignements, conférences, débats, cartels, journées. L’immersion est une donnée essentielle en ce qu’elle touche au rapport à l’Autre. Il s’agit de créer les conditions actuelles d’immersion afin de favoriser l’insertion de la psychanalyse dans le siècle : en somme, de tenir compte du sujet de la civilisation contemporaine précisément.
Un Éros ça demande à être entretenu, enflammé parfois, c’est celui que suscite cette orientation, dans la conversation continue. Bref, ça ne s’entretient pas avec des passions tristes. D’ailleurs, il ne saurait y avoir d’éthique que de la joie (une joie toute spinoziste), dans l’art de la direction d’une École.
Ce texte a pour partie été prononcé lors de la soirée de l’ACF Belgique, « Conversation autour de l’École », le 20 mai 2016, à Bruxelles.