Comment penser l’École à l’heure où le danger qui la guette est de sortir des discours ? Qu’est-ce qui nous lie dans une École de psychanalyse ? Jusqu’où s’étend-elle ? Ces questions étaient au rendez-vous de la conversation peu ordinaire qui s’est tenue à l’ACF-Belgique, le 20 mai dernier. S’y sont rencontrés, sous l’égide de l’EFP, Christiane Alberti, présidente de l’ECF et Yves Vanderveken, président de la NLS.
Que l’École soit avant tout une École d’analysants invite celui qui a mis la psychanalyse au cœur de sa vie à y loger son désir d’analyser la cause qu’il a très précocement expérimentée. S’il n’y a pas d’École sans rapport à l’idéal[1], le désir de savoir en jeu dans une analyse implique de cerner au plus près le rapport de jouissance qu’on entretient avec lui. Ce désir défait l’identification au trait unaire repéré par Freud, qui unit les foules avec effet de massification. Il y a bien des S1 dans l’École, mais ils s’inscrivent singulièrement pour chacun, et leur signification est sans cesse à interpréter.
L’École n’est donc pas une foule, plutôt l’incarnation d’un paradoxe : c’est parce qu’elle repose sur des singularités multiples qu’elle est Une. La solitude du réel de chacun en constitue le point d’idéal, mais ne s’inscrit pas à l’horizon. Il est plutôt cause qui pousse à faire lien par la conversation. L’École ne tient que de ce désir de converser adressé à elle à partir de cette myriade de sinthomes.
Son existence, sa survie, apparaissent alors comme répercutant, de structure, le choix forcé qui a présidé à sa fondation par Lacan : inventer, converser ou disparaître. Si, de tout temps, elle a eu à lutter contre ses virulents détracteurs, défenseurs d’une sorte d’evidence based psychology, ce choix forcé est aussi interne à la communauté analytique et invite chacun à se situer analytiquement contre la pente de la maîtrise, accrochée aux restes symptomatiques toujours à interpréter.
« Il ne s’agit pas dans l’École de parler la langue de l’Autre, sinon pour lui dire ce qu’il ne veut pas entendre »[2]. Chacun est appelé à s’immerger dans le bain d’une langue commune, à travers Congrès, Journées, Rencontres, etc., où le désir palpite. Cette langue commune, alluvionnaire, devient ainsi celle de l’anti-Babel et de l’anti-localisme. Elle s’acquiert dans un lien transférentiel auprès non pas de celui qui sait, mais du sujet-supposé-savoir.
Dans cet « Éros unitaire »[3] s’inscrit la volonté de l’École d’ouvrir les débats sur les questions proprement analytiques à un large public, non réservé à ses membres. Par la conversation infinie, le contrôle ou la passe sont ainsi rendus désirables. Le savoir en jeu dans l’École, en lien avec la jouissance et fondamentalement troué, diffère de celui, plutôt « funéraire »[4], de l’Université qui n’accroche rien du réel. Un gai savoir nous lie en rapport avec une éthique du bien-dire. « On ne fait pas la passe pour se sentir bien, c’est une affaire de savoir. Quand on attrape la jouissance, on est joyeux ! »[5] C’est une joie intranquille sans cesse bousculée par les mouvements de son cœur insaisissable et incandescent : la passe, qui toujours maintient un problème au milieu de l’École. Les témoignages des AE produisent du nouveau qui amène à la repenser et la remanier sans cesse[6].
La joie de la conversation est donc affaire de bien-dire, d’interprétation et de transfert. C’est ce que nous opposons en réponse aux discours contemporains, où prévaut l’idée que les mots diraient les choses ou que les choses parleraient pour dire tout ce qu’il y a à savoir. Mais, selon la belle formule de J.- Cl. Milner[7], les choses ne parlent pas, c’est justement ce par quoi nous sommes affectés.
Nous avons à tirer les leçons de l’avancée de Freud dans le siècle avec sa Psychopathologie de la vie quotidienne pour rendre visibles les signifiants de la psychanalyse. Il s’est adressé aux symptômes de ses contemporains en pariant sur leur désir de savoir. Parler de l’intime dans la cité aujourd’hui s’impose plus que jamais.
C’est dans nos ACF, présence incarnée de l’École dans les régions, que trouve d’abord à « s’attiser le feu du vivant »[8].
[1] Miller J.-A., « Théorie de Turin », http://www.causefreudienne.net/theoriedeturin/
[2] Yves Vanderveken
[3] Christiane Alberti
[4] Philippe Hellebois
[5] Patricia Bosquin-Caroz
[6] Gil Caroz
[7] Milner J.-Cl. La politique des choses, Navarin, 2005.
[8] Katty Langelez