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Nouvelle Série, L'Hebdo-Blog 249, Édito

ÉDITORIAL : La passion de l’ignorance

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Dans son texte « La direction de la cure », Lacan nous invite à suivre les méandres du « manque à être du sujet[,] le champ […] où se déploie la passion du névrosé » [1] dont il fait le centre de l’expérience analytique. Par le fait même d’être frappé par le langage, le manque s’invite au cœur du sujet qui très tôt s’échine à le couvrir en le propulsant sur la scène de l’Autre : « Ce qui est ainsi donné à l’Autre de combler et qui est proprement ce qu’il n’a pas […] est ce qui s’appelle l’amour, mais c’est aussi la haine et l’ignorance » [2]. Ces « passions de l’être » donnent une forme à ce manque en évitant soigneusement de le mettre véritablement en jeu. Il s’agit pour le sujet d’un appel à l’Autre qui viendrait compléter son être, un ne rien vouloir savoir ni sur sa jouissance ni sur le manque qui caractérise l’Autre. Ces « passions nient l’Un et la solitude radicale dans laquelle il s’agit de faire l’assomption d’une jouissance Autre à soi » [3], indique Anaëlle Lebovits-Quenehen.

C’est ainsi que, sous couvert d’un symptôme dont l’Autre est mis en place de témoin, l’expérience analytique vise à découvrir ce manque-à-être. Carolina Koretzky nous rappelle que « les passions ne sont […] pas uniquement celles de l’aliénation à l’Autre, elles sont également à rapporter à l’objet comme reste, résidu de l’opération de séparation d’avec l’Autre » [4]. En se délestant de différences couches, dont les identifications, le sujet se trouve d’une part allégé et d’autre part lesté, non plus d’une passion aveugle pour l’Autre, mais d’un objet détaché du fantasme, cet objet du corps qu’il aura mis en jeu dans son lien à l’Autre, dans la plus grande extimité.

Le maniement du transfert en est profondément impacté, puisqu’il ne s’agit pas de convoquer le savoir pour combler l’ignorance. Bien sûr, « la psychanalyse peut être un remède contre l’ignorance » [5], mais c’est à la seule condition que le sujet s’en fasse responsable. Même s’il va de soi que l’analyste revêt à l’occasion les oripeaux du savoir, en aucun cas, celui-ci ne vise l’être du sujet en l’acquittant d’une responsabilité quant à sa jouissance. Il invite plutôt l’ignorant à emprunter des chemins de traverse qui l’amèneront à se faire responsable de la part de vivant qu’il a laissée à la charge de l’Autre.

[1] Lacan J. « La direction de la cure et les principes de son pouvoir », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 613.

[2] Ibid., p. 627.

[3] Lebovits-Quenehen A., « Interview », entretien avec M. Perrin, Ironik, n°17, 1er septembre 2016, publication en ligne (www.lacan-universite.fr).

[4] Koretzky C., « Passions de l’être, passions de l’â-me », La Cause du désir, n°93, septembre 2016, p. 77, disponible sur le site de Cairn.

[5] Lacan J., « Jour de grève », texte établi par J.-A. Miller, Le Séminaire, livre XXII, « R.S.I. », leçon du 19 novembre 1974, in De Halleux B. (s/dir), Le Désir de Lacan, Paris, Presses Psychanalytiques de Paris, 2021, p. 8.

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