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Édito, Nouvelle Série, L'Hebdo-Blog 253

ÉDITORIAL : La nostalgie de la norme mâle

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Le regret du temps passé est étranger à la psychanalyse. L’idée que le bon temps est perdu rime, au mieux, avec le ton plaintif du névrosé, au pire, avec un ne rien vouloir savoir du réel. Le regard toujours en arrière pour rester bien attaché à un passé prétendu merveilleux.

Le terme nostalgie, composé de nóstos – retour – et d’álgos – douleur –, évoque la perte et le désespoir de l’impossible retour, le ton mélancolique n’est pas loin, il signifie l’éloignement du lieu habituel. Johannes Hofer, jeune médecin alsacien, a utilisé le premier ce mot en 1688 pour nommer le mal du pays des mercenaires suisses de l’armée de Louis XIV [1]. La chaleur du foyer familial qui n’est plus, les chants qui parlent de la patrie lointaine, les paysages oubliés, les chants à la gloire du pays. L’Idéal du moi prend de l’ampleur et gonfle l’absolu de ce qui est estimé perdu.

La nostalgie implique également le regret mélancolique, comme le dit la chanson :

« Oublier le temps
Des malentendus
Et le temps perdu
À savoir comment » [2].

L’impuissance à l’égard de l’Idéal amène à une recherche passionnée du retour : Ne me quitte pas cher passé, ah ! si j’avais pu, ah ! que c’était mieux avant.

« Make America Great Again » vous rappelle-t-il quelque chose ? Again, retour en arrière pour retrouver le beau pays perdu, pour calmer les peurs, l’incertitude.

Avançons avec une hypothèse, la nostalgie est une haine du temps qui passe. Ce n’est pas étonnant que les nostalgiques s’accrochent à la supposée solidité de l’avant, au rêve que tout reste à la bonne place pour être bien rassurés. La nostalgie est un amour du bon vieux symbolique. Et quand la nostalgie est celle de la norme mâle, quand le pays natal est l’ordre père dû, l’Idéal prend une autre tonalité, une tonalité inquiétante.

La psychanalyse est incompatible avec la nostalgie en tant qu’elle ne se laisse pas embrouiller par le « présent instantané » [3], celui qui fait émerger les peurs, toujours les mêmes, et il éveille la haine : L’autre, le petit autre, veut mes biens, ma femme, mon homme, ma langue, mon travail, mon chez-moi.

L’expérience analytique fait toucher du doigt que le présent à une « certaine épaisseur » [4] pour utiliser une expression de Lacan mise en relief par Jacques-Alain Miller dans le texte : « Introduction à l’érotique du temps ». Il extrayait ainsi du Séminaire V ces quelques mots : « Un discours […] prend du temps, il a une dimension dans le temps, une épaisseur. Nous ne pouvons absolument pas nous contenter d’un présent instantané, toute notre expérience va là contre » [5].

Comment « s’occuper du présent épais » [6] alors que la norme mâle adore l’instantané ? Notre époque pousse du côté de la conclusion rapide ce qui, paradoxalement, va de pair avec la nostalgie. L’épaisseur n’est ni la lourdeur ni l’enchantement de l’aujourd’hui, elle implique la prise en compte de la pluralité des couches du discours. L’idéologie est le contraire, elle glisse facilement ; elle passe de bouche en bouche et pousse à la conclusion hâtive.

En 2017, J.-A. Miller avertissait : « Penser que la psychanalyse est exclusivement une expérience d’un par un, une expérience intime échappant au chaos, au malaise qui prévaut dehors, est une erreur. » [7] Il y a donc quelque chose à dire.

Les 51e journées de l’École de la Cause freudienne : « La norme mâle » se tiendront les 20 et 21 novembre 2021, elles prendront à bras le corps cette question brûlante. En attendant, L’Hebdo-Blog, Nouvelle série vous propose plusieurs manières de déjouer la nostalgie de la norme mâle.

[1] Cf. l’article « Nostalgie » sur l’encyclopédie en ligne Wikipédia : wikipedia.org

[2] Brel J., « Ne me quitte pas », La Valse à mille temps, album, France, 1959.

[3] Miller J.-A., « Introduction à l’érotique du temps », La Cause freudienne, n°56, février 2004, p. 83, disponible sur le site de Cairn.

[4] Ibid.

[5] Lacan J., Le Séminaire, livre V, Les Formations de l’inconscient, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1998, p. 15.

[6] Miller J.-A., « Introduction à l’érotique du temps », op. cit., p. 83.

[7] Miller J.-A., « Conférence de Madrid », Lacan Quotidien, n°700, 19 mai 2017, publication en ligne (www.lacanquotidien.fr).

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