
Document de la FCPOL sur la loi trans
Nos collègues espagnols de la Fondation pour la Clinique Psychanalytique d’Orientation Lacanienne, FCPOL [1], ont pris la mesure de la discussion sur la loi Trans en Espagne, de ses incidences sur la parole et donc de ce qu’il en est du rapport des sujets à l’inconscient. Mais aussi des conséquences cliniques et sociales de ces revendications qui ne peuvent que nous interroger.
Il nous est apparu que dans ce moment il était important de publier ce texte qui analyse, argumente et fait des propositions dont, en France, nous avons à nous inspirer.
Tout d’abord, ce texte rappelle que nous ne pouvons que nous réjouir d’une initiative visant « à garantir et à promouvoir le droit à l’égalité réelle et effective des personnes lesbiennes, gays, transsexuelles, bisexuelles et intersexuelles, ainsi que celui de leurs familles » [2]. Il faut souligner aussi que « la psychanalyse s’est toujours caractérisée par le respect des diverses orientations sexuelles » [3] et qu’elle a accompagné cette émancipation. « Les déclarations de Freud sur l’homosexualité, à contre-courant d’une époque où elle était considérée comme une maladie ou une perversion, ont posé les bases d’une orientation qui n’a jamais été remise en cause. Par conséquent, l’intérêt des psychanalystes et leur préoccupation pour ce qui concerne aujourd’hui le “trans” ne relèvent ni de préjugé ni d’une quelconque exclusion de la diversité. Bien au contraire, ils luttent contre toute forme de discrimination, car leur pratique est par principe non ségrégative » [4].
C’est à partir de notre expérience que nous ne pouvons faire l’impasse sur les conséquences pour les sujets et le lien social de décisions qui peuvent viser la liberté d’expression autant que la négation de l’inconscient.
Or, dans la nuit de mardi à mercredi 5 octobre, l’Assemblée Nationale en France, a examiné la proposition de loi « interdisant les pratiques visant à modifier l’orientation sexuelle ou l’identité de genre d’une personne » [5]. Bien évidemment, on ne peut qu’être d’accord pour faire interdire les pratiques de conversion, mais que veut dire visant à modifier l’orientation sexuelle d’une personne ? La députée Laurence Vanceunebrock rapporteure du texte rappelait en début de séance les pratiques visées par cette loi : « Exorcismes, retraites, stages de guérison, séance d’humiliation, hypnose, traitement par électrochocs, prescription d’anxiolytiques, d’antidépresseurs, injection d’hormones, ou encore mariages forcés, séquestration, privation de nourriture, coups et violences, viols et même excision. » [6]
Qui ne soutiendrait pas ce projet ?
Pourtant, une profonde ambiguïté subsiste quant à cette proposition de loi, si l’on se reporte, par exemple, à l’article 225-4-13 – « Les pratiques, les comportements ou les propos répétés visant à modifier ou à réprimer l’orientation sexuelle ou l’identité de genre, vraie ou supposée, d’une personne » [7]… Que veut dire vraie ou supposée ? Où commence la supposition, où s’arrête-t-elle ? Où commence la question des propos ou des comportements ? Et que devient l’autorité parentale pour les questions de genres ? Les parents auront-ils leur mot à dire quant à la prise de traitements ou une opération chirurgicale si elle est réclamée ou souhaitée par leur enfant ? Sera-t-il possible pour un ou une jeune qui dans ces moments où le trouble et le questionnement sur le sexe ne font que rarement émerger la certitude mais bien plutôt l’angoisse et le doute d’avoir accès à des consultations ? Et, médecins et psychologues se sentiront-ils en position de faire un travail d’exploration de la parole d’un sujet, dont nous savons ce qu’elle peut dire d’une position inconsciente, si pèse sur eux l’idée qu’une question, une intervention dans le cadre d’un entretien puisse être interprétée comme propos visant à modifier… ? Les sujets risquent de se retrouver seuls face à leurs propres énoncés, pris dans une littéralité et un pousse-à-la-radicalité et la certitude, qui ne leur laissent plus le droit au doute, à la remise en question, à la complexité, bref, à la nécessaire interprétation de ce qu’ils vivent.
Si nous nous réjouissons d’une proposition de loi interdisant les pratiques de conversion, l’introduction de la notion d’identité de genre soulève des questions que le législateur a laissées dans l’ombre.
Ce débat doit avoir lieu, il est apparu au conseil de l’École de la Cause freudienne, que le document de nos collègues de la FCPOL venait à point nommé pour nous permettre d’y prendre part sur des bases solides.
Laurent Dupont
Président de l’École de la Cause freudienne
[1] FCPOL : Fundación para la Clínica Psicoanalítica de Orientación Lacaniana, site internet : fcpol.org.
[2] FCPOL, « Arguments et propositions au projet de la Loi Trans-LGBT envoyés au Ministère de l’Égalité d’Espagne », L’Hebdo-Blog. Nouvelle série, n°251, 11 octobre 2021, publication en ligne (www.hebdo-blog.fr).
[3] Ibid.
[4] Ibid.
[5] « Proposition de loi interdisant les pratiques visant à modifier l’orientation sexuelle ou l’identité de genre d’une personne », 5 octobre 2021, disponible sur le site de l’Assemblée Nationale : assemblee-nationale.fr
[6] Vanceunebrock L., citée par A. Mirkovic, in « Enfants et questionnement de genre : “Les députés organisent la démission des adultes” », Marianne, 8 octobre 2021, disponible sur internet.
[7] « Proposition de loi interdisant les pratiques… », op. cit., article 225-4-13.
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