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Des choses et des mots

Par Nathalie Georges-Lambrichs
29 mars 2015
Des choses et des mots
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Le parti-pris des choses

En 1955 Lacan se fit le porte-voix d’un pupitre. En ce temps-là, parler avec son corps était sans doute si évident que personne n’en disait rien – moyennant quoi se creusait l’écart entre l’avance prise par la clinique et le retard de son élaboration. On en est réduit à imaginer aujourd’hui ce que fut la performance de l’exposé intitulé « La Chose freudienne » : « Moi, la Vérité, je parle ». Un grand moment, sans doute, dont la trace, perdue, se confond désormais avec l’écrit qui porte ce titre. Dans le Séminaire II, contemporain de ce moment, Lacan s’emparant du signifiant « porte » le tourna et retourna dans son inimitable phrasé pour faire briller l’absence de LA porte, « imparfaite en cela que plusieurs », et montrer qu’elle était l’objet symbolique par excellence. Puis il y eut l’arbre qu’il mit cul par-dessus tête après avoir produit le mathème de l’alphabêtisation dans « L’instance de la lettre… » et dont il lança les cinq lettres en l’air comme des dés pour les lire, une fois retombées, en b-a-r-r-e dévolue à séparer le signifiant du signifié.

Au commencement il y avait eu l’expérience princeps de la cure d’Anna O*. Elle avait montré que « libérée », la parole adressée au médecin empruntait d’anciens frayages, soit des circuits signifiants constitués du fait de la percussion antérieure sur ou dans le corps de certains dires. La cure devint la mise en acte de cette parole, seule capable de débusquer les signifiants condensateurs d’une jouissance traumatique ou pathogène. Une fois révélés, ceux-ci perdraient leur pouvoir malin et prendraient une autre valeur. Ainsi naquit la psychanalyse, en tant que discipline capable de produire une nouvelle alliance entre la chair et la matérialité signifiante, à moindres frais pour le sujet qui y regagna une marge de manœuvre. Plus tard, l’expérience s’étendit au-delà de ses marques premières et le pari porta sur la consistance d’ancrages signifiants inédits, là où il n’y avait pas eu quelque chose, ni tout à fait rien peut-être. « Pour introduire le narcissisme », Freud 1914, puis « Le Stade du miroir… », Lacan 1936-45, sont deux textes qui mirent en évidence un certain primat de l’image, sinon de l’Imaginaire, dans l’espèce affectée par la parole et le langage. Support d’une aliénation première à l’image, le miroir, cet objet dérivé du lac naturel, ne redouble-t-il pas, en le déformant à l’occasion, tout ce qui, animé ou inanimé, entre dans son espace virtuel ?

À travers le miroir, au-delà du fantasme

Puis ce fut le cadre qui prit son indépendance, migrant du miroir au fantasme. C’est cet ordre que Lacan remet en question lorsque, avec Joyce, il sort (de quelle remise ?) humble parmi les humbles[1], l’escabeau. Laissant les miroirs à leur place, il accommode son regard sur la modeste prothèse qui rappelle à chacun, tombé des genoux complaisants à former son premier piédestal, qu’il ne peut se passer du secours de ces quelques marches pour atteindre les objets gardés hors de la vue, triviaux (ampoules, papier hygiénique, valises etc.,) précieux ou licencieux (livres et/ou images). L’escabeau est là, à portée des mains et des pieds. « Il existe [en effet] un certain rapport entre ustensile et utile – et d’autre part entre ustensile et ostensible », écrit Francis Ponge[2]. On peut le réduire à presque deux dimensions en le pendant au mur, et le déployer si besoin est. C’est un outil, portable, qui va et vient au gré des heures, entre la cuisine et la bibliothèque. « Il est d’ailleurs entendu qu’il ne présente rigoureusement aucun intérêt en dehors de son utilité précise ». [3]

À chacun son escabeau

Il faut bien que quelque chose ait été escamoté pour que Lacan revienne sur ses traces et postule, pas plus au-delà qu’en-deçà du miroir, mais à côté, l’SK-beau. Dira-t-on que la subversion spatiale que produit l’analyse donne au parlêtre un accès au savoir ? De quel bois cet escabeau est-il fait ? Du fauteuil ou du divan qui supporte son corps apporté en séance, l’analysant extraira la matière première nécessaire pour construire son nouveau support. C’est qu’il lui faudra se hisser, non pas pour se croire ou s’y croire, mais pour supporter la nécessité de participer en son nom à l’aventure de la psychanalyse. S’il peut et doit s’en passer, c’est à condition de ne s’en servir que pour mieux mettre un pied, un signifiant, devant et derrière l’autre.

Ce parti-pris des choses et autres menus objets qui lestent nos corps marqués d’une insoutenable légèreté native est aussi une politique. Elle tend à renouveler l’alliance du vivant avec son savoir-faire. Celui-ci, propre au sujet, est marginal en son principe. Il peut néanmoins s’articuler avec d’autres, et, dès lors, n’en résister que mieux au main stream des pousse-au-jouir – prêts à porter et toujours déjà obsolètes – nés des noces de la science et du marché.

[1] Dans la grange

À André Gide

[…]

La vie pauvre, par ce beau jour d’été,

m’a paru revêtir toute sa dignité.

 

Et lorsque sont passés, près de mon escabeau,

les paysans tristes, silencieux et beaux,

faisant rouler les roues dans l’ombre noire et fraîche,

je ne leur ai rien dit et j’ai baissé la tête.

Francis Jammes

[2] Ponge F., OC, tome I, Bibliothèque de la Pléiade, p. 643.

[3] Ibid., p. 644.

Numéro : L'Hebdo-Blog 26
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