
Le contrôle dans la formation du psychanalyste
Examiner les références sur le contrôle tout au long de l´enseignement de Jacques Lacan nous est indispensable pour penser la psychanalyse dans sa conjoncture actuelle, puisque demeure toujours vivante la proposition freudienne qui tient le contrôle pour l´un des éléments fondamentaux de la formation analytique. [1] Au cours des années, nous nous sommes posé des questions sur le travail de supervision dans les institutions, en nous demandant d´abord quelle était la place de la supervision chez les jeunes qui approchaient la psychanalyse d´orientation lacanienne.
La correspondance Freud-Fliess nous aide à comprendre le parcours du premier vers la constitution de son invention, la psychanalyse, à partir des différents versants du transfert en jeu, selon chaque élément du trépied analytique – l´analyse personnelle, les études théoriques et le contrôle de la pratique. Les lettres de Freud à Fliess peuvent être classées selon les trois éléments du trépied, en fonction des différents moments repérables tout au long de cet échange. Nous pouvons distinguer les lettres dans lesquelles ladite « auto-analyse » de Freud est évidente. Dans d’autres nous voyons Freud tentant de surmonter les impasses théoriques rencontrées dans sa clinique. Dans le troisième groupe se dessine l’effort freudien pour présenter les situations cliniques auxquelles il était confronté, quêtant le moindre conseil auprès de son interlocuteur. Toutes les avancées théoriques partaient de la clinique et y retournaient. Ce principe nous oriente encore aujourd´hui dans la pratique du contrôle.
Notre interprétation est que Fliess est à ce moment en position de contrôleur pour Freud. Dès lors, tout un enseignement se dégage.
Au début du XXème siècle, les réunions de participants intéressés par la psychanalyse étaient animées par Freud. Néanmoins, il avait perdu son interlocuteur privilégié. L´histoire du mouvement psychanalytique nous intéresse, car Freud a dû s’affirmer, pour éviter que la psychanalyse ne subisse une déroute supérieure à celle rencontrée à l´époque. À ce moment-là, les discussions de cas cliniques étaient devenues impératives. Il y a de plus en plus d’exigences, internes et externes, pour qu’un contrôle de celui qui s’autorise comme analyste se mette en place. Il est donc compréhensible que de nombreuses tentatives de normalisation de la formation de l’analyste aient vu le jour. Cela, depuis la création de l´Institut de Berlin que Max Eitingon a tenté d´organiser, et qui a eu des répercussions sur l’IPA. Le contrôle de la pratique est donc devenu obligatoire pour ceux qui envisageaient de devenir psychanalystes.
C´est à l´occasion de son « Retour à Freud » que Lacan a dénoncé les déviations au sein de l´IPA. Ces divergences entre Lacan et l’IPA sont issues de l´orientation freudienne, et le contrôle implique nécessairement l´articulation des deux autres éléments. Il lie la formation du psychanalyste et la politique de la psychanalyse. En 1964, Lacan fonde sa propre École. Pas de listes de didacticiens attitrés, mais le transfert comme critère de choix d’un contrôleur par le contrôlant. Avec la proposition de 1967, Lacan bouscule toute idée de confort. L’analyste ne s’autorise que de lui-même. Le gradus Analyste Membre de l’École (AME) est décerné par l’École. Le gradus Analyste de l’École (AE) est lui aussi décerné par l’École, mais à l’issue de la procédure de la Passe, que l’on peut appréhender comme un contrôle qu’il y a bien eu de l’analyse.
Nous pouvons différencier contrôle et supervision dans le cadre institutionnel, où la pratique de la supervision a été présente pendant des années. C´est ainsi que nous avons rencontré dans certains pays comme la France, l´Argentine et l´Espagne, l´emploi du terme supervision à grande échelle lorsqu´il s´agissait de la présence d´un psychanalyste dans une institution. Dans la traduction anglaise, le terme contrôle, Kontrollanalises en allemand, disparait de l´œuvre freudienne et, à sa place, apparaît le terme supervision. Du fait que l´œuvre freudienne dans son édition portugaise est issue de l´édition anglaise, nous, les psychanalystes brésiliens, employons désormais le terme de supervision, le faisant équivaloir à celui de Kontrollanalises en allemand. Les termes supervision et contrôle semblent avoir une certaine similarité, mais en fait, ils sont bien différents. Alors que le premier porte l´idée d´une vision supérieure à propos de tel sujet, le second propose de vérifier si ce qui est mis en pratique est conforme à la praxis psychanalytique. À un moment donné, nous nous sommes demandés si avec l´Orientation Lacanienne, nous ne pourrions plus employer le terme supervision. Fallait-il appliquer le terme de contrôle au quotidien de nos pratiques au Brésil ? Le travail de recherche autour de cette thématique a permis d’avancer un peu plus.
Même si le terme de supervision est réservé à une pratique en institution, j´ose affirmer qu´on cherche toujours en définitive une supervision, quand on est en face d´un cas difficile. De même quand on va chez un analyste, on recherche une psychothérapie. Mais, dans cette quête d’une psychothérapie, on risque de rencontrer un analyste et puis, tout change ! Le terme contrôle est utilisé dans des situations particulières où un analyste soumet sa pratique au contrôle d’un autre analyste. Dans ce cas de figure, il ne s´agit pas seulement de tirer au clair un cas à la lumière des outils théoriques, mais de questionner la position de l´analyste dans son rapport aux principes de la psychanalyse. Quoiqu´il se passe dans le privé ou dans l´institution, nous risquons de rencontrer un contrôleur en nous adressant à un superviseur. Contrôle et supervision s’imbriquent.
Il est impossible de recevoir un jeune praticien sans lui donner des indications de lectures, sans mettre en lumière certains points de la théorie de Freud et de celle de Lacan. Tout cela peut lui servir comme orientation du diagnostic, ou comme maniement du transfert. De plus, cela peut toucher le point où le sujet de l´analyste s´interpose dans le traitement analytique. Dans son séminaire sur le Sinthome en 1975, Jacques Lacan dit de façon surprenante de ceux qui s´autorisent à être analystes : « Ils (les contrôlants) ont en effet toujours raison » [2]. Cela dit, il est important de souligner que celui qui est en contrôle doit suivre son propre chemin, sans que le contrôleur ne devienne une espèce de guide. La pratique de la supervision ou du contrôle est en rapport direct avec les deux autres éléments du trépied freudien. D´une part, elle s´articule au savoir. D´autre part, elle est en rapport avec le non savoir. Le savoir inédit ne peut advenir que de l´acte analytique. Le contrôleur pourra contrôler l´horreur de l´acte suscitée chez le praticien. Il nous semble donc important de maintenir la différence entre la supervision et le contrôle soit en privé, soit en institution.
On peut trouver des éléments de supervision dans une séance de contrôle et des effets de contrôle dans une situation de supervision. C´est dans l’après-coup que l´analyste praticien pourra vérifier ce qui pour lui a eu des effets de supervision ou de contrôle. Il est donc nécessaire de faire un pas de plus, car cette avancée pourrait constituer une sorte de réponse au social qui exige, et il le fera de plus en plus, que la cure soit justifiée. Une fois les effets du contrôle identifiés, la psychanalyse pourrait être à l´abri de ceux qui cherchent à l´éliminer. Le contrôle, depuis l´ère freudienne jusqu’au dernier enseignement de Lacan, de Jacques-Alain Miller, et aussi d´autres auteurs, est fondé sur le respect de la singularité de chaque sujet, raison pour laquelle il demeure toujours vivant.
[1] Texte extrait du rapport de présentation de thèse de Doctorat à l’Université Paris 8 le 12/04/2018, (dirigée par Gérard Miller et Christiane Alberti).
[2] Lacan J., Le Séminaire, livre XXIII, Le Sinthome, texte établi par Jacques-Alain Miller, Paris, Coll Seuil/Champ Freudien, 2005, p.17
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