
« Coby », le parcours d’une transition
Ce documentaire [1] passionnant retrace le parcours d’un jeune homme trans, né fille et qui a décidé de devenir un homme (FtoM). Le film démarre par une scène de sauvetage d’un nourrisson. On est bien loin d’imaginer que l’urgentiste viril et efficace, c’est Coby qui fut une femme avant d’opérer sa transition. Transformation touchant d’abord le corps dans sa dimension imaginaire et réelle, mais accompagnée par des discours et le regard de la camera. Coby se filme semaine après semaine et poste des vidéos sur youtube pour témoigner des effets de la prise de T (testostérone, presque fétichisée) dans son corps et dans sa tête, marquant symboliquement les étapes comme celles d’un parcours initiatique (Hi, it’s my T day ! ). La caméra est également celle du réalisateur, qui recueille les paroles de ses proches, ses parents et sa petite amie. « Il n’y a rien à comprendre », comme le souligne la mère, mais on peut se laisser enseigner, surprendre, questionner par le documentaire et ce que dit Coby.
Dans le regard et dans la voix de la mère de Coby, on perçoit une fêlure. Elle était prête à tout accepter – l’homosexualité de sa fille, son look grunge de garçon manqué – mais pas ça, pas de perdre sa fille. Et puis face à la détermination Coby, il a bien fallu accepter. Quant au père, il a une parole très forte, donnant son assentiment par un « quoique tu décides, cela aura des conséquences, donc choisis ce qui te paraît le plus juste pour toi ».
Coby nous apprend-il qu’on ne nait pas homme, on le devient, pour tordre la célèbre phrase de Simone de Beauvoir ? Il nous montre que se sentir homme n’est pas une histoire de génétique ni d’organe. Mais pour Coby, il ne lui suffit pas de se savoir homme. Cela passe d’abord par l’image, il s’agit de faire correspondre ce qu’il sent à l’intérieur de lui avec l’image que lui renvoie le miroir. Et cette image doit être virile. Ainsi les nombreux plans sur le corps de Coby, sa musculature saillante, son torse nu, qui transpire, et s’emploie à des travaux de force. On voit que pour Coby, cela se noue entre le corps, le miroir, le regard de la caméra à qui il s’adresse, les conversations avec son amie et ses parents qui viennent valider son parcours. Pendant toute cette période, la prévalence « narcissique », imaginaire est telle que Sarah, sa copine, est lassée : tout tourne autour de ça !
Ce qui m’a frappé en regardant ce documentaire, c’est la dimension chirurgicale qu’implique une telle transition. Faut-il que la douleur d’être fille soit insupportable pour que Coby préfère se cogner à l’autre réel, celui des opérations (mammectomie puis hystérectomie) et des piqûres de testostérone… sans compter les risques pour l’avenir (cancer). Une solution bien coûteuse pour trouver sa place au soleil. Le transsexuel tente de « forcer par la chirurgie le discours sexuel qui, en tant qu’impossible, est le passage du réel [2] ».
Les questions qu’un tel parcours suscite, les nôtres, celles de ses parents, ne sont pas les siennes. Car lui n’est pas traversé par le doute. Il est décidé et chaque étape vient le confirmer dans son choix, le plus délicat étant la décision de l’hystérectomie, qui implique également le renoncement à enfanter.
Et pourtant, cela opère puisque avec les années, Coby témoigne de l’apaisement que cette transition a produit dans sa vie, la colère qui s’est tue en lui.
Coby se définit comme un homme, un homme-trans ajoute-t-il. Aujourd’hui, il s’est séparé de Sarah et vit avec un homme. En terme de choix d’objet, que s’est-il passé pour lui ? A priori, il a été lesbienne (comme femme) puis hétéro (en tant qu’homme) et maintenant homo. Est-il homosexuel ? La question lui fut posée lors de la discussion suivant la projection du film. Pour lui, cela ne se pose pas en ces termes : il aime une personne qui se trouve être un homme, c’est tout. On voit que si la question du sexe de son partenaire ne se pose pas pour lui, celle de son propre sexe ne supportait guère de compromis puisqu’il lui a fallu en changer. Néanmoins, être devenu un homme, identifié à une image virile avec une identité d’homme, lui permet désormais de se tenir dans une zone grise, dit-il, entre les hommes et les femmes, mais plus du côté des hommes – et d’être heureux.
[1] « Coby », un film de Christian Sonderegger, Projection-rencontre suivie d’un débat, organisée par le vecteur Champ Contrechamp de l’Envers de Paris, le 29 mars 2018 au MK2 Beaubourg, en présence du réalisateur et de Coby.
[2] Lacan J., Le séminaire, livre XIX, …ou pire (1971-1972), Paris, Seuil, coll. Champ Freudien, 2011, p. 17.
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