La méthode instaurée par Freud et Breuer fut baptisée par Anna O., jeune patiente de Breuer, du nom de talking cure [1]. En accordant la parole aux hystériques, Freud s’est intéressé à leurs dits, jusqu’aux détails exposés – ce qui l’a conduit à la découverte des formations de l’inconscient. « Cette vérité qui parle dans ce qui se dit, dit quelque chose de différent de ce que vous voulez dire » [2]. C’est dans cet écart entre le dit et le dire que se situe l’inconscient, fondant le champ de la psychanalyse.
Certains élèves de Freud ont voulu adjoindre à la pratique de la parole d’autres techniques, liées aux gestes ou au comportement, afin d’accélérer le processus de guérison, ce que Freud a fermement critiqué. Lacan, dans son retour à Freud, a toujours tenu à ce que la parole soit au centre de l’expérience analytique : « quelle se veuille agent de guérison, de formation ou de sondage, la psychanalyse n’a qu’un médium : la parole du patient » [3]. Il dénonçait, déjà dans les années cinquante, le risque d’éclipse de la psychanalyse, lorsqu’elle glisse vers « l’adaptation de l’individu à l’entourage social » ou « la recherche des pattern de la conduite » [4].
Or, la psychanalyse n’est pas une clinique des conduites, ni de la normatisation du sujet. Elle n’est pas autoritaire, ni ne prétend disposer d’une vérité absolue, d’un savoir univoque. Là où aujourd’hui les neurosciences fomentent l’illusion de pouvoir répondre de tout, animées par une volonté de maîtrise, le discours analytique exclut toute domination [5]. Le sujet de l’inconscient a affaire à un savoir insu à lui-même.
La clinique psychanalytique se distingue d’autres pratiques de la parole – le coaching, le renforcement positif, ou les thérapies systémiques – toutes fondées sur une modélisation des relations humaines, sur l’idéal de l’harmonie ; cela pouvant aller jusqu’au discrédit de la parole du sujet.
Alors que la prise de parole est favorisée aujourd’hui à plusieurs niveaux, de l’intime au politique, le pouvoir du langage semble remis en question. « Il faut qu’on parle ! » [6], comme le propose un magazine de philo, tout en interrogeant l’incidence de la parole sur le destin d’une personne, voire d’une nation.
Comment concevoir ce nouveau rapport à la parole, une parole sous-tendue par la revendication et vidée de sa substance [7] ?
Face à la multiplication des talking cures, il convient de rappeler que l’usage de la parole dans la psychanalyse d’orientation lacanienne reste incomparable. Ce qui se dit est l’essence même de l’expérience, celle d’un sujet dans sa singularité. Contrairement à la croyance aux pouvoirs magiques de la suggestion [8], nous parions sur la puissance de la parole [9] lorsqu’elle s’accorde à la pulsation du corps d’un parlêtre.
En avril dernier, l’ACF-MP se réunissait à Toulouse sur le thème : « La parole dans la clinique de demain ». L’Hebdo-Blog a le plaisir de vous faire découvrir des échos de ce formidable colloque sous la plume de ses deux directrices, Patricia Loubet et Cécile El Maghrabi Garrido.
Ligia Gorini
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[1] Freud S., Breuer J., Études sur l’hystérie, Paris, PUF, 1956, p. 21-22.
[2] Miller J.-A., « La psychanalyse, sa place parmi les sciences », Mental, n° 25, mars 2011, p. 18.
[3] Lacan J., « Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 247.
[4] Ibid., p. 245.
[5] Cf. Lacan J., « Lacan pour Vincennes ! », Ornicar ?, n°17/18, printemps 1979, p. 278.
[6] « Il faut qu’on parle ! Le langage résout-il les conflits ? », Philosophie magazine, n° 170, juin 2023.
[7] Cf. Argument du Colloque « La parole dans la clinique de demain. État des lieux d’une dépathologisation et perspectives », disponible sur internet : https://www.associationcausefreudienne-mp.com/toulouse/colloque-la-parole-dans-la-clinique-de-demain-etat-des-lieux-d-une-depathologisation-et
[8] Cf. « édito », Philosophie magazine, op. cit., disponible sur internet : https://www.philomag.com/articles/sur-le-pretendu-pouvoir-magique-de-la-parole
[9] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. L’Un-tout-seul », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, cours du 11 mai 2011, inédit.