Lors de ce cartel fulgurant, le temps concentré de nos quatre séances de travail précipita la hâte d’en extraire une écriture pour une journée d’étude intitulée « Histoire et psychanalyse ». Le cartel « fulgurant » peut prendre l’allure d’une certaine « promptitude ». Notre thème se précisa sur la question du souvenir-écran. Je questionnai le souvenir-écran dans son lien au fantasme. Le fantasme s’écrit, prend écriture dans le souvenir-écran.
La part prise par le fantasme dans la déformation du souvenir a été particulièrement élucidée par Freud. Le souvenir-écran recouvre des expériences refoulées ou des fantasmes. Comme production de l’inconscient, tout comme le symptôme, il est « une formation de compromis ». L’essentiel de la vie infantile y est contenu, et le souvenir-écran sert à rendre « la scène innocente[1] ». Conformément à la première topique, les forces psychiques s’opposent, le souvenir insiste, persiste dans la mémoire : l’une s’autorise de l’importance de l’expérience vécue pour vouloir s’en souvenir et l’autre y met une résistance. Cela donne un effet de compromis à ce conflit : il s’agit d’un déplacement, et de la substitution de l’élément qui a choqué à un évènement banal. Ce qui est refoulé de la sexualité est à dévoiler dans le travail de l’analyse. Freud évoque le fantasme qui « doit se contenter de trouver accueil sous forme d’allusion dans une scène d’enfance[2] ». Le travail de remémoration se déploie grâce au « pont verbal[3] », travail d’association, où les signifiants maîtres du sujet se dévoilent.
Lacan, avec l’objet du fantasme, introduit un point de réel contenu dans le souvenir-écran. « Avec le fantasme, nous nous trouvons devant quelque chose de même ordre, qui fixe, réduit à l’état d’instantané, le cours de la mémoire en l’arrêtant en ce point qui s’appelle le souvenir écran[4] ». Lacan prend comme métaphore une scène cinématographique brutalement interrompue « figeant tous les personnages » et « cet instantané est caractéristique de la scène pleine, signifiante, articulée de sujet à sujet, à ce qui s’immobilise dans le fantasme[5] ». Le fantasme se loge dans le souvenir-écran. L’important n’est pas la réalité mais comment le sujet l’a articulée en signifiants, c’est-à-dire la réponse du sujet. La vérité est à inscrire dans les signifiants. Le souvenir-écran a donc un caractère de semblant, de fiction. Il est « l’habit » où l’objet, cause de désir du sujet, se « fixe » dans le fantasme.
Les deux souvenirs écrans d’Anna, jeune fille d’une douzaine d’années, héroïne du film d’animation japonais, « Souvenirs de Marnie », tourné en 2014 par le cinéaste japonais Hiromasa Yonebayashi, insistent par leur fixité et leur caractère d’énigme. Ils figent cette jeune fille. On pourrait y lire une phrase du fantasme « On abandonne un enfant », dont le signifiant, réel, est présentifié par les malaises de la jeune fille, comme vérité du sujet. « Abandonnée », comme le manoir où gît l’énigme de son être, Anna se met, grâce à quelques petits autres, à construire une fiction, à partir de ces deux souvenirs, pour recouvrir un réel sans nom, la mort de ses parents. Ce travail de remémoration amène un savoir nouveau et provoque un remaniement subjectif : Anna peut se faire « adopter ». La vocation de la fiction est de recouvrir le réel. Le souvenir serait donc à produire …au passé.
[1] Freud S., « Sur les souvenirs écrans », Névrose, psychose et perversion (1899), Paris, PUF, 1978, p. 126.
[2] Ibid.
[3] Freud S., Psychopathologie de la vie quotidienne (1901), Paris, Bibliothèque Payot, 1987, p. 65.
[4] Lacan J., Le Séminaire, livre IV, La Relation d’objet, Paris, Seuil, 1994, p. 119.
[5] Ibid., p. 119-120.