C’est un moment de rencontre récent avec un sujet autiste de l’hôpital de jour dans lequel je travaille qui s’est montré particulièrement enseignant sur la manière d’être disponible, permettant de faire une place à la parole de l’Autre.
En effet, cette pratique demande une grande précision vis-à-vis de notre positionnement, du maniement des objets – voix, regard essentiellement – en tant que l’on tente de se faire partenaire de sujets autistes. Un regard ou un mot en trop peuvent en ce sens entraîner une réponse immédiate – sans médiation par la parole – avec ses effets dans le corps pour le sujet. Cela peut également aller jusqu’au passage à l’acte sur le corps du patient ou porter sur le corps du clinicien. Cet enseignement est bien sûr trans-clinique mais il est particulièrement palpable dans la clinique de l’autisme qui met en jeu le corps du praticien d’une manière parfois assez intense.
Ô combien de phrases prononcées avec hésitation et sans qu’elles ne soient incarnées tombent-elles tout à fait à côté. Alors que le même énoncé, soutenu par un certain désir, peut faire mouche chez un sujet. C’est là que l’énonciation du praticien portée par la voix entre en jeu, ceci n’étant pas affaire de signification, ni d’intensité vocale, ni de précision articulatoire. Parler doucement, parler avec plus de force, parfois même avec un seul patient, c’est sur le moment que ça se décide. Il s’agit d’y être avec son corps quand on s’adresse au sujet, quand bien même lance-t-on une phrase à la cantonade. Et il y a autant de styles et de méthodes [1] qu’il y a de situations, chaque entretien étant unique. Ce qui n’empêche pas que, dans l’institution, chaque intervenant ait un style singulier, les jeunes et les enfants pouvant y être sensibles et aller plus vers l’un que vers l’autre.
Aussi, la question de l’attente se pose : il peut s’avérer extrêmement difficile de ne pas attendre quelque chose de la part du sujet, or c’est souvent à partir du moment où on ne lui veut rien, où on l’attend le moins qu’une production peut advenir. D’ailleurs, les sujets autistes nous apprennent que l’on peut attendre très longtemps – une réponse à une question posée pouvant arriver parfois avec un long temps de décalage. Alors, plutôt que d’être en position d’attente, je tente d’être disponible. Il en va du désir, non de la volonté que quelque chose advienne. C’est ce que je qualifierais de lâcher prise par rapport à un certain vouloir, afin d’être plus attentif aux petits détails qui permettent de lire le cas ou de pouvoir attraper au vol un son, un petit bout de lalangue du sujet et d’y faire signe.
Quand on a une première formation d’orthophoniste, il n’est pas évident de ne « rien faire » au sens de laisser à l’Autre la place de faire lui-même – par exemple en ne parlant pas trop, voire pas du tout. Une des premières questions qui m’avaient amenée à démarrer un contrôle de ma pratique orthophonique était « mais qu’est-ce que je peux faire ? » avec tel ou tel patient et il s’agissait de cas d’autismes mutiques. La bascule, dans ma pratique, vers l’orientation analytique s’était opérée suite à cette question.
Dans son texte « Quand un “en trop” se vide » récemment paru dans l’Hebdo Blog, Carolina Koretzky parlait de quelque chose qui pouvait se mettre « en travers du laisser-faire » [2] dans la cure, parce que c’est l’analyste qui fait. En effet, les patients peuvent nous enseigner que c’est souvent au moment où le clinicien parvient à céder un peu sur sa volonté, que de leur côté, quelque chose peut se dire.
Aurélie Flore Pascal
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[1] Cf. titre donné aux enseignements du CERA.
[2] Koretzky C., « Quand un “en trop” se vide », L’Hebdo-Blog, n°286, 27 novembre 2022, disponible sur internet : https://www.hebdo-blog.fr/quand-un-en-trop-se-vide/