Un devoir de transmission

Si jeudi dernier, à l’Assemblée Nationale, un nombre suffisant de voix – portées par une mobilisation inouïe lancée par notre École, s’est levée contre la résolution visant à faire interdire l’exercice de la psychanalyse auprès des sujets dits autistes, il ne s’agit pas pour autant d’en conclure que notre cause, la cause de l’autisme, la cause de la psychanalyse, celle du choix du symptôme, soit véritablement entendue.

Car en France aussi bien qu’en Belgique, l’attaque portée aux traitements par la parole ne se dément pas, et nous nous réveillons, nous qui avions cru que le mot interdiction appartenait au passé, sonnés, pourtant avertis de longue date que l’envers de la liberté de pratiques et de mœurs, c’est la peur et le désir de maîtrise, le retour surmoïque du bâton, en Europe et ailleurs.

C’est pourquoi nous avons choisi aujourd’hui, dans le droit fil de notre numéro précédent, de consacrer nos colonnes au quotidien de l’engagement des praticiens, dans les institutions publiques comme en privé, auprès des enfants comme des adultes, quelle que soit la structure diagnostique dans laquelle nous venons ou ils viennent se ranger. Il s’agit de donner à voir combien la clinique analytique, dans toute sa diversité, avec l’appui des méthodes et concepts rigoureux qui l’orientent – transfert, désir de l’analyste, écoute du noyau le plus singulier du symptôme, produit des effets.

De la même manière que produit des effets notre parole, lorsqu’elle parvient à atteindre, par-delà le signifiant « psychanalyse », toujours aussi sulfureux, ceux qui ne la connaissent pas. Nous l’avons constaté ces derniers jours, en nous adressant, au un par un, à nos députés, aux journalistes : le sujet, son côté bancal, ses choix inconscients, ses inventions propres, toujours emporte l’adhésion. C’est cela que nous sommes résolus à construire patiemment avec nos patients, mais qu’il est tout autant désormais de notre devoir de transmettre, urgemment.

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Les images sont de l’artiste anglais Kerry Howley http://www.kerryhowley.co.uk/




Le désir à l’œuvre

Avec pas moins de vingt auteurs le livre Destins du désir sous-titré « Études cliniques » et paru aux éditions Economica et Anthropos (Paris, 2016) apporte une riche contribution à l’étude contemporaine des modes d’existence, des guises que prend le désir aujourd’hui.

Sous la direction d’Hervé Castanet, dont on apprécie de longue date l’attachement à la lettre, se peint un tableau vivant, par touches, de l’actualité du désir.

Certes la conceptualisation freudienne et celle de Lacan sont présentées, font référence dans la construction des cas, ces références ne sont pas absentes, les auteurs y ont parfois recours pour éclairer une cure, en témoignant d’une connaissance approfondie et solide de l’œuvre de Freud, de l’enseignement de Lacan, de l’apport contemporain de Jacques-Alain Miller. Exposés éclairants, de la meilleure veine.

Mais il ne s’agit pas d’un recueil où s’exposeraient la théorie psychanalytique ni la doctrine définitive – qu’il n’y a pas – du désir. Plus subtilement, et de façon plus probante, c’est plutôt ce que le désir apporte comme question, comme aperçu sur le parlêtre que nous découvrons au fil de l’ouvrage.

À une époque de montée au zénith social de l’objet a, à un moment de la civilisation où le plus-de-jouir s’impose comme notre mode, en un temps où menace l’écrasement du désir par la jouissance, le recours du désir se démontre vital.

Le rapport au désir dans les catégories cliniques classiques y est parcouru. L’hystérie, la névrose obsessionnelle, les psychoses y ont leur place. Mais aussi des approches trans-cliniques, comme le ravage maternel, la joliment nommée comédie des sexes, l’homosexualité, l’impuissance, le désir d’enfant, l’horreur de savoir.

Toujours dans le registre de la clinique psychanalytique nous sont présentées des cures conduites au long cours au cabinet de l’analyste, mais aussi des traitements brefs proposés dans le cadre de CPCT.

Toutefois si la clinique psychanalytique y occupe la plus grande part, le panorama s’élargit quand d’autres abords du désir nous sont présentés. Ainsi le scientifique avec Alan Turing, le peintre avec Picasso – quand il s’essaye à l’écriture, l’écrivain avec Jean Genet et Katherine Mansfield, la peintre qui se photographie avec Michèle Sylvander, sont lus dans la perspective de s’enseigner de l’artiste, sur la place qu’il fait au désir.

Et ce sont aussi, dans une partie intitulée Désirs d’artistes, des artistes qui sont directement interrogés sur cette place dans leur œuvre : Jorge Leon à propos du film Before we go et de son projet de ciné-opéra autour des échanges d’emails entre Jacques-Alain Miller et Mitra Kadivar, ainsi que Mathieu Riboulet.

Mais, à ce point, se dira peut-être le lecteur averti en qui croît le désir de lire ce livre, ne manque-t-il pas dans ce qui vient d’être évoqué un aspect central dans la psychanalyse quant au désir ? Un destin essentiel du désir dans et pour la psychanalyse ? Celui-là même qui préside à la clinique psychanalytique ? Le désir de l’analyste.

Il est vrai qu’on ne trouvera pas dans le recueil un chapitre consacré à l’examen de cette notion proprement lacanienne, ni de témoignage d’un analyste sur comment ce désir lui est venu, ou peut-être comment il s’est mis en fonction. Et d’ailleurs, ce désir de l’analyste qu’est-il ? Celui de produire la différence absolue comme l’évoque Lacan à la fin de son Séminaire XI ? Ou peut-être plus simplement celui d’analyser – celui qu’il y ait de l’analyse.

C’est ici que l’on verra comment, s’il n’est pas explicitement examiné, on le trouvera partout en filigrane dans le recueil. Les éléments sont là qui témoignent du désir de l’analyste dans la direction des cures comme dans les constructions de l’analyste. Il revient au lecteur de l’extraire, de le déduire, de s’y repérer, d’en prendre de la graine, en somme, d’y mettre du sien.

 




Actualité du graphe du désir 

En 1964, Jacques Alain-Miller, introduisait le concept de suture1, nommant « le rapport du sujet à la chaîne de son discours », pour l’opération menée par le philosophe, le linguiste, le logicien, figures éminentes du débat que menait alors Jacques Lacan avec le champ du savoir : « Il importe que vous soyez persuadés que le logicien, comme le linguiste, à son niveau, suture. Et, tout autant, qui dit “je”. »2

Ce n’est cependant pas là, à cette époque, une indication restrictive. La figure du psychologue, tout autant pouvait déjà intégrer la série.

Mais, concernant le philosophe, c’est « par la détermination du champ de son exercice comme “édifice universel” » que s’instaurait cette suture. A cela, reprenant ce concept de suture quelques années plus tard, Jacques Lacan y opposait le discours analytique. « Il s’agit au contraire dans le discours analytique de donner sa présence pleine à la fonction du sujet, en retournant le mouvement de réduction qui habite le discours logique, pour nous centrer perpétuellement sur ce qui est faille. »3 Dans ce chapitre, intitulé « Topologie de l’Autre », Lacan rappelle son graphe du désir pour expliciter cette « présence pleine ».

Aujourd’hui, comme nous le rappelle abruptement le débat et notre combat autour de l’autisme, la fonction de la suture trouve son renforcement dans l’opération de la psychologie du comportement et de l’intelligence émotionnelle arcboutée sur les théories scientifiques neuronales, au point que la parole puisse être considérée comme un « comportement » 4.

Pourquoi une confrontation aussi conflictuelle aujourd’hui, conflit qui implique, au-delà, un enjeu de société ? C’est que la psychologie comportementale a trouvé un allié de taille dans la bureaucratie, séduite par les théories managériales du moi, convergentes et compatibles avec celles-ci, aimantées par les gains de productivité qu’offre une standardisation de l’offre en matière de santé. Les bureaucrates se chargent de soutenir, légifération à l’appui si besoin est, la fonction universalisante qui manquait à cette psychologie dite scientifique.

Comme le reprend à sa manière une sociologue dans un rappel historique « La psychologie transforme (ra) radicalement l’image du “moi”, grâce à un idéal de santé mentale et de bien-être qui va gagner tous les champs de la société : l’économie (avec les théories du management), l’éducation (les modèles pédagogiques), la vie privée (les conseillers conjugaux), la prison (les programmes de réhabilitation), la publicité, le marketing et les médias (les émissions-débats), et même les conflits internationaux, pour les traumatismes liés aux guerres et aux génocides. La psychologie intégrée au marché propose des thérapies au monde entier en faisant de l’individu autonome, de la santé mentale et de l’épanouissement des objectifs à atteindre et des objets de consommation. Pour vendre ce nouveau produit — le “moi positif et performant —, la psychologie utilise des normes d’appréciation et de mesure de l’individu et de ses émotions. »5

Aussi la question de la « parole pleine » et celle du sujet déborde-t-elle amplement aujourd’hui l’espace du lieu de consultation privé ou public où elle restait jusqu’alors confinée, mais dont le traitement était laissé à l’initiative du praticien. L’opposition, la réticence, la répugnance, la répulsion des tenants de l’alliage : psychologie-science-bureaucratie porte électivement sur ce qui engage tout le déploiement de la parole, c’est-à-dire l’intention de dire, soit le vecteur d’intentionnalité du graphe 6:

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Le point de départ du graphe, est « l’intention de signification » comme le relève Jacques-Alain Miller dans les propos de Lacan. Cette intention de signification est initiale : « Cet appareil ne fonctionne pas une seconde si fait défaut cette intention initiale de signification. Qu’est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire que l’énergie de départ, si je puis dire, nécessaire au fonctionnement, à l’animation de ce graphe, est fournie par un vouloir dire »7.

Les effets de la politique telle que souhaiteraient la déployer nos bureaucrates de la santé asservis aux principes économiques, auraient pour conséquence de décevoir, de confisquer, d’interdire ce vouloir dire au principe de toute parole – portée par un désir, toujours singulier – de contraindre l’énergie du vouloir dire, de dévitaliser l’animation de la parole, en la considérant comme un comportement. C’est pourquoi nous pensons que le graphe du désir, qui est le graphe de la parole nous donne la cartographie des enjeux d’aujourd’hui.

Le vouloir dire, l’intention de signification, ne deviennent un enjeu politique que parce qu’au cœur de l’idéologie managériale, à vocation universalisante, qui a gagné les sphères administratives, telle la Haute Autorité en Santé, réside la volonté de déposséder le sujet citoyen au profit d’une communication asymétrique qui se passe de son assentiment.

1 Miller J.-A., “La suture”, Un début dans la vie, Paris, Gallimard, 2002.

2 Ibid., p. 99.

3 Lacan J., Le Séminaire, Livre XVI, D’un Autre à l’autre, Paris, Seuil, 2006, p. 48

4 “Qu’est ce que l’A.B.A” ( Applied Behavior Analysis- Analyse Appliquée du Comportement ), ” Le comportement verbal est systématiquement travaillé. Dans un premier temps on cherche à développer le langage sous la forme de demande. L’enfant obtient alors ce qu’il demande comme renforçateur. L’expression du langage est basée sur les motivations de l’enfant. Ensuite, on enseigne le commentaire, l’obtention d’informations puis l’aspect structurel du langage. Le développement de comportements « pivots »,  attention conjointe, imitation, coopération, traitement d’information multimodale permet d’aborder des apprentissages plus complexes.”

http://www.abaautisme.org/index.php?option=com_content&view=category&id=3&layout=blog&Itemid=3

5 Illouz E., ” La fabrique de l’âme standard”, Le monde diplomatique, Paris, Novembre 2011.

6 Lacan J, Le Séminaire, Livre V, Les formations de l’inconscient, Paris, Seuil, 1998, p. 515.

7 Miller J.-A., “La fuite du sens”, L’orientation lacanienne, séance du 31 janvier 1996, inédit.




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