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Musique et psychanalyse ? Quel couple !

« “Tiens, on va jouer free” dit Macero. “Free ? rétorque Monk aussi sérieux qu’un trappiste, tu veux dire dixieland ?”

– “Non : free” : Macero indique ce qu’il entend par là, il plaque des accords ni faits ni à faire. Il fait n’importe quoi. Or, les accords de Monk sont l’envers de cette pitrerie d’ingénieur : irrégulièrement enfoncés selon la carcasse de Monk, organiquement liés à la pression, aux tendons, à la longueur des doigts au micron près, aux leviers des bras, ils mettent en jeu des muscles microscopiques que les pianistes ne sollicitent jamais. »[1]

Si l’association dite libre assigne l’analysant à toucher à des rets de jouissance de lui-même ignorés, quelle est la liberté du musicien lorsqu’il joue de son symptôme ?

Et pourquoi ce vœu d’un dossier « Musique et psychanalyse » s’est-il fait si pressant pour beaucoup d’entre nous à L’Hebdo-Blog, depuis un moment ? Pourquoi nous sommes-nous réjouis de cette question de Jacques-Alain Miller dans sa conférence de présentation du thème du Xe Congrès de l’AMP : « On peut se demander si la musique, la peinture, les beaux-arts ont eu leur Joyce. Peut-être que ce qui correspond à Joyce dans le registre de la musique, c'est la composition atonale, inaugurée par Schoenberg, dont nous avons entendu parler peu avant »[2] ?

Il semblerait que ni Freud ni Lacan ne se soient arrêtés sur ce terrain, et que le duo, ou le binaire – c’est selon – musique et psychanalyse s’en ressente, embarrassant, dissonant à nos oreilles. Sommes-nous prisonniers de ce savoir : Là où ça parle, ça jouit, et ça sait rien.[3]

Rappelons, comme l’indiquait Armelle Gaydon dans Lacan Quotidien n° 223, combien le travail de Valentine Dechambre, interlocutrice de Gérard Seyeux ici pour L’Hebdo-Blog, pouvait engager un véritable chantier de travail sur ce thème à partir d’un abord lacanien. C’est sous sa direction que fut réalisé l’ouvrage de Pascal Dusapin Flux, trace, temps inconscient – Entretiens sur la musique et la psychanalyse. Plusieurs collègues de l’ECF répondirent présents à cette recherche : François Ansermet, Jacqueline Dhéret, Nathalie Georges-Lambrichs, Myriam Mitelman, Paulo Siqueira.

Suspense…

P. Dusapin serait-il Le Joyce de la musique, comme put le dire V. Dechambre à A. Gaydon il y a juste un an, le 18 juin… 2014 dans ce Lacan Quotidien ?

Minute papillon !

La musique touche à la jouissance, à ce qui brûle les ailes aussi, et ne sert à rien[4]. Comment, cependant, vivre sans ce havre, cet îlot inouï, cette joie mais aussi ce souci, cette douleur lorsque l’on s’essaie à jouer et la faire vibrer soi-même, sans tenter d’en dire quelque chose ? Craignons-nous de perdre ce ravissement, comme si ces bouleversements devaient rester tus, interdits à qui parle comme tel ? Si nous nous essayons à mordre par nos mots sur cette jouissance éprouvée silencieusement, c’est que nous nous inscrivons sur les sentiers de Théophraste, cité par Pascal Quignard : « Il disait que la vue, le toucher, l’odorat et le goût font éprouver à l’âme des troubles moins violents que ceux que lui causent, au travers des oreilles, les “tonnerres et les gémissements”. »[5]

Nous tenterons de désépaissir un mystère, d’effleurer les racines d’un événement de corps. La musique est-elle sans aucune signification car ouverte à toutes, puisque ces significations, imaginaires « ne peuvent pas dire sa jouissance réelle »[6], comme le proposait Gérard Pape auteur du numéro prochain de notre dossier ? Irons-nous jusqu’à dire que la musique, à l’inverse de l’interprétation analytique, est, dans l’inconscient « ouverte à tous les sens »[7] ? Défrichons encore : la musique tonale signe-t-elle systématiquement la recherche de l’accord, du son juste, du rapport sexuel qu’il n’y a pas ? N’est-elle que tentative de masquer le réel, la musique atonale indiquant alors un consentement à l’opaque du symptôme ou un savoir-faire avec celui-ci ? Comment la cure psychanalytique influence-t-elle le mode de jouir de la musique ?

Un conseil cher lecteur : branche le son !

Ce dossier est sonore.

Chut :

Medeamaterial de Pascal Dusapin – Choregraphie de Sasha Waltz [embed]https://youtu.be/cReAXjd-JB0[/embed] https://www.youtube.com/watch?v=cReAXjd-JB0   Passion de Pascal Dusapin – Choregraphie de Sasha Waltz [embed]https://youtu.be/gMDmhG3lEG4[/embed] https://www.youtube.com/watch?v=gMDmhG3lEG4 [1] Marmande F. « Thelonious Monk, la musique des sphères », in Élucidation, Vies épinglées, dir. J.-A. Miller, Paris, Verdier, n° 10, printemps 2004, p. 90-91. [2] Miller J.-A, « L’inconscient et le corps parlant », La Cause du désir, n° 88, 3e trimestre 2014, p. 111. [3] Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, Paris, Seuil, 1975, p. 95. [4] Ibid., p. 10. [5] Quignard P., La haine de la musique, Paris, Gallimard, Folio, novembre 2000, p. 26. [6] Pape G., L’Envers de Paris – Horizon, n° 59, Paris, septembre 2014, p. 131. [7] Lacan J., Le Séminaire, livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1973, p. 227.

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Musique et psychanalyse : Pascal Dusapin, le corps à l’œuvre

Une interview de Valentine Dechambre

menée par Gérard Seyeux pour L’Hebdo-Blog

Gérard Seyeux – Psychanalyse et musique, drôle de partition. En quoi la musique peut-elle enseigner quelque chose à la psychanalyse ? Comment le joint, l’articulation peuvent-ils se faire ?

Valentine DechambreCette partition, musique et psychanalyse, est, il est vrai, encore inexistante dans notre champ. Et pour cause : ni Freud, ni Lacan ne nous ont donné de clés pour pouvoir la composer. Et si nous savons que Jacques  Lacan assistait régulièrement dans les années cinquante aux soirées/concerts du Domaine Musical, création de P. Boulez et d’une mécène, S. Tézenas du Montcel, la musique est restée en marge des nombreuses connexions riches et enseignantes pour la psychanalyse qu’il a établies, à la suite de Freud avec les Beaux-Arts et la littérature. En « marge » : Lacan fait usage de ce signifiant dans son Séminaire Encore, à propos de la musique. «  Il faudrait une fois – je ne sais pas si j’aurai le temps – parler de la musique dans les marges. »[1] Comment faire nôtre ce vœu, cette indication, quelque peu énigmatique, de Lacan ?

L’intervention de Jacques-Alain Miller au dernier Congrès de l’AMP ouvre pour nous ce chantier passionnant, en nous mettant sur la voie, joycienne, du sinthome et de l’escabeau : « Peut-être que ce qui correspond à Joyce dans le registre de la musique, c’est la composition atonale, inaugurée par Schoenberg ? […] Joyce, Schoenberg, Duchamp sont des fabricants d’escabeaux destinés à faire de l’art avec la jouissance opaque du symptôme. » [2]

Un cartel[3] s’est constitué pour explorer cette voie frayée par J.-A. Miller où nous mettons à l’étude les principes qui président à l’écriture musicale chez différents compositeurs des XXe et XXIe siècles. Et il apparaît, que ce soit dans le tout dernier enseignement de Lacan et dans les cours les plus récents de J.-A. Miller, que nous trouvons quelques clés pour tenter d’écrire la partition musique et psychanalyse avec des questions : comment des compositeurs contemporains inscrivent-ils le non-rapport dans leur musique ? Qu’en est-il du corps parlant dans la composition musicale ? Comment la musique contemporaine interprète-t-elle les modes de jouir de notre époque ? Etc.

G.S. – J’ai dans les mains un très bel objet. C’est un livre illustré, des dessins jalonnent les pages. Les partitions de Pascal Dusapin sont, comme telles, des œuvres d’art. Quelle est la genèse de ce livre ?

V.D. – Ce livre d’entretiens avec Pascal Dusapin a été réalisé et publié avant la création du cartel musique et psychanalyse. Il est né d’un article que j’avais écrit pour La lettre mensuelle[4] et envoyé au compositeur. Celui-ci m’a répondu qu’il y avait quelque chose qui le touchait dans la façon dont je m’intéressais à sa création, les analogies que je faisais entre son écriture et celle de Joyce, bref, une approche de son art issue de ma lecture du Séminaire XXIII de Lacan qui se trouvait aller au plus direct des questions qui l’animaient. D’où l’idée de ces entretiens qu’il a aussitôt acceptés et où il a pu nous faire part de sa sensation de solitude de ne pouvoir rencontrer chez les musicologues cette oreille attentive à l’importance, pour lui, de transmettre ce qui préside à sa création musicale. On ne rencontre pas si souvent des artistes mus par un tel désir de transmission ! Il semble que les psychanalystes de notre École se présentent comme partenaires tout indiqués en raison de l’intérêt que nous portons à l’acte créatif.

Ces entretiens se sont tenus au local de l’ECF, rue Huysmans, j’avais convié quelques collègues dont je connaissais l’importance de la musique dans leur vie. Le principe de ces entretiens était donc pour nous, psychanalystes, la possibilité d’apprendre sur la façon dont un compositeur majeur de sa génération parvenait à transmettre ce qui est au principe de sa création musicale, « ce quelque chose d’avant la musique »[5], comme nous dit le compositeur, « cette part confuse, celle où nous ignorons »[6]. Ce réel auquel l’artiste se confronte ne rencontre-t-il pas au plus près l’objet de la psychanalyse ? Cette part obscure de la jouissance, ce dire du corps qui reste oublié dans ce qui s’entend quand nous parlons, n’est-elle pas ce que le compositeur parvient à faire vibrer dans son écriture musicale ? « Là où elle parle seule, la musique exprime ce qu’aucun mot ne pourra jamais dire sans elle »[7], dit P. Dusapin sur ce jouir du corps dans une de ces formules percutantes dont il a le secret.

Le propos rejoint celui de J. Lacan au sujet de la musique de Haydn tel que nous le rapporte Diego Masson : « Il semblait beaucoup plus intéressant à Jacques que l’on puisse jouir d’une chose que l’on ne comprend pas et qui n’a aucune signification sentimentale.»[8] Une écriture dont la visée n’est pas le sens mais une jouissance, n’est ce pas la voie joycienne que J. Lacan emprunta pour serrer le réel en jeu dans la psychanalyse, à partir de l’acte créateur lui-même ? P. Dusapin témoigne dans notre livre de la joie que lui procure l’exercice quotidien d’écrire sa musique, une écriture à la main dont l’admirable gestuelle lui permet de « freiner le flux »[9], une écriture qui est à elle seule une œuvre d’art comme en témoignent les dessins et la sublime calligraphie qui jalonnent ses partitions.

La dimension du corps, de l’événement de corps dans son écriture musicale est un des enseignements majeurs de ces entretiens avec lui. S’il est parfois bien difficile de saisir la dimension du corps dans certaines écritures contemporaines, ce n’est pas le cas chez P. Dusapin pour qui on peut dire que le corps, l’événement de corps, traverse toute sa musique, lui dont l’enfance a été marquée par des crises épileptiques gravissimes : « Par exemple, la respiration, le halètement, la suffocation, toutes choses liées au fait qu’enfant j’ai été très malade […] je l’ai mis en scène dans mes opéras où beaucoup de femmes piquent des crises »[10]. C’est aussi le cas dans les pièces instrumentales : « Je me suis retrouvée face à une immense forêt de notes avec une énergie qui sautait presque de la partition », se souvient Sonia Wieder Atherton, à propos d’Incisa, solo de violoncelle qu’elle a créé en 1984, « et j’y suis entrée en me frayant un chemin à coups d’archet. […] Avec Dusapin, on a toujours affaire au corps, qu’il se cabre ou qu’il se relâche. »[11]

Il y a l’événement de corps, et il y a ce que P. Dusapin nomme ailleurs « corps musiquant »[12], ce corps singulier qui lui permet dans la vie une bonne relation au corps, à son mouvement, sa gestuelle : « [...] parce qu’il produit une énergie purement invisible, une vibration dans l’air »[13]. Il dit encore, sur cette mise du corps dans son écriture : « mon corps est invisible, et pourtant il est bien là, dans la partition »[14]. Cet engagement du corps dans l’acte créateur ne le laisse d’ailleurs pas indemne : « Quand j’écris de la musique j’ai l’impression d’être une centrale électrique traversée par des flux très contradictoires »[15]. « Ma musique ne fait que sombrer vers “un outre-monde”, et puis soudain, “ça” se révolte ! Voilà ce que je vis en permanence. Être confronté à ce mouvement chaque jour produit des effets très particuliers à l’échelle de sa propre vie ».[16] Ou encore : « C’est comme une bestiole qui vous ronge l’âme en permanence. Je suis pourtant si heureux de travailler ! »[17]

G.S. – Comment qualifieriez vous la musique de Pascal Dusapin, quelle est sa singularité ?

V.D. – Héritière de Xenakis, son maître, la musique de P. Dusapin s’en éloigne par son lyrisme. En cela, elle se rapprocherait de la musique d’Alban Berg, rapprochement que les critiques musicaux n’ont d’ailleurs pas manqué de faire lors de la création récente de son opéra Penthésilée à La Monnaie de Bruxelles, qualifié par eux de chef d’œuvre de la musique contemporaine. Une des préoccupations majeures du compositeur est l’expression des affects, comment les exprimer en musique, particulièrement le ravissement et la joie qui sont des affects du registre de l’extase, de la jouissance féminine qui intéresse particulièrement le compositeur. À une question que je lui pose, dans les Entretiens, sur le beau dans la musique, P. Dusapin répond : « […] je dis que la musique est condamnée à la beauté, précisément, à l’extase »[18].

La douleur tient aussi une place essentielle dans son écriture, du côté de l’amour outragé. Les héroïnes de ses opéras s’appellent Médée, Euridyce, et plus récemment Penthésilée à propos de laquelle il dit, à la manière de Flaubert avec Madame Bovary : « Penthésilée, c’est moi»[19]. Cela indique suffisamment, me semble-t-il, que l’écriture musicale pour lui procède d’une position féminine, j’entends par là, d’une jouissance opaque, innommable, hors sens, telle que Lacan l’a dégagée au fur et à mesure de son Séminaire. P. Dusapin s’étonne du fait que le corps et l’émotion soient devenus un tabou dans la musique contemporaine. « Depuis la fin de la guerre, il est d’usage que l’émotion se confonde avec l’appréhension formelle d’une superstructure. »[20] Cette stricte appréhension formelle ne dit-elle pas le hors-corps qu’est devenu le champ de l’écriture musicale, chez beaucoup de compositeurs ? D’où le goût de P. Dusapin pour l’opéra, qu’il déloge cependant de son cadre resté incroyablement traditionnel, avec ses visées de satisfaction narrative. « Pourquoi associons-nous toujours l’opéra avec la narrativité la plus rudimentaire ? Dans Didon et Enée de Purcell, il n’y a pas d’histoire, c’est un pur transport »[21].

Ses deux derniers opéras, Passion et Penthésilée ont pour point de gravité le transport amoureux, marqué par l’inadéquation foncière entre la jouissance d’une femme et celle d’un homme. Le lyrisme, chez P. Dusapin, porte cet impossible et le fait résonner dans sa musique. N’est-ce pas parce qu’il n’y a pas de rapport sexuel qu’il y a l’amour ? Et n’est-ce pas ainsi que nous pourrions entendre ce que dit Diego Masson, rapportant un propos de Lacan : « Pour moi le principal, c’est ce qu’il dit de son Séminaire où il n’était pas arrivé pendant vingt ans à faire entendre ce qui est “si clair” – ce sont ses termes  – quand on écoute Les noces de Figaro de Mozart. »[22] Quel art, mieux que la musique en effet, pourrait dire la dimension de l’amour, de la jouissance et du non rapport sexuel ?

Ce lyrisme chez P. Dusapin, contrairement à la tradition, est dénué de tout pathos et de recherche d’effet  dramatique, le corps pulsionnel seul y joue sa partie, sans tabou, mais pas sans grâce, c’est sans doute là son tour de force. J’aime son écriture extrêmement raffinée, élaguée, peut-être parce qu’elle est allégée d’un vouloir dire. Cette musique n’est pas mentale, hors-corps, comme cela peut être le cas de bien des musiques contemporaines, elle est charnelle, ce dont témoignent particulièrement ses interprètes féminines qui disent éprouver une grande joie à la jouer, à la chanter, malgré sa complexité.

Je voudrais conclure avec l’interrogation du  compositeur quant à la transmission de cette part énigmatique avec laquelle il crée,  ce corps jouissant qui échappe à toute représentation et qui là encore rencontre au plus près des questions que nous nous posons actuellement dans notre champ : « qu’est-ce que c’est ? C’est proprement un mystère […]. C’est cela qui me mène. Mais la musique est-elle autre chose que cette recherche ? »[23]

[1] Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, Paris, Seuil, 1975, p. 105. [2] Miller J.-A., « L’inconscient et le corps parlant », conférence prononcée au IXe Congrès de l’AMP à Paris le 17 avril 2014, http://www.wapol.org/fr/Template.asp. [3] Les membre du cartel sont Philippe Bénichou, Valentine Dechambre, Gérard Pape, Olga Krashenko, et le Plus-un est Serge Cottet. [4] Dechambre V., « Une leçon de composition », La lettre mensuelle, n°264, janvier 2008, p. 33-36. [5] Dusapin P., Entretiens sur la musique et la psychanalyse Flux, trace, temps, inconscient, dirigé par V. Dechambre, Cécile Defaut, juin 2012, 4e de couverture. [6] Ibid. [7] Ibid. [8] « Lacan, la musique. Diego Masson converse avec Judith Miller », La Cause freudienne n° 79, Paris, Navarin, 2001, p. 59. [9] Dusapin P., Entretiens sur la musique et la psychanalyse Flux, trace, temps, inconscient, op. cit., p. 27. [10] Gervasoni P., « Pascal Dusapin prend du champ », Le Monde, 28 mai 2015. [11] Ibid. [12] Dusapin P., « Le corps en sous-bois », Nouvelle Revue d’esthétique n°12, Paris, puf, 2013, p. 7. [13] Ibid. [14] Ibid. [15] Gervasoni P., op. cit. [16] Dusapin P., « Le corps en sous-bois », op. cit., p. 13. [17] Gervasoni P., op. cit. [18] Dusapin P., Entretiens sur la musique et la psychanalyse Flux, trace, temps, inconscient, op. cit., p. 99. [19] Voir et entendre : https://www.youtube.com/watch?v=bDY-hlDGy6c&feature=em-share_video_user [20] Dusapin P., « Le corps en sous-bois », op. cit., p. 5. [21] Ibid., p. 6. [22] « Lacan, la musique. Diego Masson converse avec Judith Miller », op. cit., p. 66. [23] Dusapin P., « Le corps en sous-bois », op. cit., p. 10.

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Écho de l’ACF-Île-de-France

Écho de l’ACF-Île-de-France

Selma au Ciné 220

Au cœur de Brétigny-sur-Orge, le cinéma du centre-ville, le Ciné 220, accueille depuis quelques temps l’ACF-Île-de-France pour la projection de films sur l’autisme. Cette année nous avons inauguré une nouvelle manière d’exister dans la ville.

Sensible au thème des prochaines Journées PIPOL, la responsable du cinéma nous a proposé d’intervenir après la projection de Selma, d’Ava DuVernay, programmé en mai dans la série des « soirées-débat » du Ciné 220.

Ces « soirées-débat » sont planifiées pour l’année autour de films choisis par la responsable du cinéma. Le public, des habitants de Brétigny essentiellement, peut s’y abonner ou venir librement. Certains viennent voir le film sans même savoir qu’il sera suivi d’un débat…

Selma relate un événement dont on fête le cinquantième anniversaire cette année. En mars 1965, environ deux ans après l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy et deux ans après le célèbre discours « I have a dream » prononcé le 28 Août 1963 par Martin Luther King, sont menées trois marches partant de Selma en direction de Montgomery, dans l’état de l’Alabama. Ces marches de protestation aboutiront au « Voting Rights Act » que le Président Johnson fit adopter[1].

Il s’agissait donc là d’échanger avec un public « tout-venant » ! Défi relevé par France Jaigu et Xavier Gommichon. Le public s’est passionné pour l’éclairage de F. Jaigu concernant le parti pris de la cinéaste. À partir d’une scène-clé, F. Jaigu a mis en évidence le changement de position du Pasteur King : lors de la seconde marche, face au barrage policier, les manifestants s’agenouillent, prient, puis font demi-tour, renonçant ainsi à se faire victime, à choisir la fonction de martyr.

En ouvrant la conversation avec les paires « victime/bourreau », « bon/méchant », Xavier Gommichon a suscité des réflexions et des questions dans le public, dont certaines témoignent que quelque chose du discours de la psychanalyse « a pris » dans le public. En voici un bel exemple : « Quand on se dit victime, n’y trouve-t-on pas quelque bénéfice ? » !

[1] Le Voting Rights Act (Loi sur les droits de vote) est une loi du Congrès des États-Unis qui a été signée par le président Lyndon Johnson le 6 août 1965. Bien qu'en théorie les Afro-Américains disposaient du droit de vote depuis 1870, depuis le vote des 14e et 15e amendements de la constitution des États-Unis, le droit de vote dans certains États du sud était subordonné à la réussite à un test de type scolaire qui avait pour objectif d’empêcher le vote des Noirs, même pour ceux qui avaient certainement les aptitudes requises. De plus, une taxe était souvent requise avant de voter, que la plupart des Noirs n’avaient pas les moyens de payer. Le Voting Rights Act supprima, entre autres, ces restrictions et permit donc à toute la population noire de voter. Le président George W. Bush a signé son extension pour vingt-cinq ans, le 27 juillet 2006.

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« Deux victimes, deux positions subjectives », entretien avec Pierre Naveau

« Deux victimes, deux positions subjectives », entretien avec Pierre Naveau

En prévision de la soirée, animée par François Leguil et Pierre Naveau, avec Louis-Philippe Dalembert autour de son livre Noires blessures, P. Naveau a accepté de rencontrer Christiane Page afin d’évoquer pour L’Hebdo-Blog quelques pistes de réflexion provoquées par la sa lecture du roman.

Christiane Page – Dans le roman de Louis-Philippe Dalembert qui a pour titre Noires blessures, publié au Mercure de France en 2011, il est question de la rencontre entre deux hommes. Que pouvez-vous dire de cette rencontre ?

Pierre Naveau – Le roman de Louis-Philippe Dalembert se lit en noir et blanc. Le lecteur y apprend que ce qui peut arriver de pire à un Noir, c’est de tomber sous la main d’un Blanc et d’en devenir l’esclave. Lorsqu’il est proposé à Laurent Kala (qui, donc, porte un nom à résonance étrangère !) de prendre comme boy (quel mot !) Mamad White (sic), il apparaît d’emblée que c’est là une très mauvaise idée. La rencontre se fait immédiatement sous le signe du rejet : « Dès le départ, Laurent ne l’avait pas senti, ce Mamad. Il n’avait pas d’explication rationnelle. Mais ce sentiment allait au-delà de la répulsion instinctive qu’un être humain peut inspirer au premier regard à un autre et qu’on a du mal à évacuer par la suite. »[1] C’est donc sous ce signe funeste que les chemins des deux hommes se croisent.

C – Comment évoqueriez-vous, dès lors, les positions subjectives de ces deux hommes ?

P N– Mamad l’Africain a été élevé par une mère qui n’avait rien d’autre que la dignité d’exister à laquelle elle était attachée. Il n’a connu, depuis son enfance, que la « misère noire » et a ainsi été obligé d’arrêter ses études. Laurent, le Blanc, est, quant à lui, tourmenté par une voix qui le pousse à venger la mort d’un père tué, lors d’une manifestation anti-raciste, par le coup de matraque asséné par un CRS noir.

Le récit de L.-P. Dalembert raconte, avec âpreté, de quelle manière l’enfer du racisme plonge ses racines dans l’histoire brûlante d’un sujet.

Le Blanc décide de passer à l’action quand, « ivre de rage », il surprend un brusque rapport sexuel entre Mamad et une femme africaine venue le rejoindre. Il trouve alors l’occasion d’anéantir le Noir dans sa dignité d’homme. À ce moment-là, il prend plaisir, avec la plus extrême cruauté, à l’humilier. Mamad est alors élevé au rang de paradigme de la victime. Ligoté sur une chaise, impuissant, ne pouvant répliquer aux coups et aux insultes, le Noir éprouve, dans la chair de son corps meurtri, ce qu’il en coûte d’être un esclave condamné à courber l’échine et à rester muet. L’assassinat est évité de justesse par l’arrivée inopinée du consul.

Le roman de L.-P. Dalembert constitue un utile point d’appui pour avoir une discussion à propos du racisme.

[1] Dalembert L.-P., Noires blessures, Mercure de France, p. 186-187.

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L’enfant et son je de mots

L’enfant et son je de mots

L’institution pour accueillir ses inventions

Le 11 avril 2015, Véronique Mariage a été invitée par l’ACF Voie Domitienne et le groupe Kaliméros du Nouveau Réseau Cereda à Toulouges (Pyrénées Orientales). Sylvie Baudrier retrace ici les enseignements de cette rencontre animée par Éric Bérenguer à propos de l’Autre et ses déclinaisons dans l’enseignement de Jacques Lacan.

Chez Lacan, l’Autre apparaît toujours associé à un autre signifiant qui le qualifie, le représente. Pas de sujet sans l’Autre. Sa réflexion sur ce point conduit Véronique Mariage à indiquer que le propre de l’humain est d’être pris dans le langage et d’être sujet de sa parole. Mais pour que le rapport du sujet à l’Autre et au monde se structure, il faut un consentement initial fondamental. Très tôt l’enfant prend position et construit son Autre. Pour sa survie, il a à accepter d’en passer par la demande. Il y a pourtant des sujets qui n’y consentent pas. C’est un réel qui reste obscur. Dans la clinique des sujets psychotiques, on peut se demander : qui parle et d’où ça parle pour eux ?

V. Mariage nous invite à saisir la langue singulière, privée, d’Evanne, sept ans, un des héros du film de Mariana Otero, À ciel ouvert.

Au travers des séquences du film choisies par V. Mariage, nous avons découvert des moments cliniques extrêmement importants saisis sur le vif par M. Otero, alors même qu’elle n’avait pas le projet d’intégrer ce garçon dans son film. Avant le tournage, Mariana était inexistante pour lui. Ce sera une rencontre inédite et imprévue qui l’amènera à en décider autrement, la cinéaste parle à ce propos du plus beau « regard caméra » qu’elle ait filmé. Pendant les trois mois de tournage, la parole, le corps et la jouissance se nouent chez Évanne. À l’atelier musique, Évanne s’agite, tournoie. L’intervenante tente d’organiser le mouvement. Évanne fait caca, il le dit et sort pour être changé. Il consent à une perte et d’en passer par la demande, par l’autre qui s’en occupe... Une deuxième scène : c’est le bazar, Évanne court dans tous les sens, crie, se jette par terre. Il accepte la proposition de l’intervenante d’écrire les paroles de la chanson : « Le chaperon rouge a crié sur le loup parce que tu voulais sa galette, sa galette a pas voulu que je la mange, alors je l’ai mangée et il m’a dit voilà. » Après un désordre complet du corps, une énonciation, pas ordonnée par la grammaire, se trace. L’écriture organise son corps, l’apaise. Ce corps non organisé, un contenant qui déborde comme la tasse qu’il remplit de chocolat jusqu’au débordement dans la première séquence, se rassemble. Ça ne déborde plus, dans une séquence suivante il sert les autres enfants à table. Évanne s’appuie sur le discours de l’autre pour se construire un moi, c’est ce qui lui donne un corps. Lors de la dernière séquence, on peut saisir un moment d’énonciation chez l’enfant.

Évanne est assis dans son lit, il dessine et colorie sur ses genoux. Il entrevoit Mariana et sa caméra. Il marmonne une ritournelle, À la claire fontaine. Évanne regarde la caméra : « Tu connais la chanson ? » Mariana ne sait pas trop. Il répète la comptine avec exactitude puisqu’elle ne sait pas trop : « “À la claire fontaine … il y a longtemps que je t’aime, jamais je ne t’oublierai”. C’est ça, dit-il en faisant un geste de la main, t’as perdu les paroles ! ». Il poursuit : « Est ce que t’as un papa ? » Le sujet pose alors ses questions, ordonne qui est qui, un cadre imaginaire s’organise, structuré par l’autre de la ritournelle qu’il a choisie. C’est la fin du tournage. La phrase, maintenant adressée, trouve son capitonnage dans l’Autre, et pas n’importe lequel, précise V. Mariage, un Autre qui ne sait pas, qui est troué. Son corps trouve une assise dans l’Autre. Il entérine un Autre pas complet, il a perdu les paroles. Il continue à questionner Mariana sur ce qui pourrait bien lui manquer, un papa ? Dans la relation de transfert pointe la dimension de l’amour qui s’appuie sur un manque, conclut V. Mariage. « … Il y a longtemps que je t’aime, jamais je ne t’oublierai. »

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