S’autoriser ?

L’autorisation de Lacan

Lacan, dès 1956, c’est-à-dire peu après avoir été interdit de didactique par l’Association internationale de Psychanalyse, a contesté et dénoncé le principe de l’analyse didactique et des modalités de sélections instituées pour être admis à l’Institut de formation *. Être admis à entreprendre une cure didactique reposait sur une première sélection fondamentale avant toute analyse. Cette sélection reposait sur des critères de personnalité et de formation universitaire. Être admis en didactique permettait de postuler éventuellement à une formation dispensée par l’Institut. Les sociétés analytiques et leur hiérarchie cooptaient en commission leurs membres à partir de trois perspectives, celle de l’analyse personnelle, celle d’une pratique analytique supervisée, enfin celle d’une formation théorique. Une commission ad hoc s’informait alors auprès du didacticien de l’analyse du postulant, des superviseurs de la qualité des cures menées, enfin des directeurs de Séminaire sur la formation théorique. La qualification d’analyste était enfin accordée par la Société à partir de rapports établis par chacun de ceux qui étaient intervenus dans ce parcours. Il s’agissait d’une cooptation prudente obéissant à une réglementation stricte, reposant sur des critères analytiques peu identifiés. Lacan dès cette époque ne reconnaît à personne, aussi didacticien soit-il, le pouvoir de s’arroger le droit de décider de l’aptitude à la pratique. Les critères en usage lui paraissent relever d’un non-savoir celui « d’un psychologisme analytique », « ressuscitant une théorie du moi autonome » aboutissant à la conception d’une fin d’analyse pensée à partir d’une identification au moi de l’analyste – bien plus que d’un savoir analytique.

S’autoriser de soi-même et des autres

Avec la « Proposition du 9 octobre1967 » [1], Lacan rompait de façon radicale avec les modalités usuelles d’accréditation d’une société de psychanalyse. Il proposait « un nouveau fonctionnement » institutionnel qui permettrait à son École de garantir un analyste comme relevant de la formation qu’elle dispense. La procédure de la passe est le pivot de ce nouveau fonctionnement. Cette procédure convoque « l’analysé de l’analyste » pour le qualifier. Lacan se démarque de toutes les définitions a priori de l’être analyste et se tient au plus près de la définition de la psychanalyse conçue comme une pratique, dont l’interprétation sous transfert est l’instrument et l’analysé est le produit. Il s’agit d’un savoir particulier « sur le fonctionnement libidinal du sujet », pour reprendre le terme freudien. Cette perspective déplace la problématique des critères de l’être analyste au profit d’un postulat : il y a de l’analyste si et seulement si, il y a de l’analysé. L’analysé est ce à partir de quoi, dès lors, le sujet s’autorise pour exercer la psychanalyse. C’est aussi ce qui opère dans les cures qu’il va conduire. En ce sens, Lacan ne reconnaît à personne le pouvoir de nommer analyste un sujet. Dès les textes originels de son École, Lacan a indiqué le principe qui décide de sa position. Pour lui, « le psychanalyste ne s’autorise que de lui-même ». Ceci est à entendre surtout comme ceci : l’analyste s’autorise de fonctionner comme tel. Il ne peut s’y autoriser qu’à la mesure de l’analysé obtenu dans sa cure. C’est un acte qui vérifie une autonomie, celle d’un sujet qui a franchi la barrière du narcissisme et ses coordonnées imaginaires, la barrière des déterminations symboliques et qui a aperçu l’impact du langage sur le corps et ses effets de jouissance.

S’autoriser au désir décidé, Au-delà de soi : l’acéphale et l’automaton

En 1973, dans sa « Note italienne », Lacan présente la procédure de la passe comme ce qui permet de veiller qu’à s’autoriser de soi-même « il n’y ait que de l’analyste » [2]. Cette phrase complète le principe inscrit dans « l’Acte de fondation » [3]. Celui-ci avait donné lieu à beaucoup de malentendus. Ce principe voulait disjoindre radicalement l’autorisation analytique du fonctionnement institutionnel. Certains l’ont entendu, dans une sorte d’utopie anarchiste, ni Dieu, ni maître. Lacan ne l’entendait pas ainsi. Le fait de mettre en évidence que l’analyste ne s’autorise que de son analyse comporte nécessairement un processus de vérification. C’est ce que certains ont tenté d’écarter. Il faut bien vérifier que le sujet s’autorise de son analyse, et non pas de sa canaillerie, de ses relations sociales, de ses intrigues institutionnelles ou plus simplement du fait d’être un bon garçon, une bonne fille, un candidat irréprochable. Il s’agit de veiller à ce qu’il y ait bien eu quelque chose d’analysé. L’analysé doit se transmettre et peut être évalué par d’autres. C’est un « s’autoriser de soi‑même » et de quelques autres. La psychanalyse depuis Lacan fait l’hypothèse que le vrai cas clinique est celui qu’écrit le sujet lui-même, à partir de son expérience. La psychanalyse en elle-même est conçue comme didactique. Elle permet au sujet d’obtenir un savoir sur ce qui le détermine, dans le temps même où elle le transforme de façon définitive. C’est dire aussi que la qualification de didacticien ne confère aucun droit a priori, aucune exclusivité quant aux effets didactiques de la psychanalyse. Est didacticien, l’analyste qui mène une cure dans laquelle il arrive que l’analysant tire un effet didactique de son élaboration inconsciente. La procédure de la passe est le dispositif qui permet à l’analysant de rendre compte de l’opération de réduction qu’a été sa cure, réduction qui se fait au profit non pas d’un « je suis » mais d’un « je jouis ». L’analysant « exemplaire », l’AE atteint cette certitude. Atteindre cette certitude et vouloir la faire partager est ce que vérifie l’analyste en s’autorisant de lui-même. C’est un choix forcé qui témoigne du passage du travail de transfert à un transfert de travail au sein d’une École. C’est un vouloir acéphale, un point de rebroussement qui peut ainsi faire servir le choix de jouissance, réduit, isolé à une nouvelle fonction du désir. La perspective de celui qui s’adresse à l’analyste et qui énonce une soi-disant volonté de devenir analyste est d’une toute autre nature. Il est possible qu’il soit produit comme tel au terme d’une analyse, mais le vouloir n’est plus le même. Y a-t-il même un individu qui puisse vouloir « ça » ? Lacan dit qu’on y est conduit, qu’on ne peut pas vouloir ça. Vouloir ça conduit à bien d’autres choses pour une École et d’accepter de s’engager sur des terrains inconnus nécessaires à l’existence des Écoles de psychanalyse. Caroline Leduc vous racontera son expérience à l’ECF. Elle recoupe tout à fait la mienne.

Le contrôle autorise une interrogation sur l’acte

La formation du psychanalyste concerne autant l’analysant que l’association professionnelle dont il relève. L’analysant est concerné au plus intime par la direction de la cure dont il attend des effets dans sa vie même. L’institution est concernée par la formation des analystes qu’elle garantit. Toutes les sociétés analytiques s’accordent depuis Freud sur la nécessité de l’analyse personnelle de celui qui pratique la psychanalyse. L’analyse personnelle, condition nécessaire n’est cependant pas suffisante. Il y a un au-delà de l’analyse qui pose l’épineuse question de la formation en dehors de l’analyse elle-même. L’articulation du ternaire, analyse, formation théorique, formation pratique, mise en place par le premier institut de Berlin, a trouvé des interprétations variées au sein des Écoles de psychanalyse. Si pour Lacan la passe est le fonctionnement institutionnel le plus pragmatique et le plus rationnel pour garantir la formation du psychanalyste d’une École, il n’a pas eu la naïveté de penser que l’on pouvait pour autant faire l’économie du savoir des logosciences [4] pour reprendre l’expression de J.-A. Miller. Il l’a démontré et inscrit comme exigence dans la formation du psychanalyste. Pour autant, ce savoir n’est pas celui qui produit l’analyste. L’analyste est celui qui a rencontré la marque de la jouissance au lieu même où il supposait le savoir. La formulation « il y a de l’analyste » quand il y a de l’analysé a pour corrélat que l’analyste se réduit à sa fonction dans une pratique. « Il y a de l’analyste » inscrit un quod, un quelque chose d’in défini. L’analyste est ainsi défini en dehors des critères du jugement d’attribution. C’est une existence, un quelque chose en fonction. La fonction est une façon de saisir le quod. Lacan dans la « Note italienne » ajoute que cette fonction rend probable son « ex-sistence » [5] (celle de l’analyste). Le contrôle est le dispositif au-delà de la passe qui permet dans une École de vérifier le quod, le probable de son ex-sistence d’analyste. L’analyste fonctionne ou « ça » fonctionne à une certaine place, à une place qui n’a pas besoin d’être davantage précisée que la place d’une variable dans une fonction. Être en fonction distingue le rôle et la place de l’analyste dans le processus. C’est ce que le contrôle permet d’isoler.

* Texte issu de la journée « Question d’École : Permanence de la formation », organisée à Paris par l’ECF le 02 Février 2019.

[1] Lacan J., « Proposition du 9 octobre 1967 sur le psychanalyste de l’École », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, pp. 243-259.

[2] Lacan J., « Note italienne », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 307.

[3] Lacan J., « Acte de fondation », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 229-241.

[4] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Le lieu et le lien », », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris VIII, leçon du 7 mars 2001, inédit.

[5] Lacan  J., « Note italienne », Autres écrits, op. cit., p. 308.




Quelle garantie ?

Nous partirons [1] de l’orientation que donne Jacques-Alain Miller dans ses Propos sur la garantie [2]. L’AME, en tant que membre d’une association, qui s’inscrit dans un espace où prévaut le discours du maître, est celui auquel il revient de faire valoir la formation et la pertinence des pratiques. À l’interface de l’École et de l’extérieur, il représenterait une garantie qui l’emmènera à se confronter au discours du maître, auquel il se rendra, tout en le subvertissant. C’est une nuance d’importance qui fait que, du discours du maître, il faut savoir s’en servir pour la Cause analytique sans s’aliéner à la demande de l’Autre social. En considérant les deux versants qui le concernent, vers l’École et vers l’extérieur, l’AME se retrouve dans cette tension entre l’intention — maintenir vif son rapport à la psychanalyse et notamment à la passe par la désignation des passeurs, entre autres — et l’extension — soutenir l’existence et la pertinence de la psychanalyse d’orientation lacanienne dans une société où elle est de plus en plus contestée et où, même, sa disparition est visée.

D’une manière plus générale, la modalité de faire valoir cette garantie, ne reste pas figée et elle doit s’adapter à la subjectivité de l’époque dans laquelle s’exerce la psychanalyse, mais aussi au lieu et aux circonstances qui peuvent faire obstacle à la liberté de son exercice [3].

Ainsi, pour resserrer le propos, J.-A. Miller fait valoir pour l’AME, une « double postulation : l’une vers le discours analytique, l’autre vers le discours du maître » [4] en établissant un lien entre stabilité et subversion.

La passe et l’AME

Repartons du Discours à l’École Freudienne de Paris dans lequel Lacan, à proposer la passe comme la mieux-à-même de questionner l’acte de l’analyste dans son lien à ce qu’est le désir de l’analyste, voit se dresser face à lui la crainte d’une mise sur la « sellette » qui pourrait inclure la perspective « d’une reprise du bâton du psychanalysant » [5] : « […] on en a senti atteint le prestige du galon » [6]  ajoute Lacan. Il interroge l’acte de l’analyste, de n’être plus discernable à se trouver enlisé dans l’habitude et dans des positions de prestance ; ceci, à des places apparentées à celles de didacticiens. Dans son enseignement, Lacan fait valoir des balises : « il n’y a pas d’Autre de l’Autre […] : il n’y a pas non plus d’acte de l’acte » [7]. Voilà interpellée la permanence de celui qui aurait « fait ses preuves » [8], l’AME : gradus et non grade hiérarchique qui installerait un pour toujours qui vient en contradiction avec le désir de l’analyste et le tranchant de l’acte.

Lacan a pu définir l’AME par « le style de sa pratique et l’horizon qu’il sait y reconnaitre à y démontrer ses limites » [9] ; soit, à la fois, sur la connotation d’un plus — une singularité, un style —, et d’un moins, marquant une butée. Des limites qui ne sont pas à dire par d’autres, mais qu’il incombe à chacun de repérer en soi de ce qui serait en défaut du côté de l’acte, puis d’en tirer les conséquences. Il s’agissait de bouger, de secouer, ceux qui – la formulation est forte –, tiennent, « leur statut de l’oubli de l’acte qui le fonde » [10].

La garantie n’est pas un label et, a fortiori, il ne se veut celui d’aucune forme immuable. C’est peut-être un des points qui, dans l’École Une, est le plus interrogé concernant le gradus d’AME. Il l’est dans la tension logique entre garantie et passe dans une École en évolution permanente d’être, comme l’indiquait Gil Caroz, « une école d’analysants, fussent-ils des analystes » [11].

C’est une tendance qui s’est très nettement marquée après 1998 et durant les 15 années qui suivirent : la plupart des AE nommés étaient des AME. C’est une indication qui permet d’aller au-delà de l’opposition simple entre temps limité et dense de l’AE en exercice et permanence de l’AME, parfois associée au risque d’enlisement du désir de l’analyste.

Le constat est que le titre d’AME n’enferme pas et que beaucoup ont poursuivi ou repris une analyse la poussant jusqu’à ce moment de se présenter à la passe. L’on peut y voir le signe d’une vitalité dans l’École, d’une éthique dans le rapport de ses membres à la Cause analytique, d’un engagement – à l’instar de ce que souligne J.-A. Miller pour le contrôle – qui vise « les relations de l’analyste avec la psychanalyse » [12].

Pour autant, « pari » ne se confond pas avec « garantie ». C’est une manière de dire que s’il existe une tension entre passe et garantie, cette dernière ne s’est pas déplacée vers la première. La nomination d’un AE ne garantit pas la teneur de sa transmission, de son enseignement.

J.-A. Miller ne situe pas « l’événement de passe » dans la nomination, mais dans « le dire d’un seul […] quand il met en ordre son expérience, quand il l’interprète au bénéfice du tout-venant » [13] .  L’AE, plus que d’être occupé de garantie, est à la tâche « de démontrer son savoir-faire avec le réel » [14].

De même, la Commission de la passe à l’ECF, le Cartel ailleurs, n’est pas devenu le lieu de la garantie.

Le contrôle

La pratique du contrôle est, avec l’analyse personnelle sans laquelle ne peut se penser un analyste, un des piliers incontournables de la formation de l’analyste. C’est banal de le dire mais, ce qui l’est moins, sauf dans notre champ, c’est de savoir que Lacan ne l’a pas rendu obligatoire et que sa pratique relève donc du désir de chacun de s’adresser à un autre analyste pour venir lui parler de ce qui peut faire obstacle à son acte.

Soulignons que nous ne disons pas « s’adresser à un AME » pour faire un contrôle. Il n’est donc pas, non plus, obligatoire que le contrôleur soit un AME, il suffit – ce n’est pas peu dire – que celui qui veut se mettre au travail du contrôle considère que celui auquel il s’adresse soit, de son point de vue et dans un lien de transfert, analyste.

Le contrôle c’est un analyste qui s’adresse à un autre analyste pour lui parler de sa pratique. Pour cela, il n’y a pas de moment défini, pas d’obligation, pas de nécessité pré établie dans une périodicité convenue ; seules comptent les embrouilles avec le désir de l’analyste.

Que peut-on dire, dans notre modernité, des analystes que Lacan, en son temps, comparait à des « rhinocéros » et dont il disait qu’ils « font à peu près n’importe quoi, et je les approuve toujours. Ils ont en effet toujours raison » [15] . Enfin, ceci était le temps 1 du contrôle, le deuxième temps étant d’user de l’équivoque pour dégager de ce qui pouvait faire sinthome, obstacle au désir de l’analyste. Et, comme le souligne J.-A. Miller, il est toujours préférable à opposer un non, de faire en sorte que ce soit celui qui vient au contrôle qui s’aperçoive de son erreur. Le rhinocéros fonceur n’est pas du tout en voie de disparition et ce serait même plutôt le contraire qui se passerait dans ce que l’on note de l’actualité des autorisations à la praxis analytique et dans les demandes de contrôles. Ils foncent, parfois avec « peu » d’analyse mais en sachant que la pratique dans laquelle ils s’aventurent ne va pas sans le contrôle. Parfois, aussi, ils comptent avec celui-ci pour étayer leur désir de devenir analyste. La question n’est pas, de la place du contrôleur, d’interpréter cette précipitation mais pour le moins de leur permettre d’entrevoir la confusion qui pourrait exister entre le « désir du psychanalyste » et ce « désir d’être psychanalyste », Lacan y insiste [16].

Formation, admission et désignation des AME

Le contrôle n’est pas qu’un mot, il a un contenu. C’est dire que déclarer que l’on est en contrôle ne dit pas ce que l’on y fait. Au pire, on peut y répéter à l’infini la réassurance par rapport au cas, à la clinique qui, dans cette éventualité, reste toujours incertaine de ne pas arriver à être inclue dans le transfert : la conséquence en étant que l’acte ne peut être questionné. Éternelle question de la séparation du « contrôle du cas » et du « contrôle de l’acte ». Le premier se situant davantage du côté de ceux qui s’appliquent à compléter leur formation auprès de contrôleurs volontiers pédagogues, le second visant l’acte dans ce qu’il peut être encombré de subjectivité.

Ainsi, la question de la garantie se pose, non seulement dans le rapport à la désignation des AME, mais bien en-deçà, dans ce qui est en jeu lors de l’admission d’un nouveau membre. Dans certains cas, et sans que cela ne soit une règle, il serait intéressant, au regard de la formation supposée, d’interroger les contrôleurs des postulants à l’entrée à l’École et de ceux auxquels on pense pour les désigner AME. L’École recrute ses membres, la Commission de la passe nomme des AE, la Commission de la Garantie désigne des AME et propose des avancées pour la formation des analystes. Ni superposition, ni exclusion, mais une tension entre les trois.

Pour une part, la question de la garantie se pose dans le rapport de chacun à la Cause analytique.

Donc, la formation, n’est jamais terminée. C’est la bonne nouvelle !

[1] Texte issu de la journée « Question d’École : Permanence de la formation », organisée à Paris par l’ECF le 02 Février 2019.

[2] Miller J.-A., « Question d’École : Propos sur la garantie du 21-01-17 », L’Hebdo-Blog n°94 Publication électronique de l’ECF, 31 janvier 2017, https://www.hebdo-blog.fr/jazm/.

[3] Collectif Caracas, « Liberté et docilité de l’analyste », Internet, avec Lacan., La cause du désir, n° 97, novembre 2017.

[4] Miller J.-A., « Question d’École : Propos sur la garantie du 21-01-17 », op. cit.

[5] Lacan J., « Discours à l’École Freudienne de Paris », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 266.

[6] Ibid., p. 267.

[7] Ibid., p. 265.

[8] Lacan J., « Proposition du 9 octobre 1967 sur le psychanalyste de l’École. », Autres écrits, op. cit., p. 244.

[9] Lacan J., « Discours à l’École Freudienne de Paris », version orale.

[10] « Discours à l’École Freudienne de Paris », Autres écrits, Ibid., p. 272.

[11] Caroz G., Une école qui interpelle, Billet du jour du 2 février 2019. ECF-messager.

[12] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Le banquet des analystes » (1989-90), enseignement prononcé dans le cadre du Département de psychanalyse de l’université Paris 8, cours du 8 novembre 1989, inédit.

[13] Miller J.-A., « L’inconscient et le corps parlant », Le réel mis à jour au XXIe siècle, Paris, Coll. Rue Huysmans, 20145, p. 314.

[14] Ibid.

[15] Lacan J., Le Séminaire, livre XXIII, Le Sinthome, texte établi par Jacques-Alain Miller, Paris, Seuil, 2005, p. 17.

[16] Lacan J., « Discours à l’École Freudienne de Paris », op. cit., p. 271.




Exposer sa pratique

Il existe au moins deux lieux où nous pouvons exposer notre pratique comme analyste : le contrôle et la présentation de cas [1].

Présentation

Lors du contrôle, le cas évoqué est choisi, auprès d’un contrôleur analyste qui est choisi également. Au-delà des différents types de contrôle que nous pouvons repérer, les uns plus axés sur la clinique, les autres sur un questionnement concernant notre position dans le transfert, je dégagerai une sorte de constante, à savoir le pari que quelque chose de nouveau va surgir. Nous arrivons en contrôle avec beaucoup d’éléments, quelques hypothèses, une question, et nous repartons la plupart du temps avec une donnée nouvelle qui éclaire l’orientation à tenir concernant la direction de la cure.

Lors d’une présentation de cas, une cure est évoquée auprès d’un public au sein duquel se trouvent des membres de notre communauté. Il s’agit alors d’un travail d’élaboration, de construction et de logicisation de l’expérience, avec une certaine mise en tension entre théorie et clinique. Et si enseignement il y a, c’est plutôt sous le mode de la transmission, puisque nous essayons de faire « passer » quelque chose.

Points de recoupement

Qu’est-ce qui peut relier ces deux modes d’exposition ?

Dans les deux cas, cela a lieu en dehors du cabinet. Il s’agit alors de nous confronter, à travers une prise de parole, à une certaine forme d’intranquillité. La dimension du sujet supposé savoir est présente également pour les deux, qu’elle soit incarnée par l’analyste contrôleur ou par le public lui-même. Et le savoir en jeu est exposé, plutôt que supposé, comme c’est le cas dans le cadre de la pratique-même. Autre point de recoupement, le désir, car ni le contrôle, ni la présentation de cas ne sont obligatoires. Le contrôle est « désiré », pour reprendre un terme de Jacques-Alain Miller [2]. Il s’impose, comme dit Lacan [3], mais il n’est pas imposé, tout est dans ce décalage qui introduit la dimension de l’autorisation et de la responsabilité du praticien. De même l’exposition de cas part d’une simple proposition de la part de ce dernier, et il est tout à fait légitime de considérer cet exercice comme relevant également d’un contrôle. Exposer un cas dans le cadre de notre École, en présence de ses membres, constitue un certain « faire ses preuves », « rendre des comptes », mais sans attendre le moindre jugement de la part de l’Autre. Il est plutôt question ici de « co-responsabilité », comme a pu le souligner J.-A Miller [4], qui se répartit donc entre le praticien et les membres de l’École.

Quel discours ?

Afin d’approcher au plus près la logique de cette double exposition de sa pratique, en privé et en public, et afin de mieux dégager sa nécessité, demandons-nous si un recours aux discours de Lacan pourrait nous être utile.

Commençons par le contrôle, dont la pratique est « mal logée », comme le relevait J.-A. Miller [5]. Être en contrôle, ce n’est pas être sous contrôle, aussi le discours du maître ne doit pas s’y inviter. Et puisqu’il ne s’agit pas non plus d’évaluer notre savoir ou notre capacité, nous excluons la référence au discours universitaire.

Le discours hystérique, avec un sujet barré aux commandes, n’est-il pas à même, par contre,  de rendre compte d’une certaine expérience du contrôlant, qui, comme sujet divisé [6], se questionne, interroge sa pratique, sa position, suspend son savoir déjà là pour chercher à en produire un nouveau, et, à l’occasion, peut évoquer les résonances entre sa pratique et son analyse. Et du reste il est arrivé à J.-A. Miller de soutenir qu’une certaine dimension de l’association libre était à l’œuvre au cours du contrôle, association contrainte, bien sûr, puisqu’il est question d’un patient [7]. Dès lors le discours analytique, celui qui formalise l’expérience de l’analyse, s’y invite bien évidemment, la frontière entre l’analyse et le contrôle étant ténue, comme nous le verrons un peu plus loin.

Lors de l’exposition de cas, n’avons-nous pas là encore, en place d’agent, entendons ici celui qui présente un cas, une version du sujet barré, ce qui exclut le fait de mettre S2 aux commandes, auquel cas nous basculerions dans le discours universitaire ? Nous avons donc un sujet-analyste, un analyste-sujet qui met au travail les S1, comme autant de fils qu’il tire et développe au sein de sa construction, véritables points de capiton qui permettent de lire et d’entendre le cas, avec un certain savoir qui se dépose. Et là encore, le discours analytique, dans son acception la plus large, est bien évidemment convoqué, au moment même où l’analyste aborde la logique d’une cure.

S’exposer

À travers cette référence à cette dimension « sujet », on comprend mieux pourquoi exposer, c’est finalement s’exposer, à travers sa parole. C’est le cas dans le contrôle, mais aussi lorsqu’on expose sa pratique en public. Lors des 30e journées de l’ECF [8], l’école avait d’ailleurs convié le praticien à « élaborer comment il analyse, à faire contrôler son acte en s’exposant » [9]. En effet, J.-A Miller avait dressé le constat que jusqu’alors, je le cite, « l’exposé du cas voilait le “s’exposer” du praticien, le laissait implicite » [10].

Cela veut dire tout d’abord qu’il ne doit pas oublier qu’il fait partie de la construction du cas qu’il présente. Mais plus fondamentalement, la question que pose ces deux dispositifs d’exposition de sa pratique que sont le contrôle classique et disons-le maintenant, le contrôle élargi, est celle de savoir si le praticien est bien orienté par le discours analytique, envers du discours du maître, qui constitue aussi le discours de l’inconscient, ce qui est bien fait pour nous maintenir en alerte. Pour l’énoncer plus simplement, la question serait celle de savoir, comme l’a relevé Gil Caroz dans son introduction [11], s’il y a de l’analyste. Voilà ce que met à l’épreuve et vérifie tout contrôle classique, à partir de l’acte même de l’analyste praticien, comme l’a suggéré Lacan [12] ; et voilà ce que doit vérifier également le contrôle élargi, avec comme Autre en présence l’École, via ses membres. Et voilà enfin ce que chaque analyste praticien doit prendre à sa charge, averti du fait que l’être de l’analyste n’existe pas, et qu’en conséquence, il n’aura de cesse de devoir démontrer qu’il y a bien de l’analyste, ce qui le renvoie à sa propre analyse [13].

L’analyse

Du reste, s’il y a bien un dispositif où l’analyste s’expose, c’est bien dans le cadre de sa propre analyse qui s’invite, quoi qu’il en soit, lors de l’exposition de sa pratique. Ainsi J.-A Miller a pu soutenir par exemple que « dans l’appareil du contrôle le sujet vient en tant que praticien », pour vérifier « qu’il est analysé » [14]. Et ainsi il pouvait soutenir que : « Le contrôle ne vaut rien s’il ne vise pas au-delà, s’il ne vise pas les relations de l’analyste avec la psychanalyse. » Et c’est ce que l’exposition de cas mesure également : les relations de l’analyste avec la psychanalyse, avec la cause analytique rajouterions-nous.

Cette cause ici introduite est à interroger suivant deux aspects. Il y a la cause que nous opposons à l’idéal et qui renvoie au singulier, à la différence absolue, que vise toujours une analyse. Garder cette « orientation vers le réel », c’est se maintenir dans le discours analytique, toujours susceptible d’être contaminé par le discours du maître. La tentation est toujours grande de vouloir le bien de l’autre, ou tout simplement de vouloir contrôler l’expérience. Ne rien boucher, disait J.-A. Miller, c’est « laissez être celui qui se confie à vous », concluant ainsi : « laissez-le être dans sa singularité. » [15] Voilà donc ce que doivent vérifier nos deux versions du contrôle.

Deuxième aspect relatif à la cause, celui qui renvoie au désir, et précisément à la dimension du désir de l’analyste, telle qu’elle se mesure à travers la position que l’analyste peut tenir dans les cures qu’il mène, et plus concrètement à travers les actes qu’il pose, ces derniers visant justement ce que « chacun a de singulier, d’incomparable » [16].

Pour conclure

Concluons. Lors de son intervention présentant les 30e journées, que nous avons déjà évoquée, J.-A. Miller disait souhaiter que ces nouvelles journées fassent rupture concernant l’exposition de cas, avec des analystes qui s’exposent, donc, constatant alors qu’il « restera à élaborer comment aborder de la bonne manière « la confession des analystes », concluant par ce constat, je le cite : « leur passe toujours recommencée » [17].

La « confessions des analystes » reste donc toujours, sinon à penser, du moins à s’effectuer, dans le cadre d’une formation continue, et suivant de multiples facettes (et nous n’avons pas évoqué aujourd’hui l’enseignement). C’est à cette condition que le désir de l’analyste peut rester vivace et opératoire. Enfin, si nous pouvons constater que sur certains points, la passe et le contrôle se rejoignent [18], il nous faut aussi admettre, à suivre J.-A. Miller, qu’un lien logique existe également entre « passe » – ici au sens de phénomène, de moment – et « exposition de cas » , dans la mesure où prévaut le « s’exposer » ! Bref, il se démontre ici encore que la passe, cette fois-ci comme procédure, demeure l’expérience, le dispositif central de notre École.

[1] Texte issu de la journée « Question d’École : Permanence de la formation », organisée à Paris par l’ECF le 02 Février 2019.

[2] Miller J.-A., « Trois points sur le contrôle », Hebdo-Blog, n°159, 23 janvier 2019, publication en ligne de l’ECF,  https://www.hebdo-blog.fr/trois-points-controle/ .

[3] Lacan J., « Acte de fondation », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 235.

[4] Miller J.-A., « Présentation en l’an 2000 du thème des Journées de l’École de la Cause freudienne qui se tiendront en 2001 » [le 22 octobre 2000], Liminaire des XXXèmes Journées de l’ECF, Collection Rue Huysmans, 2001. (repris dans La lettre mensuelle, n°193).

[5]Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Choses de finesse », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris viii, cours du 12 novembre 2008, inédit.

Il précisait à cette occasion : « Et j’aimerais qu’on puisse dire sur le contrôle – mot dont on fait parfois un usage abusif –, j’aimerais qu’on puisse dire sur le contrôle des choses mieux structurées si je puis dire. »

[6] Contrôlant, qui, dans le cadre de sa pratique d’analyste, se prête plutôt à incarner l’objet a, « la cause du désir de l’analysant ».

Lacan J., Le Séminaire, livre XVII, L’Envers de la psychanalyse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1991, p. 41.

[7] Cf. Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Choses de finesse », op. cit., cours du 26 novembre 2008.

[8] Elles avaient pour titre : « Tu peux savoir comment on analyse à l’École de la Cause freudienne ».

[9] Miller J.-A., « Présentation des 30èmes Journées de l’ECF », op. cit.

[10] Ibid.

[11] Caroz, G., « Permanence de la formation, de la nécessité du contrôle, finitude et infinitude de l’analyse », Hebdo-Blog, n°159, 23 janvier 2019, publication en ligne de l’ECF.

https://www.hebdo-blog.fr/permanence-de-formation-de-necessite-controle-finitude-infinitude-de-lanalyse/

[12] Lacan J., « discours à l’efp », Autres écrits, op.cit., p. 266 & p. 270.

[13] Etant entendu bien sûr que l’objectif de la psychanalyse pure est de produire un analyste.

[14] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Le banquet des analystes », enseignement prononcé dans le cadre du

département de psychanalyse de l’université Paris viii, cours du 23 mai 1990, inédit.

[15] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Choses de finesse », op. cit., cours du 17 décembre 2018.

[16] Ibid.

[17] Miller J.-A., « Présentation en l’an 2000 du thème des Journées de l’École de la Cause freudienne qui se tiendront en 2001 », op.,cit.

[18] Jacques-Alain Miller nous dit : « Or, c’est un fait que l’appareil de la passe, de façon similaire et congruente au contrôle, comporte une interposition, et qu’il y a donc là, dans ce schématisme de la passe, la volonté de rendre très présente cette dimension d’indirect, et par là-même de matérialiser la transmission. On la matérialise en incarnant le messager, le médium. De la même façon que le psychanalyste contrôleur ne voit pas le patient, le jury de la passe ne voit pas le candidat. On pourrait voir ici la passe comme modelée sur la pratique du contrôle. »   Cf. Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Le banquet des analystes », op. cit.




La formation, un an plus tard

Dans son texte « Situation de la psychanalyse et formation du psychanalyste en 1956 », Lacan critique le mode d’organisation de l’IPA, prise dans des effets d’identification imaginaire et conduisant à deux postures : celle de la Suffisance ou des Béatitudes, et celle des Petits Souliers[1]. Le silence y est de mise car les suffisants se suffisent et les petits souliers, en bon analysés, ne posent pas de questions. De ce texte, je retiens une formule : « il faudrait avoir la honte bue du Huron ou le culot monstre de l’enfant pour qui le Roi est nu, pour en faire la remarque » [2].

Lacan s’attachera, par la suite, à créer l’École qui convient à la psychanalyse. C’est-à-dire : une école qui vise quelque chose au-delà du respect des formes et des idéaux. Ou plus exactement : une école qui ne cède pas sur le réel en jeu dans la formation [3], sur l’impossible de sa transmission intégrale.

Ce principe prend son appui sur le fait qu’il n’y a pas d’universel du psychanalyste. On pourrait dire : Le psychanalyste n’existe pas comme on dit La femme n’existe pas, en ceci qu’il n’y a pas, dans ce cas, de classe, ni de prédicat « pour tout x ». Cela annule tout idéal de transmission unifiée et collective. Là réside le secret de l’École, nous dit Jacques-Alain Miller dans sa Politique lacanienne, d’être pensée à partir d’un transfert de travail qui installe la transmission de l’un à un autre, sur le modèle de l’expérience analytique, et ayant en son cœur l’enseignement de Lacan.

C’est le vivant de cette orientation qui décidait de mon orientation il y a déjà de ça de nombreuses années. Le « Tu peux savoir » était là incarné, autorisant l’énonciation de chacun, loin d’un savoir ancestral et figé, et aux prises avec les questions de l’époque.

Le savoir dont il est question ne s’enseigne pas sous la forme de connaissances cumulées. Lacan enseigne à ceux qu’il nomme « des analystes supposés », dans « Télévision », supposés savoir, se plaçant donc lui-même en position d’analysant. « Outre qu’il n’est pas invraisemblable [qu’il] y suppose aussi des analystes à [l’]entendre » [4]. Pas d’autre formation qui tienne, mais un pari : que la psychanalyse « devienne quelque chose » [5]. Gil Caroz a remarquablement introduit cette journée en évoquant le pari que fait l’École qu’il y ait de l’analyste.

Notons que J.-A. Miller dans son introduction à l’effet-de-formation [6] sépare la cause de l’effet et en déduit qu’il n’y a pas de méthode de formation univoque pour les analystes. De même, on ne peut déterminer à l’avance qui deviendra analyste.

Il n’y a donc pas d’automatisme de la formation. J’ajouterai qu’il n’y a pas plus d’automatisme de l’entrée dans l’École. Cela signifie qu’il n’y a que des effets de contingence, de surprise, non calculables a priori. La rencontre dont il s’agit dévoile une béance dans le savoir – qui s’écrit du mathème S(A/) –, et marque un franchissement.

Ainsi, j’avais déjà déposé des demandes d’entrée dans l’École, qui n’avaient pas abouti, bien qu’on m’ait assuré que tout y était au niveau du parcours et de l’engagement actif et décidé.

C’est à l’issue de deux séances de contrôle que, poussée à le faire, j’envisageais une nouvelle demande. J’avais bien repéré qu’il m’arrivait parfois de me servir de la séance de contrôle pour venir valider mon expérience et en quelque sorte, obtenir le permis de conduire. Je m’exerçais au bien dire, ce qui n’était pas toujours chose aisée. Mais j’en obtenais parfois en retour des félicitations, qui ne manquaient pas de m’interroger. Le contrôle est bien le lieu où exposer ce qui fait obstacle à mon intention : soit « l’os d’une cure » [7] ou la pierre sur le chemin. Cette fois, l’analyste contrôleur fit une interprétation d’une autre nature, qui se détachait des précédentes et visait juste : « Mais, ce cas ne vous pose pas de problème ! ». Cette interprétation fit mouche à deux titres : d’abord parce qu’elle touchait à la vérité du cas – je le vérifiais par la suite –, ensuite parce qu’elle touchait à mon rapport à la psychanalyse et à la communauté analytique. J’avais noté la place particulière que me conférait la position d’être celle qui ne fait pas de problème. Et, au-delà de la blessure narcissique, je n’avais pas élaboré comme problème les premiers refus d’entrée dans l’École. J’en fis part à l’analyste contrôleur lors de la séance suivante et il poursuivit : « je ne comprends pas pourquoi vous êtes refusée systématiquement » et il m’invitait à en refaire la demande d’un « faut vous pousser ! », avec toute l’équivoque contenue dans la formule. Dans l’analyse, je tentais de mettre à jour les différentes faces de cet énoncé et de son écho : le « je ne comprends pas », soit mon propre refus de savoir et, plus tard, après sa mise en scène dans un petit théâtre, le « être refusée », qui nourrissait une jouissance secrète et inaperçue jusque-là.

Je redemandais donc à entrer dans l’École. Et, au-delà de la réponse positive, je prenais la mesure de l’interprétation qui m’avait été faite, du fait de ses conséquences, repérables dans l’après-coup. Ces deux facettes que je présente ici, la place du non-savoir et l’être refusé, font le style de mon rapport à la formation aujourd’hui, un an après l’entrée.

Sur le non-savoir, entre l’invitation de Lacan à se méfier de l’expérience, à faire table rase du savoir déposé, d’un côté, et l’immense exigence de savoir, de l’autre, la chose n’est pas si simple. Comment, donc, faire avec la tension entre enseignement nécessaire et non-savoir méthodique ? Entre vérité et réel ? J’en conclus que la naïveté que j’affectionnais tant avait à se faire plus opératoire. C’est, selon moi, l’enjeu de ce qui peut se dire, ou s’écrire, et qui résonne dans le style de chaque analyste. Certes, l’interprétation du contrôleur était intervenue dans un contexte subjectif particulier, qui touchait entre autres à l’inscription de mon travail dans l’École. Elle produisit ainsi un effet de vérité qui se saisit en un instant de voir, un aperçu sur mon « je n’en veux rien savoir ». Pour autant, il n’y a d’effet de vérité qu’à ce que le sujet le reconnaisse, poussé par un désir, celui de ne pas lâcher sur ce qui fait problème. C’est à cette condition que la vérité peut produire un effet de formation nouant gain de savoir et mutation subjective. Le parcours de formation se construit dans ces mouvements de discontinuité et de relance, présents dans la cure, mais aussi dans le contrôle ou le travail de cartel.

Sur l’être refusé : petit retour en arrière. Je fus attristée peu de temps après la séance de contrôle de ne pas voir mon nom dans la liste des admis. Il me fallut quelque temps pour réaliser qu’il ne pouvait pas y être, vu que je ne l’avais pas encore demandé. Je faisais l’expérience du fait qu’être rejeté suppose que l’on s’offre, comme Lacan l’exprime dans son Séminaire sur La logique du fantasme. Il y prend ses distances avec les considérations d’un Bergler sur le masochisme et sur l’idée même que l’ordre des choses voudrait que l’on fasse tout pour être admis et qu’il vaudrait mieux être admis que rejeté à la table du banquet. Le désir d’être rejeté est ainsi rapporté au fait de ne pas se soumettre à la demande de l’Autre. J.-A. Miller le reprend dans ses « Intuitions milanaises » [8], indiquant la « position de réserve pour l’analyste, eu égard à ces signifiants-maîtres de la demande proprement politique de l’Autre ». Être rejeté, être le moins-un est le statut du sujet. Chacun y adhère plus ou moins. J.-A. Miller le formule ainsi : « la communauté analytique, telle qu’elle s’est constituée à partir de Lacan est constituée de décomptés » [9]. Mais aussi qu’« il n’y a pas de communauté sans norme et […] chaque sujet de la communauté est divisé » [10].

Peu de temps après mon entrée dans l’École, j’acceptais la responsabilité de la section de l’ACF de ma région. Avec cette question en ligne d’horizon : comment faire lien social en accueillant le point d’exclusion de chaque Un ? Ceci est à distinguer du « narcissisme de la petite différence » produit dans l’IPA. En effet, il s’agit moins de jouir de cet écart à la norme que de s’en servir. Car s’il n’y a pas de communauté sans idéal, Lacan, dans son École renvoie chacun à son point de solitude et à son rapport avec le signifiant-maître sous lequel il se range.

L’entrée dans l’École s’est accompagnée de choix dans les responsabilités et nombreux engagements pour privilégier ce qui touche au « soc tranchant de la psychanalyse ». La nature de ces choix reste à dire, mais surtout ceux-ci sont toujours à refaire car ils ne sont pas établis une fois pour toutes. L’enjeu est de faire une place à l’impossible, afin que celui-ci ne soit pas ravalé à l’impuissance.

[1] Texte issu de la journée « Question d’École : Permanence de la formation », organisée à Paris par l’ECF le 02 Février 2019.

[2] Lacan J., « Situation de la psychanalyse et formation du psychanalyste en 1956 », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 477.

[3] J.-A. Miller en fait le 1er principe de politique lacanienne dans Politique lacanienne 1997-1998, Paris, Rue Huysmans, 2001, p. 30.

[4] Lacan J., « Télévision », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 510.

[5] Lacan J., Mon enseignement, Paris, Seuil, 2005, p. 11.

[6] Miller J.-A., « Pour introduire l’effet-de-formation », Quarto, n°76, mai 2002, p. 6-9.

[7] Miller J.-A., L’os d’une cure, Paris, Navarin, 2018.

[8] Miller J.-A., « Intuitions milanaises (2) », Mental, n°12, mai 2003, p. 13-15.

[9] Miller J.-A., Politique lacanienne 1997-1998, op. cit., p. 68.

[10] Ibid., p. 66.




L’extraordinaire de l’acte analytique

Dans son texte « La psychanalyse, la cité, la communauté », Jacques-Alain Miller indique que « l’École, la communauté d’inspiration lacanienne, recherche ce que c’est qu’être analyste, alors qu’une société, elle, le sait » [1]. La journée « Question d’école » qui s’est tenue ce 2 février 2019 à Paris était placée sous cet angle, et c’est ce qui en a fait sa force et son sel. La question : « Qu’est-ce qu’être analyste ? » était centrale et abordée sous trois angles : celui de la formation que dispense l’école aux analystes en formation, celui du contrôle et celui de la passe. Ces trois dimensions se trouvaient donc nouées et articulées ensemble pour une bonne raison : l’on continue de s’analyser, de faire des contrôles et de se former, parce que l’on ne sait pas ce que c’est que d’être analyste, parce que l’on ne se prend pas pour « L’analyste » avec un grand L. Ceux qui le font deviennent « L’âne à liste », entrent dans une routine, s’ennuient, car ils n’entretiennent plus un rapport vivant à leur inconscient.

Des travailleurs décidés

Dans son texte « Le débroussaillage de la formation analytique », J.-A. Miller précise comment Lacan, dans sa proposition du 9 octobre 1967 décrit le psychanalyste expérimenté : « Il le fait à partir des effets négatifs que la pratique a sur lui parce que, à force de pratiquer, l’analyste commence à imaginer qu’il sait. En transformant la pratique en routine, il oublie l’extraordinaire, l’incroyable de l’acte analytique et il arrive à penser qu’il possède un ‘‘savoir-faire’’ analytique. » [2] C’est cet extraordinaire de l’acte analytique qui nous a été transmis, samedi, à la Maison de la Chimie, grâce à l’exemple qui nous a été donné de travailleurs décidés. « La thèse du transfert de travail, qui est au fondement du concept de l’École, concerne l’analyste non en tant que maître, mais en tant que travailleur. Il s’agit des analystes travailleurs. C’est ce que réclame Lacan à la fin de son ‘‘Acte de fondation’’ : Je n’ai pas besoin d’une liste nombreuse mais de travailleurs décidés. » [3]

Cette journée « Question d’école » a été l’occasion de démontrer, en acte, que « L’enseignement de la psychanalyse ne peut se transmettre d’un sujet à l’autre que par les voies d’un transfert de travail. » [4] Chacun des analystes qui sont intervenus l’ont fait sur la base d’un éros, d’un désir décidé, ce qui a permis de susciter le désir d’en savoir un peu plus. « En effet, le transfert en psychanalyse traduit que le savoir ne s’y transmet que par Éros. […] De ce savoir fermé qu’est le savoir de l’inconscient, on arrive à saisir quelque chose uniquement par les voies du transfert, par les voies du travail de transfert » [5].

Le contrôle pour préserver la place du non savoir

Dans ce concert de voix, il a été souligné qu’il n’y a pas d’universel du psychanalyste [6] et qu’il revient à chacun un « tu peux savoir » qui n’est pas un cumul de connaissance car il n’y a pas de formation univoque de l’analyste. C’est pourquoi, le contrôle, loin d’être un lieu où vérifier un savoir déjà-là, est au contraire le lieu où exposer ce qui fait obstacle à la cure et préserver la place du non-savoir. C’est à cette condition qu’il produit des instants de vérité qui touchent aussi à l’implication de l’analysant dans l’École. C’est ce dont ont témoigné Cécile Wojnarowski et Monique Amirault [7], en démontrant que le contrôle est essentiel car on n’est jamais en règle avec son inconscient. Lors de la table ronde, Laure Naveau a donné cette indication précieuse que si le contrôle a pour fonction d’éviter la routine, il permet aussi d’éviter toute identification à l’analyste qui n’existe pas, il nous invite donc à être plus humbles.

La formation des analystes

Mais comment est-ce que l’École forme ? Pourquoi la permanence de la formation est-elle nécessaire ? [8] L’École sujet suppose d’essayer d’interpréter le malaise dans la civilisation. C’est pourquoi, l’on a pu entendre combien l’action lacanienne, c’est d’abord la question clinique. Et être membre de l’ECF, c’est aussi savoir-y-faire avec les discours de la civilisation… en y apportant un peu d’air ! [9] En présentant son travail, en écrivant des cas cliniques, en prenant des responsabilités dans l’École, chaque Un est alors en place de faire des trous dans le savoir déjà-là. Ce sont ces petits trous qui permettent une respiration. Les tables rondes ont permis que circule un désir vivant pour l’École et le gai savoir était au rendez-vous. Il a d’ailleurs été souligné que ce qui cause le désir dans l’École va au-delà de la fonction occupée. Être trésorier, par exemple, peut être joyeux car noué au gai savoir, propre à l’orientation lacanienne ! [10] L’École « c’est la solitude sans l’isolement » a indiqué Philippe La Sagna, reprenant cette très belle formule d’Aristote : « L’amitié née toujours de la rencontre chez l’autre du courage à affronter un certain réel. »

La passe, le pivot essentiel

Lors de cette journée, l’on a pu entendre que, pour pouvoir dire que « Là, il y a de l’analyste », une seule condition est requise : il y a de l’analyste si, et seulement si, il y a de l’analysé [11]. La passe est le pivot, inventé par Lacan, pour démontrer que l’on a été en analyse. La formation de l’analyste est donc avant tout sa propre analyse [12]. La pépite de cette journée a été le premier témoignage de passe de Victoria Horne Reinoso, moment susceptible de relancer chaque Un dans sa propre analyse. Jean-Daniel Matet a souligné que toute pratique psychanalytique dans l’École de Lacan s’oriente de la boussole de la passe. Et que la procédure de la passe a pour ambition de vérifier le parcours d’un analyste.

Fin d’analyse et chutes

La question : comment l’on termine son analyse et comment l’on se sépare de l’analyste, sont des questions cruciales pour la commission de la passe, c’est ce que nous avons pu entendre lors de la séquence « Ce qui s’arrête et ce qui ne s’arrête pas. ». Les passants, au un par un, témoignent qu’ils ont dû se séparer d’un autre qui n’existe pas. Parfois l’analyste lui-même peut être opérateur de la séparation. À la fin de l’analyse, un nouveau nouage avec la cause analytique apparait : le transfert envers l’analyste devient un transfert envers l’École comme sujet, c’est-à-dire que le sujet-supposé-savoir devient l’École. Le passant n’attend plus le signe de l’autre pour s’engager, pour y aller. Le Un tout seul est assumé. Clotilde Leguil, reprenant les arêtes saillantes de son analyse, a indiqué comment un rêve de sortie d’analyse avait touché à l’effort pulsionnel qui était le sien. Au cours de l’analyse, plusieurs chutes et dénuement sont survenus pour elle : chute du sujet-supposé-savoir la vérité, chute de jouissance et chute de l’objet a. Sonia Chiriaco nous a donné un écho de la commission de la passe, en indiquant que, ce qui ressort des témoignages de passe, c’est que l’analyse est aussi ce lieu où il s’agit de se confronter à son horreur de savoir, au noyau de sa propre haine. C’est pourquoi il y a parfois des sorties de l’analyse en forme d’acting out, pour fuir ce noyau insupportable. Il y a parfois aussi un nouage inédit entre l’analyse et le contrôle qui permet de toucher un point de réel inaperçu jusque-là. Mais tout ne se déchiffre pas, et l’analysant se confronte peu à peu à une dévalorisation de la vérité.

Une probabilité qui doit sans cesse se démontrer

La dernière séquence : « Retentissement et suite », nous a donné la chance d’entendre la ponctuation de cette journée par Éric Laurent. Celui-ci a indiqué les raisons pour lesquelles Lacan a fait passer l’être analyste à la fonction : la fonction d’analyste f(x), ne dit pas ce que c’est que le x. Tout ce qu’elle ouvre, c’est à une probabilité d’existence. Cette probabilité est liée au produit : l’analysé. L’analyste en fonction est donc avant tout supposé car il n’y a nulle essence de l’analyste, il n’y a que des effets. Et la commission n’est pas une garantie dans le marbre, elle donne simplement un message à l’École : voilà qui seront tes interlocuteurs. Le titre de membre suppose la même logique de « pas d’essence mais des effets ». Chacun de ses membres sont des incasables, c’est pourquoi « il faut nous libérer de la tentation d’établir des critères définis » [13] de la fin de l’analyse. « Comment nous montrer toujours davantage dupes du discours analytique, afin de nous montrer toujours plus réveillés pour la suite ? » est la question posée par É. Laurent afin de nous encourager à être « toujours un peu plus éveillés ». Samedi, à la Maison de la Chimie, chaque Un a témoigné, à sa façon, de combien « la cause analytique est un lien indissoluble » [14]. Et chacun a pu mesurer sa chance de faire partie d’une École « qui parie sur le mouvement qui ne cesse pas chez l’analysant » [15].

[1] Miller J.-A., « La psychanalyse, la cité, les communautés », La Cause freudienne, n°68, Paris, Navarin/Seuil, février 2008, p. 119.

[2] Miller J.-A., « Le débroussaillage de la formation analytique », La Cause freudienne, n°68, op. cit., p. 125.

[3] Miller J.-A., « L’École, le transfert, le travail », La Cause du désir, n°99, Paris, Navarin, juin 2018, p. 149-150.

[4] Lacan J., « Acte de fondation », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 236.

[5] Miller J.-A., « L’École, le transfert, le travail », op. cit., p. 147.

[6] Wojnarowski C., « La formation, un an plus tard », Hebdo-Blog, n°164, publication électronique de l’ECF, https://www.hebdo-blog.fr/formation-an-plus-tard/ 

[7] Amirault M., « Au principe du contrôle, le désir », Hebdo-Blog, n°163. https://www.hebdo-blog.fr/principe-controle-desir/

[8] La Sagna P., « La case des incasables », Hebdo-Blog, n°163. https://www.hebdo-blog.fr/la-case-des-incasables/

[9] Ibid.

[10] Leduc C., « L’école forme », Hebdo-Blog, n°163. https://www.hebdo-blog.fr/lecole-forme/

[11] Laurent D., « S’autoriser ? » Hebdo-Blog, n°164. https://www.hebdo-blog.fr/sautoriser/ 

[12] Dupont L., « Toujours en devenir », Hebdo-Blog, n°163. https://www.hebdo-blog.fr/toujours-en-devenir/

[13] Laurent É, « Retentissement et suite », intervention lors de la journée « Question d’École » du 2 février 2019, inédit.

[14] Miller J.-A., « L’École, le transfert, le travail », op. cit., p. 150.

[15] Laurent É, « Retentissement et suite », op. cit.