Étiquette : L’Hebdo-Blog 16

Éditorial

Rappelons que L’Hebdo-Blog, lieu d'adresse pour les travaux qui se déroulent dans l'École, les ACF et les CPCT, a besoin de vos plumes et claviers pour pouvoir s’adapter à la rapidité du rythme de l’action lacanienne, qui trouve son relais dans les régions. La rubrique ACF, plus particulièrement, est destinée à se faire caisse de résonnance des activités qui ont lieu dans les différentes villes des ACF de France et de Belgique. Les ACF sont très vivantes, diverses, s’inscrivent chacune de façon particulière et dans les réseaux de leur région et dans l’action lacanienne menée par le Directoire. Si La Lettre mensuelle s’est transformée en Hebdo-Blog, c’est bien pour savoir se tenir à l’heure des palpitations de l’École, des ACF et des CPCT.

Au cours de l’année 2015, de nombreux événements importants vont avoir lieu : déjà Question d’École, dont nous témoignerons au plus vite, la Journée de l’Institut de l’Enfant, la Journée Uforca, le Congrès de la NLS, le Congrès Pipol… Que de vie ! N’hésitez pas à participer à ces grands temps de notre École et envoyez-nous vos textes, reportages sur le vif, témoignages, lectures ! L’HB doit devenir la chambre d’échos des travaux, soirées d’étude, conférences, qui se tiennent dans les ACF et les CPCT, telle est sa cause, sa visée, sa mission.

Pourquoi ces grandiloquents impératifs ?

Il nous est apparu dernièrement ceci : la nécessité de prudence accrue concernant la diffusion des cas issus de nos cliniques freine la transmission des textes. Insistons : L’Hebdo-Blog serait heureux de pouvoir témoigner de la spécificité de l’orientation lacanienne, y compris par la transmission de cas, et de donner une place à cette pratique inédite issue de la création des CPCT.

Lire la suite

Les signifiants familiaux sont-ils à interpréter ?

Ni causalité psycho-familiale, ni causalité organique. L’acte du psychanalyste doit porter sur la manière dont le sujet psychotique ou autiste construit une réponse pour contrer le réel rencontré, comme nous l’indique Alexandre Stevens dans cette contribution, dernière, de la série du dossier spécial JIE.

L’histoire familiale intéresse le psychanalyste, c’est certain. Toutefois cette histoire, pour importante qu’elle soit, voile le réel en cause. Lacan fait ainsi remarquer que trop souvent un analyste s’accoutume aux termes : « le père, la mère, la naissance d’un frère ou d’une petite sœur, et il considère ces termes comme primitifs, alors qu’ils ne prennent sens et poids qu’en raison de la place qu’ils tiennent dans l’articulation du savoir, de la jouissance et d’un certain objet »[1].

Certains vocifèrent sur les psychanalystes culpabilisant les parents par les interprétations qui donnent au père, ou surtout à la mère, la responsabilité de ce qui arrive à l’enfant. C’est une pente qui existe dans certains courants psychanalytiques, laissant croire à une causalité psychologique familiale de la psychose ou de l’autisme. Ce n’est pas la nôtre.

La causalité des symptômes d’un enfant ne tient pas à telle ou telle pathologie familiale ou de l’un de ses parents, mais elle est à situer à partir de la faille où la névrose – aussi bien la psychose d’ailleurs – se raccorde à un réel. C’est ce que nous appelons « le choix du sujet ». Quelle que soit la difficulté rencontrée – et pour certains enfants cette difficulté a parfois été très lourde – ce qui compte est la manière dont le sujet y a réagi. Ce choix du sujet concerne ce mode de réaction au réel qui a surgi.

À l’inverse certains imputent une causalité organique à l’autisme. Nous n’adhérons pas davantage à ce type de causalité qui n’est d’ailleurs en rien démontrée à ce jour. Nous n’avons simplement pas à trancher entre psychogenèse et organogenèse : ni l’une ni l’autre ne donne la vérité du processus au sens où nous aurions à l’interpréter. Ce qui nous importe, et emporte notre interprétation, c’est le réel qu’a rencontré le sujet et la réponse qu’il lui a donnée comme sujet.

Dans le Séminaire XI Lacan situe ainsi l’inconscient freudien : « entre la cause et ce qu’elle affecte, il y a toujours la clocherie. L’important n’est pas que l’inconscient détermine la névrose – là-dessus Freud a très volontiers le geste pilatique de se laver les mains. Un jour ou l’autre, on trouvera peut-être quelque chose, des déterminants humoraux, peu importe – ça lui est égal. Car l’inconscient nous montre la béance par où la névrose se raccorde à un réel – réel qui peut bien, lui, n’être pas déterminé »[2].

Dès lors il ne s’agit pas d’interpréter les symptômes à partir d’une supposée causalité familiale, mais bien dans l’économie de jouissance d’un sujet. Les signifiants familiaux font partie de l’histoire du sujet qui se prête à être interprétée, mais c’est au-delà de ces signifiants où le sujet trouve ses identifications que doit porter l’acte de l’analyste.

[1] Lacan J., Le Séminaire, livre XVI, Dun Autre à lautre, Paris, Seuil, 2006, p. 332. [2] Lacan J., Le Séminaire, livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1973, p. 25.

Lire la suite

Familles en crise – Les conséquences d’un désordre symbolique

La clinique que nous recueillons au CPCT est marquée par la crise du symbolique. Nous voyons se développer les pathologies « centrées sur la relation à la mère, ou encore centrées sur le narcissisme »[1]. Comment les sujets, un par un, font-ils face à la crise de la famille œdipienne ? Voici deux vignettes issues des consultations préalables au traitement.

Effet iatrogénique[2]

Un des indices de la crise de la famille est qu’elle est devenue objet de soins. Mais de quelle famille parlons-nous ? La psychothérapie déduit le symptôme des positions occupées par les parents dans la réalité. Ce n’est pas notre thèse. C’est la famille en tant qu’elle a été subjectivée – par le biais des identifications – qui intéresse la psychanalyse. Une vignette éclaire cliniquement cette différence d’approche. Mme M. a soixante ans et se plaint de sa tendance à « toujours faire avorter les choses ». Elle veut enrayer cette répétition. Son dernier effondrement est lié aux effets d’une thérapie familiale initiée par l’établissement où sa mère est hospitalisée. Ces réunions ont ravivé un conflit familial ancien et déstabilisé son bricolage précaire. Sa famille a toujours été clivée en deux blocs. Mme M. était du côté de la mère, le reste de la fratrie soutenait le père. Forcée à se confronter à ce clivage, elle ne peut que rompre à nouveau. Après deux séances, elle refuse de participer au dispositif. Elle se sent cependant coupable car on lui fait porter, dit-elle, la responsabilité de l’échec de la thérapie. Celle-ci exige la présence physique de toute la famille. Elle tient à me lire la lettre de retrait qu’elle a adressée au thérapeute. On y perçoit que la parole prend un tour persécuteur pour Mme M. J’ai soutenu vigoureusement sa décision. « Vous avez bien fait de vous retirer ; ce n’est pas bon pour vous ». Ceci reconnu, son passif avec la psychiatrie surgit : hospitalisée à l’âge de quatorze ans, elle a été renversée par un psychiatre inattentif. Entendons un avertissement. Le problème est la relation au père, déclare-t-elle. C’est tout à fait juste ; il ne faut surtout pas la confronter au Nom-du-père. À la fin de l’entretien, elle a du mal à me quitter. Nous la rassurons. Il faut un interlocuteur bienveillant à cette dame, l’aider à retrouver une solution et surtout pas la mettre abruptement face au réel de son histoire au risque de la renverser.

Secret de famille

Catherine, la trentaine, se plaint de son surpoids : presque cent kilos. Sa boulimie, installée à l’âge de dix-huit ans, résiste à tous les régimes. Un mécanisme pulsionnel la rive au garde-manger. Elle se remplit jusqu’à la « sensation d’ivresse ». Elle n’a jamais voulu d’une aide analytique mais elle se trouve à présent en butte au dégoût de son mari. Elle n’a plus aucune sexualité. Eu égard à l’ampleur de la tâche, je me montre réservé sur l’opportunité du CPCT. Je lui demande d’isoler un point plus accessible à un traitement court. Contre toute attente, elle lâche alors le fantasme qui éclaire plusieurs pans de sa vie : c’est la préférence absolue de la mère pour sa sœur qui la fait souffrir. Elle s’est toujours sentie rejetée par cette mère et a son idée sur la cause. Quand sa mère était enceinte d’elle, son père aurait eu une liaison avec sa grand-mère maternelle. Peu après sa naissance, sa mère a surpris entre eux un geste érotique furtif. La crise familiale a été recouverte par un non-dit définitif. Catherine a échafaudé, à partir ce bout de roman, le motif de la haine maternelle à son endroit. Elle paye pour la faute du père qui se traduit par un détournement de la jouissance. À ma remarque « Vous êtes la fille du père », elle sourit pour la première fois. Nous disons oui au traitement au vu de cette séquence qui signe l’entrée dans le travail. Le traitement est possible car le réel du corps peut supporter une supposition de savoir prête à s’incarner dans le CPCT. Que l’épisode soit vrai ou faux, le tabou fondateur de la famille vacille avec ses effets névrotiques.

Chaque situation de crise laisse apparaître un réel autour duquel la famille s’est constituée[3]. C’est le repérage vif de ce point qui nous sert de boussole à l’entrée au CPCT. C’est comme si l’évolution des mœurs désignée par le terme « démariage »[4] mettait à mal les semblants jusqu’aux plus robustes : la famille elle-même.

[1] Miller, J.-A, « Intuitions milanaises », Mental, n° 12, L’avenir de la psychose dans la civilisation, mai 2003, p. 24. [2] Maladie provoquée par un acte médical ou un médicament. [3] Cf. Vinciguerra, R.-P., « La psychanalyse à l’endroit des familles », La Cause freudienne, n° 65, février 2007, p. 82. [4] Théry, I., « Le démariage et la perte du symbolique », Bibliothèque Confluents, Bulletin de l’ACF IdF, juin 1995, p. 44-52.

Lire la suite

Cressida, une autre luronne féroce de Shakespeare

Dans son Séminaire Le désir et son interprétation, ayant évoqué la scène entre Hamlet et sa mère, ce monument qui est le « paroxysme de la pièce », Lacan attire notre attention sur Troïlus and Cressida, que Shakespeare a écrit immédiatement après Hamlet [1].

La pièce, dont Lacan nous dit qu’elle est « une pure merveille, l’une des plus sublimes créations, je crois, que l’on puisse rencontrer dans l’œuvre dramatique »[2], nous présente une intrigue où, sur fond de péripéties guerrières, s’entremêlent les fils du désir, de la jouissance et de l’amour.

Dans Hamlet, Gertrude incarne « la mère en tant qu’elle est […] moins désir que gloutonnerie, voire engloutissement » ; la rencontre par son fils de « ce quelque chose de l’Autre réel » a pour effet la destruction de son désir. L’année suivante, Shakespeare fait monter sur scène Cressida qui, elle, n’est pas mère, mais prend place dans une série de « luronnes » dont il n’y a, nous dit Lacan, « d’aussi abyssales, féroces et tristes » qu’à partir d’Hamlet. Et Lacan d’ajouter que cette pièce « nous permet peut-être même d’aller plus loin dans ce que Shakespeare pensait à ce moment-là de la femme »[3]. En effet, les vers de Shakespeare sont des flèches qui, aiguisées par son bien-dire, vont droit au but pour dénoncer une folie féminine dont l’homme serait le jouet.

Cressida est une jeune troyenne, fille du prêtre Calchas qui est passé à l’ennemi et a mis ses talents de devin au service des Grecs. Elle tombe amoureuse de Troïlus, le plus jeune fils de Priam, le roi de Troie, alors que la ville est assiégée.

À l’époque de Shakespeare, Troïlus et Cressida sont des personnages familiers du public anglais ; ils sont au cœur d’un roman de chevalerie, « Le roman de Troie » et ils exaltent les idéaux du XVIIe siècle au point d’être passés en proverbe : les hommes fidèles sont des Troïlus, les femmes volages des Cressida et les proxénètes des Pandarus, trilogie qui forme le canevas de cette tragi-comédie[4].

Troïlus « fou d’amour » est « plus faible qu’une larme de femme »

Dès les premiers vers de la pièce, Troïlus fait l’aveu de la position féminine où l’assigne sa passion, dans un élan de sincérité qui touche au ridicule : « Je suis fou d’amour pour Cressida », « mon cœur, comme fendu par un soupir, va se rompre en deux », « je suis plus faible qu’une larme de femme, plus mou que le sommeil […] moins vaillant qu’une vierge dans l’obscurité »[5].

Lacan a précisément opposé désir et amour chez l’homme, soulignant que « quand un homme est femme, c’est à ce moment-là qu’il aime […]. Par contre c’est au titre d’homme qu’il désire »[6]. J.-A. Miller a ajouté qu’« on n’aime vraiment qu’à partir d’une position féminine. Aimer féminise. C’est pourquoi l’amour est toujours un peu comique chez un homme »[7]. Pire, l’amour éloigne aussitôt Troïlus de sa mission guerrière ; il est littéralement désarmé par les charmes de Cressida, cessant de s’identifier aux combattants de son camp et allant jusqu’à railler « les fous des deux côtés »[8]. Pourtant, il ne méconnaît pas que « c’est se conduire en femme que de n’être pas au champ de bataille ». Freud avait bien noté que « l’amour de la femme », à la différence de l’amour homosexuel, « rompt les liens collectifs »[9].

Les amants « font serment d’être parfaits comme dix hommes »

À l’opposé de Troïlus qui vacille, aveuglé par sa passion, Cressida est une amoureuse qui reste parfaitement lucide sur le désir des hommes qu’elle se plaît à séduire et sans illusion quant à la jouissance de l’objet qu’ils visent. Aussi, « bien que [son] cœur soit plein d’un amour sûr », elle se tient « à distance », car « les femmes sont des anges tant qu’on leur fait la cour, mais choses conquises n’ont plus de valeur […]. Une femme aimée ne sait rien si elle ignore ceci, que les hommes prisent plus qu’elle ne vaut la chose qu’ils n’ont pas obtenue. La femme n’existe pas encore qui a trouvé l’amour satisfait aussi doux que le désir suppliant »[10]. Comment mieux dire que l’objet fétiche situé chez la femme suffit à la jouissance de l’homme[11] et que, pour lui, cette quête qui « va sans dire »[12], tend à réduire les mots d’amour à de purs semblants : « on dit que tous les amants jurent de réaliser plus d’exploits qu’ils ne sont capables d’en exécuter […] ils font serment d’être parfaits comme dix hommes, et réalisent moins que le dixième d’un seul »[13].

« Pauvres femmes que nous sommes »

Les vers de Shakespeare ruinent l’idéal de la femme aimante et fidèle, qui se trouve ravalée au statut d’une luronne mue par une jouissance effrénée. Alors que l’homme Troïlus est un modèle « d’amour pur » et de fidélité – c’est là, concède-t-il, « son vice, son défaut »[14] –, Cressida incarne la « perfidie », qui se révèle aussitôt consommée leur union.

En effet, les amants sont séparés par une décision qui envoie la jeune fille rejoindre son père, le traitre Calchas, dans le camp des Grecs, en échange d’un prisonnier troyen. Elle fait ses adieux à Troïlus en lui jurant fidélité, ce qui ne va pas sans inquiéter son amant dont les yeux semblent se dessiller : « On peut faire des choses qu’on ne veut pas », ajoutant que « parfois nous sommes nos propres démons »[15].

Arrivée dans le camp grec, chaque chef lui demande un baiser : charmeuse, cette « pierre à aiguiser les hommes » joue avec Ménélas et Ulysse, mais c’est à Diomède qu’elle va céder. Elle devient ainsi l’archétype de la femme infidèle et Shakespeare de dénoncer « l’impudeur » de « la petite putain »[16] et lui faire déclamer, plus lucide que jamais : « pauvres femmes que nous sommes ; je vois en nous cette faiblesse que l’erreur de nos yeux dirige notre âme »[17]. La pulsion acéphale aveugle Cressida et scelle son destin.

La femme campée par Shakespeare est-elle envahie par une jouissance Autre et sans accès à la signification phallique ? Il semble, au contraire, qu’elle se situe plutôt du côté mâle du tableau de la sexuation, prise par une identification virile qui lui barre l’accès à l’amour et à l’Autre jouissance que Lacan nous a décrite comme supplémentaire à la jouissance phallique : « en vérité j’aurais voulu être homme ou que nous femmes eussions ce privilège des hommes de parler les premières »[18]. A la façon d’un homme, il ne lui est pas nécessaire d’en « passer par l’amour » pour jouir[19].

« Le plus tendre amour peut mourir sous la dent de la fortune »[20]

La pièce témoigne également que l’amour est contingent et s’adresse aux semblants.

Cressida est d’abord livrée aux manœuvres de Pandarus, son oncle débauché qu’elle qualifie de proxénète, lorsqu’il la pousse dans les bras de Troïlus. Par ses plaisanteries grivoises et ses remarques ironiques, Pandarus brocarde les semblants auxquels l’amour s’adresse[21] : « Est-ce ainsi que s’engendre l’amour ? Sang chaud, chaudes pensées et chaudes actions ? Mais ce sont autant de vipères ; l’amour est-il donc engendreur de vipères »[22] ?

C’est bien la jouissance qui aura le dernier mot, dénudant son réel mortifère qui ne cesse pas de s’écrire : « Débauche, débauche ; toujours la guerre et la débauche; il n’y a que cela qui soit toujours à la mode »[23], écrit Shakespeare. Troïlus explose en apprenant la trahison de Cressida, mais la jalousie excite son ardeur guerrière et, délivré de son amour, il est à nouveau virilisé, faisant alors contre les Grecs « des massacres furieux, fantastiques »[24].

Shakespeare indique toutefois la direction d’où peut naître le désir : « C’est en se dressant contre la destinée que l’homme fait vraiment ses preuves »[25]. Et dans une saynète pleine d’humour, il nous rappelle que la vérité, bien loin de l’idéal, n’est pas Une, qu’elle est menteuse. Il ponctue un bref dialogue entre Cressida et son oncle, sur la question de savoir si Troïlus est « aimable ou non », par cette formule : « Pour dire la vérité, c’est vrai et ce n’est pas vrai »[26].

[1] Lacan J., Le Séminaire, livre VI, Le désir et son interprétation, Paris, Éditions de La Martinière et Le Champ Freudien Éditeur, juin 2013, p. 356. [2] Ibid. [3] Les citations de ce paragraphe sont toutes issues de cette même page 356 du Séminaire VI. [4] Cf. Shakespeare W., Troïlus and Cressida, Paris, Aubier, collection bilingue, 1969, Acte III, scène 2. [5] Shakespeare W., op. cit., Acte I, scène 1. [6] Lacan J., Le Séminaire, livre XXV « Le moment de conclure », séance du 15 novembre 1977 (inédit). [7] Miller J.-A., interview à Psychologies Magazine, octobre 2008, n°278. [8] Shakespeare W., op. cit., Acte I, scène 1. [9] Freud S. : « Psychologie collective et analyse du moi », Essais de psychanalyse, Paris, PB Payot, 1977, p. 173. [10] Shakespeare W., op. cit., Acte I, scène 2. [11] Miller J.-A., « Un répartitoire sexuel », Maladies d’amour, La Cause freudienne, Paris, Navarin/Le champ freudien, n° 40, p. 24. [12] Lacan J., Le Séminaire, livre XXI, « Les non-dupes errent », séance du 12 février 1974 (inédit). [13] Shakespeare W., op. cit., Acte III, scène 2. [14] Ibid., Acte IV, scène 4. [15] Ibid. [16] Ibid., Acte V, scène 4. [17] Ibid., Acte V, scène 2. [18] Ibid., Acte III, scène 2. [19] Miller J.-A., « Un répartitoire sexuel », op. cit., p. 25. [20] Shakespeare W., op. cit., Acte IV, scène 5 : « Sweet love is food for fortune’s tooth. » [21] Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, Paris, Seuil, p. 85 : « L’amour […], s’adresse au semblant ». [22] Shakespeare W., op. cit., Acte III, scène 1. [23] Ibid., Acte V, scène 2. [24] Ibid., Acte V, scène 5. [25] Ibid., Acte I scène 3. [26] « To say the truth, true and not true. », Shakespeare W., op. cit., Acte I, scène 2.

Lire la suite

ANGELICA LIDDELL au théâtre du réel

Impossible de rester indifférent au dernier travail que l’espagnole Angelica Liddell a écrit et mis en scène au Théâtre de l’Odéon, en décembre 2014 – You are my destiny (Lo stupro di Lucrezia) – avec sa compagnie « La Bile Noire ». Impossible, car telle est la couleur du réel. Impossible, car sa nudité crue fait de la mise en scène un théâtre du réel. Elle nous traverse. Elle peut choquer, scandaliser, dégoûter, révolter, effrayer autant qu’ensorceler, captiver, émerveiller ou fasciner.

Cette auteure, née en 1966, fille d’un militaire franquiste, fit ses études d’art dramatique après des études de psychologie. A. Liddell est aussi poète, metteur en scène et performeuse. Elle travaille avec son propre corps qu’elle exhibe en beauté, tout autant qu’elle le châtie et le meurtrit, car selon elle « le corps engendre la vérité ». Sa langue n’est pas étrangère à la psychanalyse. Elle travaille aussi avec ses rêves et ses cauchemars.

L’action de You are my destiny (Lo stupro di Lucrezia) se déroule à Venise sous le son parfois étourdissant des cloches et d’un chœur formé par trois choristes ukrainiens. Ils chantent Haendel, juchés sur des décors en carton rappelant les colonnes gothiques du Palazzo Ducale, du pont du Rialto, ou de la piazza San Marco. A. Liddell revient là sur ses anciennes blessures dans une sorte d’exorcisme de ses humiliations « avec la nécessité de rendre aux hommes leur fragilité pour ainsi les absoudre »[1].

Le Viol de Lucrèce est un thème classique qui explore la vertu de la femme et a inspiré de nombreux peintres, auteurs d’une iconographie richissime, depuis les XVe, XVIe et XVIIe siècles (avec Titien, Rubens, Tintoret, Luca Giordano, ou Belluci) jusqu’au XXe siècle avec Balthus. Chez Lucas Cranach, A. Liddel puise son inspiration pour donner forme à son Eve qui, dans la pièce, apparaît tel un double de Lucrèce. A. Liddell compose ses actes comme des tableaux, d’un esthétisme rare et violent.

A. Liddell s’approprie une œuvre de Shakespeare – The Rape of Lucrece– qu’elle revisite avec Artaud (son mentor), Bergman et Derrida, dans le souvenir de Dante et de Virgile, en nous guidant dans un voyage à travers l’Enfer, le Purgatoire et le Paradis, là où elle entend trouver la paix et la quiétude – non pas avec une Béatrice dantesque, mais avec les Hommes. Le viol de Lucrèce, commis par Sextus Tarquin en 509 av. J.-C., est l’un des faits mythiques de l’histoire de la Rome Antique. Il marque la transition entre la monarchie décadente et la République. Lucrèce, la femme de Collatinus, fut déshonorée et violée par le fils du roi, séduit tant par sa vertu que par sa beauté. Lucrèce se suicida après avoir été violée.

A. Liddell réinvente l’histoire en s’insurgeant contre l’insupportable de la vertu féminine. Elle se rebelle contre cette vision trop plate des choses, contre l’éloge de la pudeur inébranlable de la femme. Elle perçoit chez le violeur une débilité et une vulnérabilité absolues qui finissent par faire succomber Tarquin à son irrésistible passion pour Lucrèce. Elle inverse ainsi les rôles, en faisant de Tarquin non pas un criminel mais un homme faible qui, devant la beauté, cède à l’amour. A. Liddell invente une histoire d’amour où Lucrèce se tue pour rejoindre Tarquin dans la mort, accomplissant ainsi son destin:

« Et voilà comme un violeur fit de moi son amante. Car de tous les hommes qui m’entouraient, père, époux et ami, fanatiques de ma vertu […], le seul qui m’ait parlé d’amour, le seul qui ne m’ait pas parlé de patrie, le seul qui ne m’ait pas parlé de gouvernement, le seul qui ne m’ait pas parlé de guerre, le seul qui ne m’ait pas parlé de politique, le seul qui ait préféré tout perdre en échange d’un instant d’amour, c’est le violeur, c’est Tarquin ».[2]

A. Liddell soulève la question de la nature des femmes, de l’amour et du sexe. Autant de questions qu’elle avait explorées dans Todo el cielo sobre la tierra, El sindrome de Wendy. Dans cet exercice de la beauté, alors même qu’elle mettait en scène son journal, sa vie, ses obsessions et ses vices, ses tourments et ses péchés, elle cherchait à voiler l’horreur qu’elle laissait entrevoir.

Le théâtre d’A. Liddel nous coupe le souffle. Dans You are my destiny (Lo stupro di Lucrezia), elle décuple le personnage de Tarquin, incarné par dix hommes qui montrent la nudité de leurs corps forts et virils tout autant que chétifs et piteux. Un premier tableau muet, assourdi par le son des tambours, puise son inspiration chez Buñuel ou Saura, et met en scène les tambours de la nuit du jeudi saint de la semaine sainte aragonaise. Dix hommes robustes jouent du tambour de plus en plus violemment, quinze minutes durant – quinze longues minutes de douleur où l’on regarde ces dix hommes malmenés. Seule la beauté du tableau rend la scène supportable. Un deuxième tableau met encore en scène ces dix hommes : à l’équerre, dos au mur. Longues minutes d’effort où on les voit tenir la position jusqu’à la brûlure, avec des soupirs de détresse. Insupportable maltraitance menant jusqu’à l’épuisement physique face à un public, pris en otage, qui souhaiterait que cesse ce supplice. Moment où les voiles tombent, moment où le réel se révèle. A. Liddel prendra soin d’eux, en ayant pitié de leur fragilité, en leur offrant amour et rédemption. Elle les aura menés à la limite de la souffrance pour les sauver par une espèce de conjuration – du mariage – du Ciel et de l’Enfer.

Dans ce dernier travail You are my destiny (Lo stupro di Lucrezia), A. Liddel semble toutefois moins convaincante. Lorsqu’elle montre ces corps en souffrance, un certain visage de l’horreur pointe à l’horizon de son questionnement sur la vie, la mort et le sexe. Les voiles tombent par moments, par manque de mots ou de paroles, et non pas lorsque la crudité du langage se montre. C’est plutôt par absence ou par manque de poésie que surgit le réel, et qu’il se dévoile étouffant.

[1] Emission de France Inter du 12/12/2014 par Laure Adler, Studio théâtre: http://media.radiofrance-podcast.net/podcast09/10629-12.12.2014-ITEMA_20700408-0.mp3 [2] A. Liddell, Le cycle des résurrections, Épitre de saint Paul aux Corinthiens, You are my destiny ( le viol de Lucrèce) Tandy,suivi du journal La fiancée du fossoyeur, édition Les solitaires Intempestifs, 2014, p. 35.

Lire la suite

Espace rédacteur

Identifiez-vous pour accéder à votre compte.

Réinitialiser votre mot de passe

Veuillez saisir votre email ou votre identifiant pour réinitialiser votre mot de passe