Droit d’asile

Le 28 novembre dernier, L’ACF Ile-de-France et l’Envers de Paris poursuivaient l’exploration du malaise dans la psychiatrie contemporaine par une deuxième conversation sur le thème : « Les lieux de soin de la psychiatrie : rupture et continuité ». À une époque où réfugiés et migrants du monde entier ne savent où poser leurs bagages, nous interrogerons la disparition progressive de l’asile en France depuis trente ans. Celui que la psychiatrie a offert à ceux qui souffrent à l’intérieur même de leur pays, de leur famille, de leur langue.

Rupture

La rupture, c’est celle des mutations que Jacques Lacan avait prévues dès 1966 comme « le passage de la médecine sur le plan de la science » [1] et qui a produit ce que nous nommons, après J-A Miller, « un désordre dans le réel » [2]. Les effets combinés des discours de la science et du capitalisme sur l’ordre symbolique, ont bouleversé les modes de jouissance qu’il distribuait, n’épargnant pas la psychiatrie contemporaine.

La diminution des lits d’hospitalisation psychiatrique est due à des facteurs économiques c’est certain, mais aussi à une désaffection généralisée de l’intérêt que la psychiatrie suscite dans le débat public. C’est une spécialité médicale qui n’attire plus les vocations d’une part, c’est une science qui, plus encore maintenant qu’hier, se cherche une légitimité scientifique qu’elle ne trouvera pas dans le réel. Enfin, l’hôpital psychiatrique est toujours l’objet d’une suspicion de maltraitance et d’abus, et particulièrement en ce qui concerne le « droit à la liberté ».

Il n’empêche, quand bien même la psychiatrie disparaitrait, la folie demeurerait ainsi que sa conséquence : le droit à l’asile. Les nouvelles grilles de lecture « pour tous » qui prétendent mettre le réel en lieu et place de la vérité, le symptôme sous la dictature du chiffre et la politique au pas de la gestion comptable, ne laissent aucune place pour le ratage et la singularité, c’est-à-dire le sujet. La folie, c’est celle du sujet.

La psychiatrie est une spécialité médicale peu affine avec les exigences de preuves soutirées aux sciences du vivant, car ces exigences tentent de suturer le sujet sans y parvenir. Il y a toujours un reste qui, s’il n’est pas traité, trouve à se loger ailleurs : la prison, la rue, la drogue, etc.

La dictature des objets

Plus subtilement peut-être, le sujet contemporain échappe au psychiatre contemporain, brouillant les pistes d’une nosographie déjà noyée dans la pléthore symptomatique du DSM. Ce sujet – dont le rapport à son corps et aux objets surpasse les idéaux, catégories et discours – rend plus complexe la lecture psychopathologique que beaucoup de médecins ont déserté.

Ces fameux objets de plus en plus inventés par la science, les Lathouses comme les appelle J. Lacan, captent nombre de patients dans ce que Pierre Sidon nomme « l’absence de mise en fonction de l’objet »[3], phénomène connu sous le concept passe-partout d’addiction.

Cette nouvelle forme de folie n’est pas seulement la maladie du siècle, mais une modalité de jouissance avec l’objet qui autorise et promeut une rupture du lien social, voire sa normalisation.

Un service social indispensable

« En fin de compte il n’y a que ça le lien social. […] le lien social ne s’instaure que de s’ancrer dans la façon dont le langage se situe et s’imprime » [4], et l’addiction n’est qu’une variante d’exil intérieur, de coupure avec l’Autre et le langage dont l’effet aboutit le plus souvent à la marge et au déchet.

Par conséquent, la continuité des lieux de soin est celle que l’on entend dans la pratique de chacun selon sa conception de l’asile. Depuis la création des secteurs, l’hôpital psychiatrique n’est plus un lieu extime à la société où s’entassaient les fous, mais un havre où l’accueil n’est pas seulement humanitaire. C’est une zone intermédiaire, où la folie peut s’entendre et s’analyser. Ce n’est d’ailleurs pas un lieu unique mais une multitude d’inventions, comme nos invités l’on montré.

Dans une vignette clinique, Pierre-Ludovic Lavoine prouve que pour soigner un sujet addict, un savoir sur la dépendance, a fortiori ses mécanismes neurobiologiques, n’est d’aucun secours. C’est là où ce que l’on nomme « position de l’analyste » prend tout son sens : le ratage et la répétition, les allers et retours hors de l’asile font partie de la thérapie, pour peu que le patient s’inscrive dans le transfert, donc dans un discours.

En institution privée, en CSAPA [5] ou en psychiatrie publique, le psychiatre ne peut se réduire à un administrateur de soins ou un régulateur de cerveaux : il y a du psychanalyste là où le psychiatre s’y prête, quel que soit le lieu où il officie.

Qu’on le veuille ou non, la psychiatrie est « un service social pas prêt de disparaître » [6], peut-être plus encore aujourd’hui où l’exclusion et la ségrégation font rage.

[1] Lacan J., Je parle aux murs, Paris, Seuil, 2011 p. 94-96.

[2] Miller J-A., « Le réel au XXIe siècle », La Cause du désir, Paris, Navarin, N° 82, Mars 2012, p 89.

[3] Sidon P., « Des dits addicts », Enseignement donné au local de l’ECF.

[4] Lacan J., Le Séminaire, Livre XX, Encore, texte établi par Jacques-Alain Miller, Paris, Seuil, 1976, p. 32.

[5] Centres de Soin, d’Accompagnement et de Prévention en Addictologie

[6] Lacan J., Je parle aux murs, Paris, Seuil, 2011 p. 94-96




De Bruxelles à Milan…

Nous étions plus de 600 participants au Forum de Bruxelles le 1er décembre dernier. Les intervenants ont chacun tenté d’apporter des éléments de réponses à ces questions : comment combattre les discours qui tuent ? Et tout d’abord ces discours, quels sont-ils ?

L’exploitation et la privatisation des ressources naturelles et des matières premières, les guerres, les effets du réchauffement climatique, ont jeté des millions de gens sur les routes à travers le monde, ce sont ces flux migratoires immenses dont témoigne le film Human Flow [1].

Cependant, si l’internationalisation des flux commerciaux et financiers et la globalisation de l’économie permet une circulation toujours plus rapide des biens et soumise à toujours moins de contrôle grâce aux accords économiques et commerciaux liant les États et les continents, on observe partout la fermeture des frontières aux personnes avec la construction toujours plus étendue de murs, ainsi que la construction de camps, comme autant de dispositifs de rétention et de contrôle des flux humains. « Notre avenir de marchés communs trouvera sa balance d’une extension de plus en plus dure des procès de ségrégation » [2], annonçait Lacan en 1967.

L’une des faces de ces discours qui tuent naît ainsi de l’alliance du discours de la science au discours capitaliste, il s’agit d’un discours qui comptabilise, qui chiffre, qui anonymise, qui n’a de cesse au nom de la neutralité scientifique d’instaurer de nouvelles normes, au détriment de la singularité des sujets dont il se fait le gestionnaire. C’est le discours sanitaire évoqué lors du premier forum européen qui s’est tenu à Bruxelles en juillet 2017, lors de PIPOL 8. Ainsi « l’universalisation introduite par la science dans le remaniement des groupements sociaux » [3] selon l’expression de Lacan, produit par effet retour « l’insurrection des jouissances »[4] nous dit Éric Laurent.

Face à cette universalisation opérée par le discours de la science et produisant un marché dit commun mais dont beaucoup sont exceptés, laissés pour compte, prolifèrent en effet des discours de haine, les discours identitaires des partis nationalistes et xénophobes, axés sur la haine de l’autre, eux aussi construits sur le fantasme d’un bien commun mais à l’échelle de la nation érigée en rempart et prônant la fermeture à l’autre, l’entre-soi.

Les discours populistes portés par les mouvances d’extrême droite ont à ce point gangréné l’Europe que la mise en question de la construction européenne est devenue le principal enjeu des élections européennes à venir. Souvenons-nous que le Brexit paraissait il y a peu impossible, de même la victoire de Trump aux États Unis, ou encore celle de Bolsonaro au Brésil.

Il s’agit là d’un populisme opiniologique. En effet de nos jours les opinions se forgent sur les réseaux sociaux – lesquels sont immergés par les trolls et les fake-news – et sont renforcées par leur fonctionnement algorithmique, celui-ci favorisant, au contraire de la place publique, la solitude et l’entre-soi. Par ailleurs ces plateformes sont sujettes de façon récurrente à des opérations d’ingérences, notamment en période électorale. Désormais les faits objectifs ont ainsi moins d’influence sur l’opinion publique que ceux qui font appel à l’émotion ou aux croyances personnelles. À l’ère de la post-vérité, soit de la montée en puissance d’une indifférence à la vérité, cette dernière n’a plus d’effet sur le réel.[5]

S’ouvre donc une guerre de discours où les psychanalystes ont à prendre leur part en défendant l’éthique transmise par Lacan. Celui-ci les exhortait en effet dans ses Écrits : « Qu’y renonce donc plutôt celui qui ne peut rejoindre à son horizon la subjectivité́ de son époque. Car comment pourrait-il faire de son être l’axe de tant de vies, celui qui ne saurait rien de la dialectique qui l’engage avec ces vies dans un mouvement symbolique. Qu’il connaisse bien la spire où son époque l’entraine dans l’œuvre continuée de Babel, et qu’il sache sa fonction d’interprète dans la discorde des langages. » [6]

Le discours universitaire, malgré son attachement à la vérité, ne nous sera pas ici d’un grand recours. En effet s’il s’attache à apparaitre nettoyé de toute passion haineuse, il ne fait pas pour autant lien, au contraire même il isole, note Éric Laurent. Le discours analytique, en prise direct sur le réel, apparaît à cet égard d’un plus grand soutien, non seulement il nous éclaire, mais il ne recule pas devant la question de la jouissance, ce faisant il produit un mode de lien qui tient compte de la position singulière de chacun.

Or Éric Laurent nous invite à suivre la voie d’un discours qui poursuit cette même visée, un discours en cela « civilisateur ». Il s’agit du discours porté par les grands mouvements féministes qui se font aujourd’hui voir et entendre à travers le monde. Il avance que cette émergence de la parole des femmes est la chance d’un discours dé-ségrégatif, un discours où peuvent venir se loger ceux qui objectent aux discours universalisants de même que les oubliés du grand marché commun.

Ces discours, portés essentiellement par la parole des femmes, en défendant les droits des minorités, les droits des minorités sexuelles mais aussi les droits des migrants, ceux qui ont laissé derrière eux leurs droits de citoyens, en s’appuyant finalement sur le droit de chaque-un, renouvelle la question essentielle des droits de l’homme, de ses droits fondamentaux et inaliénables. C’est également un nouvel abord de la question de l’identité puisqu’il prend en considération la jouissance singulière, réfractaire, et son caractère problématique.

Parallèlement à cette mobilisation des femmes à travers le monde, pour leurs droits et pour les droits de quelques autres, à la présence également massive des femmes dans les grands mouvements sociaux qui agitent l’époque, des mouvements Occupy aux Indignés, des printemps arabes aux marches des femmes en Argentine, au Chili, au Brésil, en Europe, un désir de démocratie se fait entendre. Et une aspiration à plus de solidarité, à plus d’équité, qui n’est pas compatible avec la fermeture à l’autre prônée aujourd’hui par nombre de discours populistes en Europe et dans le monde. Ces mouvements hétérogènes qui proposent, plutôt qu’une pente universalisante, le cas particulier pour paradigme, qui proposent plutôt que le fantasme d’un même bien commun pour tous la prise en compte des modes de jouissance singuliers, ouvrent à la logique du pas-tout, et par là nous invitent à repenser notre modèle politique Européen.

Cette question sera celle du prochain forum, à Milan, le 16 février prochain : à l’heure où les discours qui tuent menacent de façon inquiétante ce qui fonde nos démocraties, quel projet sera viable pour l’Europe ?

[1] Human Flow, Documentaire d’Ai Wei Wei, Festival internationnal du film de Berlin, Allemagne, 2017.

[2] Lacan J., « Proposition du 9 octobre 1967 sur le psychanalyste de l’École », Autres Écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 257.
[3] Ibid.

[4] Laurent Éric, « Discours et jouissances mauvaises », Hebdo Blog n° 155, décembre 2017, https://www.hebdo-blog.fr/discours-jouissances-mauvaises/

[5] http://www.lefigaro.fr/vox/societe/2018/12/07/31003-20181207ARTFIG00280-myriam-revault-d-allonnes-la-verite-n-a-plus-d-effet-sur-le-reel.php

[6] Lacan J., « Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse », (1953), Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 321.




Rhétorique et silence dans la politique européenne

Je veux aborder deux points, qui sont d’ailleurs un peu contradictoires.

Premièrement, il y a une limite à la rhétorique qu’une démocratie peut supporter. J’avance cette proposition malgré mon expérience de praticien – j’ai été des années durant rédacteur de discours à la Commission européenne – et malgré ma passion pour la politique. Et pourtant, l’idée qu’un pouvoir politique authentique ne doit pas se trouver associé à la passion populaire est aussi vieille que la démocratie elle-même.

Prenons un exemple. Nous avons tendance à voir dans la vie politique américaine sa dimension rhétorique. Aux États-Unis, depuis la Déclaration d’indépendance jusqu’aux présidents Kennedy et Obama, la phraséologie utilisée a toujours paru véhiculer une vision de liberté et de démocratie. Théâtrale, guindée, bondieusarde… quels que soient ses mérites et ses torts, la vie politique en démocratie américaine semble, de sa nature, profondément rhétorique.

Introduisons ici une idée nouvelle et controversée. Le silence de façon générale est hautement valorisé dans la démocratie politique – afin de laisser à la réflexion, au débat constructif et à la coexistence avec les représentants d’autres opinions tout l’espace nécessaire. Silencieux, les puissants étaient inestimables.

Au XIXe siècle, les présidents étatsuniens ne s’exprimaient que très rarement en public. On a même estimé que moins d’un discours sur dix était destiné au grand public. Et même dans leurs prises de parole, ils faisaient preuve d’une grande retenue, soucieux de ne pas dépasser les limites de la bienséance, de la prudence, du pluralisme, et de se limiter à la question en cause. Pour dire les choses simplement, leur position était beaucoup trop importante pour qu’ils puissent s’autoriser une parole sans retenue.

Ce n’est pas qu’ils ne savaient comment s’y prendre. Le sixième président, John Quincy Adams, avait été professeur de rhétorique et d’éloquence à Harvard. Il prenait pourtant rarement la parole en public, parce qu’il savait que s’exhiber – selon son expression – devant la nation était peu digne de lui et de sa charge. Le neuvième président, William Harrison rappela un jour à son assistance qu’il était en quelque sorte interdit à un président d’évoquer publiquement des questions concernant les affaires publiques Le seizième président, Abraham Lincoln, l’auteur d’un discours remarquable pour l’époque moderne, était connu pour s’appesantir longuement sur les raisons qui étaient les siennes pour ne pas parler à tort et à travers. Au début de la guerre civile, il déclara qu’il « ne servirait à rien d’avoir de vaines paroles, et qu’il pouvait difficilement, pour l’heure, tenir une allocution construite ».

Mon point de vue se base sur une conception républicaine construite sur la stabilité et sur la liberté : la politique, la passion et le pouvoir « présidentiel » ont chacun, dans la société, une place définie et circonscrite.

Aujourd’hui, les politiciens tirent vanité de leur liberté de parole. Ils éprouvent le besoin d’étaler chacune de leurs réactions et de leurs idées, ils chérissent leurs haines et leurs passions personnelles, aussi banales qu’elles soient. Nous agissons d’ailleurs fréquemment comme si les affaires publiques étaient interdites en quelque sorte à ceux qui ne détiennent pas le pouvoir, en tant qu’ils sont supposés dépourvus d’un mandat démocratique les autorisant à parler, agir, influer sur les décisions politiques.

C’est ce que nous raconte le récit de la migration. Ainsi par exemple, des membres du gouvernement belge décrivent l’examen juridique de la demande d’asile comme « fondamentalement » partisan et donc inacceptable du point de vue démocratique. Ils qualifient l’Ordre flamand des avocats d’ONG de gauche favorable à l’ouverture des frontières. Ils considèrent que Médecins sans frontières encourage le trafic d’êtres humains, causant par là, la mort et le désespoir.

Le discours sur la migration révèle que toute mise en débat risque d’aboutir à des divergences et donc à une division entre pays membres. On assiste de la part de certains élus européens au refus unilatéral d’accepter des décisions pourtant décrétées par la voie démocratique au niveau du Parlement européen. Si en outre un tel discours de refus est répercuté par des mandataires européens, il en résulte au niveau de notre politique communautaire d’accueil des dissensions, ainsi que des positions inhumaines, et paranoïdes.

Le langage – et en particulier ce type de langage qui se construit dans l’échange entre un orateur et son assistance – devient outrancier, passionné, capricieux, et par là-même très dangereux. Que ce soit en tant qu’orateur ou en tant que membre de la société, il faut y regarder à deux fois avant de mobiliser la puissance du langage. Il en va de même pour ce qui est d’abandonner une telle force à des gens déjà très puissants.

Lincoln y était très attentif. Comme un grand historien l’a écrit, sa proclamation légendaire sur l’émancipation avait la valeur morale d’un simple « permis d’embarquement ». Mettre fin à l’esclavage était en lui-même un acte suffisamment important. Prenons garde de ne pas réveiller davantage certaines passions.

En nos temps démocratiques, disait Tocqueville, les gens ont en aversion les contraintes et ne comprennent pas le respect des formes. Elles sont pourtant au service d’un projet démocratique. Elles font office de barrière entre le fort et le faible, entre le gouvernement et les gouvernés, elles contribuent à retenir les uns, le temps que les autres prennent de l’assurance.

Le paradoxe est qu’en démocratie, des limites sont nécessaires aux écarts de discours, aux prises de parole et aux orateurs passionnés, même si l’on mesure mal le bien-fondé de ces limites.

Second point. Je vais prendre pour cible l’autre côté du spectre – à savoir : le centre de l’échiquier politique, où le silence est assourdissant. Cette situation affaiblit particulièrement la politique de l’Union européenne. Nous sous-estimons combien notre continent a grandi dans une position non rhétorique. D’un côté, dans des pays comme l’Allemagne, les générations successives ont appris à se méfier de la passion pour la rhétorique – en en payant le prix fort. D’un autre côté, en Europe centrale et en Europe de l’Est, le discours politique a suscité la méfiance et le mépris ; les diverses générations n’ont jamais appris à apprécier véritablement les procédés et la valeur de la rhétorique.

Du reste, c’est un projet essentiellement non rhétorique, d’intégration européenne, qui nous réunit. Il a préféré la raison à la passion, le « logos » au « pathos », et il a supposé que sa finalité n’était possible qu’à travers les petites lettres plutôt que les grands mots. Par-dessus le marché, nous sommes unis par un langage qui échoue à véhiculer notre « ethos » continental, et qui n’oriente que très peu dans sa complexité et sa richesse nos politiciens dirigeants.

Mais mon point de vue est que la démocratie, quelles qu’en soient les raisons, ne peut pas non plus se soutenir d’une rhétorique trop mince. À l’instar des cents dernières années aux États‑Unis, la vie politique de l’Union Européenne devrait prendre en compte le potentiel positif de la rhétorique. Clarté de vue, courage, confrontation des idées, opposition des visions du monde et opposition constructive…la politique démocratique ne peut s’en dispenser. L’enjeu est d’autant plus important lorsque nous sommes confrontés à des personnes et à des pouvoirs qui maîtrisent de fait l’art de la rhétorique, et qui ne reculent pas à l’utiliser sans contrainte.

Tout comme il y aurait lieu de demander à certains politiciens de parler un peu moins, nous sommes en droit, nous sommes dans la nécessité de demander à d’autres de parler davantage. Il y a des limites au silence aussi bien. Si le débat et le discours européens sont en déséquilibre, nous devrions pointer du doigt non pas seulement l’extrême de l’extrême, ceux qui parlent haut, ni ceux qui murmurent dans l’ombre, mais nous devrions aussi viser le centre qui reste muet et peu convaincant.

Nous avons raison de nous méfier, nous avons raison d’être mécontents envers les politiciens européens qui refusent de s’exprimer sur la finalité de leur mandat, qui sont incapables d’offrir une vision personnelle et convaincante du monde comme il est et comme il devrait être. Leur silence peut tuer tout autant que les mots de certains.

Nous demandons plus de rhétorique européenne.

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* Vincent Stuer, politologue, a été speechwriter de José Manuel Barosso lorsque celui-ci était président de la Commission européenne. Avant cela, il avait aussi été porte-parole du ministre des Affaires étrangères en Belgique, Karel De Gucht. Depuis septembre 2018, il est attaché de presse au Parlement européen pour le parti néerlandais D66 qui est membre de la fraction libérale ALDE, dont Guy Verhofstadt est président.
Texte prononcé dans le cadre du Forum Zadig à Bruxelles le 1 er décembre 2018.
Titre de la rédaction.
Texte traduit de l’anglais par Jean-François Lebrun




De la demande au « gay sçavoir »

Laure Naveau : Après plusieurs mois passés à faire couple, avec un certain bonheur il faut le dire, avec le festival de textes proposés sur le Blog des J48 et la newsletter S’aile-à-mourre, nous allons entrer maintenant dans la danse de ces Journées de l’ECF sur « Le mariage et la sexualité dans l’expérience analytique » [1]. Nous le ferons par une porte bien singulière, qui est celle de du conjoint et de la demande, à partir de cette citation de Lacan que je vous donne – elle se trouve à la page 468 du Séminaire V sur Les formations de l’inconscient, dans l’ultime partie que Jacques-Alain Miller a intitulée « La dialectique du désir et de la demande dans la clinique et dans la cure des névroses », et plus précisément, dans le chapitre qui porte ce titre : « Les circuits du désir », puisque Lacan, rappelez-vous, est en train de construire son fameux graphe du désir : « Que peut vouloir dire, pour nous analystes, ce terme de conjoint ? Il prend son articulation pleine au niveau des choses où nous essayons de les situer. C’est celui avec qui il faut bien, de façon quelconque, bon gré mal gré, revenir à être tout le temps dans un certain rapport de demande. » [2]

Michèle Elbaz : Chère Laure, je me suis fait une remarque très simple à partir de cette phrase de Lacan que tu viens de bien situer, centrée par le concept de demande : finalement, ne peut-on pas dire qu’un mariage commence par une demande, la demande en mariage, qui peut sceller le même phénomène quand il s’agit de la non-demande en mariage proférée comme telle ? Ainsi nous pourrions poser que le mariage prend la demande dans ses fourches caudines !

Il en prend la relève, l’autorise même et l’embarque dans cet exercice domestique infatigable et répétitif en effet. Le conjoint donc ça s’articule à la demande. Elle peut se déployer sous la forme de l’exigence, de la tyrannie et/ou se suspendre, ou être soupçonnée ou encore évitée chez l’Autre, et quoi qu’il en soit peut faire obstacle au glissement métonymique du désir ; elle enclenche ou enraye la dialectique de la demande et du désir. C’est en partie pourquoi ça se répète, et ça rate ; ça fait des scènes, où peut s’aménager, ou non, une relance du désir du sujet, de l’autre et de l’Autre.

L. N. : Oui, chère Michèle, et je me souviens que, dans son commentaire de Barcelone sur le Séminaire V, J.-A. Miller avait fait le choix, pour lire ce séminaire, d’introduire le terme de nouveau, la perspective du nouveau, qui, par le biais du mot d’esprit, est un nouveau dans le dire. Eh bien, la première chose que je me suis dite en lisant cette citation, c’est que Lacan ne fait pas ce choix, du nouveau, en ce qui concerne le rapport au partenaire du couple, puisqu’il semble dire qu’avec le conjoint, l’on en revient toujours à la même chose, à un rapport de nécessaire demande. Nécessité contre contingence dans le couple, là est la question, pourrions-nous dire. Alors, comment s’en sortir ?

Mais aussi, qu’est-ce que cela signifie, « un rapport de demande », dès lors que l’on sait, avec Lacan, que parler, c’est toujours demander ? Est-ce que cela implique que ce rapport de demande soit intrinsèque au rapport au langage, si l’on suit bien la construction du graphe du désir qu’il élabore cette année-là ? Et que donc, pour cesser de demander, il faudrait cesser de parler ? Mais alors, que deviendrait un couple où les conjoints ne se parlent pas ? Et surtout, pourquoi faudrait-il cesser de demander ? Mystère, chère Michèle.

M. E. : Alors, si le rapport au conjoint comporte une demande, toujours la même sous ses variétés ; si elle demande à être poussée jusqu’au bout, comme Lacan le dit, n’est-ce pas que la revendication d’amour qu’elle comporte bute sur un impossible ? Alors on la boucle et la douleur surgit nous dit Lacan à la fin de cette citation. S’agit-il d’accepter la demande qui revient comme une vague parce que son objet ne lui est pas identique ? Dans un en deçà elle pointerait l’héritage de la relation à la mère, dans un au-delà, l’insatisfaction l’articulerait au manque côté désir.

Le revenir tout le temps dans un certain rapport de demande – bien sûr selon la pente structurelle du sujet – revient à indiquer que quel que soit son choix, ça doit en passer par là. Une nécessité pointe donc, qui indique un ne pas pouvoir s’en empêcher, car le signifiant en cause dans la demande comme dans la pulsion (paradoxe d’un dire impossible à dire) suscite le retour, de rater ce qu’il vise. Cette nécessité fait trace du réel de la pulsion. Cet aller-retour entre demande et désir s’enracine dans ce qui s’est joué pour le sujet à l’aube de son existence et de ce qui a fait écho dans le corps, du fait qu’il y a eu un dire.

L. N. : Oui, cela qui ne cesse pas, c’est la définition du symptôme. Cela signifie donc que le partenaire, le vrai partenaire du sujet, c’est toujours son symptôme, que ce avec quoi l’on fait couple, en quelque sorte, c’est avant tout avec son symptôme, comme l’indiquait J.-A. Miller dans sa « Théorie du partenaire » [3]. Et si ce couplage avec le symptôme tient à la demande, qui est elle-même liée à la parole, alors cela implique que c’est avec la langue que l’on fait couple, que la langue serait notre vrai partenaire-symptôme.

Or, Lacan nous a aussi avertis de ceci que, pour lui, la parole, le langage, la langue, cela ne sert pas à la communication, mais cela sert à la jouissance, cette jouissance qui ne va pas vers l’Autre, mais vers l’Un, qui est donc impliquée plutôt dans le rapport du sujet avec son propre inconscient qu’avec son conjoint ! Et c’est ce à quoi Lacan va donner le joli nom de parlêtre. L’être parlant, en quelque sorte ne parle pas pour s’adresser à l’autre, mais pour jouir de la parole : solitude de la jouissance, disait aussi J.-A. Miller sur France Culture en 2005… Cela laisse peu d’espoir au couple donc… Mais quand même, n’y a-t-il pas moyen de dialectiser cela, si l’on se réfère à cette fameuse dialectique de la demande et du désir ?

Si l’on considère qu’une analyse, l’expérience d’une analyse poussée à son terme, permet de sortir des embrouilles avec le partenaire, ou avec son absence, ou au moins, de faire avec d’une façon inventive qui réintroduise un autre rapport au désir, que devient la demande à la fin d’une analyse ? On ne demande plus rien, pulsion silencieuse donc ? …

Qu’en penses-tu, toi, chère amie, de l’articulation de cette solitude avec le rapport au partenaire à la fin d’une analyse, puisque nous avons toutes les deux eu l’occasion de témoigner d’un certain passage, lorsque nous avons fait la passe ? Y a-t-il du nouveau dans l’amour, et aussi dans la solitude ?

M. E. : Si tu veux bien chère Laure, comme tu m’y as invitée, ce bout de témoignage sera une modalité singulière de réponse à ta question : Quand un sujet connaît une succession d’exils, du plus réel qui frappa, au plus imaginaire qui ponctua sa phobie, seul le long travail de l’analyse, par la mise à nu et l’érosion des fictions qu’un célibat-fait-taire, pourra débusquer et dissiper une solitude consistante à deux : la mise à ciel ouvert d’un partenaire fantasmatique enkysté comme objet a. Elle fait passer de cette solitude à celle que confère la chute de l’Autre, et son détachement peut ouvrir à une autre logique. La solitude alors change de fonction, ruine la jouissance de l’impossible appareillage et ouvre sur une autre modalité de l’amour, sans pour autant défaire un style.

D’emblée, c’est avec le couple d’amoureux que formaient ses parents que le sujet a vainement tenté de faire couple. Cette monade qu’ils constituaient était impossible à appareiller, soulignant assurément la solitude sentimentale de cette fille unique, prise dans un nouage œdipien brouillé par des énoncés paradoxaux concernant la vie, la mort, le sexe.

La contingence de naissance de l’enfant fut celle d’une séparation précoce. La marque signifiante qui l’accueillit dans l’existence, fut celle du médecin accoucheur aux parents : ne vous attachez pas à elle, elle ne va probablement pas rester en vie. C’est à cette réponse de l’Autre au Che vuoi ? de l’enfant, que le sujet, resté en vie, s’est articulé. Le ne vous attachez pas à elle fait surgir un des motifs de la vie amoureuse, paradigme de ce qu’il a fallu de détachement en réponse. La bévue du sujet, ce triomphe de vivante sur l’oracle médical, fut redoublée vers un an et demi d’une maladresse, cause du fils mort-né de la mère, disait-on. Événement traumatique pour un père qui n’eut de cesse que d’élever la petite fille selon l’empreinte qu’il visait pour un fils. Un fils qu’il voulait être une tête, un fils de savoir, dont le sujet l’avait privé.

La petite fille consentit à avaler cette couleuvre auprès d’un père qui s’employait à fortifier l’enfant : scènes de table où le couple père-fille passait d’interminables heures à vouloir/pas vouloir le nourrissage, à un je t’aime/moi non plus. Une duplicité croisait leur jouissance singulière : l’un s’obstinait à la substitution, l’autre ne voulait rien savoir ! Mais sous le jeu de la demande de reconnaissance de l’une butant sur le désir fauché de l’autre, se nouaient obscurément l’objet oral et l’objet savoir, couple infernal dans le registre du gavage. Bien sûr épouser le désir cruel du père n’a pas été sans quelques stratégies d’évitement de la fille.

À 18 ans une demande incongrue de faire couple par les voies du mariage fut repoussée. Une fois cette parent-thèse fermée, la vie amoureuse s’est inscrite sous le sceau du non-attachement du sujet, par des ruptures précoces. C’était des amours de formation, comme on le dit du roman, commencements arrêtés avant l’angoisse et la catastrophe imaginée ! Avant qu’une demande soit déboutée et le désir usé. Ainsi les aventures du désir et de l’amour ont scandé les rencontres, dont chacune a réellement comptée. Si le jeune homme était la condition d’amour, la condition du désir requerrait le savoir ; mais un savoir à fonction de Schibboleth, un signe de reconnaissance circulant tel le furet du désir entre les amants, tel un mot d’esprit passant de paroles en curiosités soutenues.

L’impact traumatique qui conduisit le sujet en analyse, déchaînant angoisse et phobie, lui permit de débusquer un compagnon inaperçu jusque là : ce mort-né, revenant de son histoire. Il a fallu le réel de ce coup de foudre du trauma pour qu’un glissement se produise du portrait du père en jeune homme au corps du garçon mort-né qui gisait en phagocyte. Nouage inaperçu de l’objet de la demande et de la cause du désir. Puis, au gré de la traversée du fantasme, ce poids mort ne fit plus couple. Pas sans le surgissement de la lettre inscrite de sa jouissance, ce partenaire hors couple. Par le déchirement d’une image, le vidage de l’objet, le cesse d’une identification au désir du père, le sujet est passé de l’horreur de savoir qui préside toujours à la méconnaissance du réel, au désir de savoir de l’analyste.

L. N. : Quel extraordinaire témoignage, chère Michèle, de la réduction de la demande à un conjoint imaginaire !

Ah ! Le désir de savoir de l’analyste ! Permet-il de mieux s’y retrouver dans ce dédale sur les affaires de couple, et dans la logique entre les hommes et les femmes telle que Lacan a tenté de nous en dessiner les contours ? Lorsqu’il construit son graphe du désir, qui est le chemin du sujet vers l’assomption de sa réalisation, et qui en passe par la demande, par l’Autre, par le désir, par la pulsion et par le fantasme, il nous donne un outil fantastique pour visualiser ce que J.-A. Miller appelle « la considération du langage comme un réel », et le fait que, dit-il, « à l’horizon de tout ce qui se dit, il y a ce qui ne peut pas se dire ». Cette forme de l’impossible évoque l’impossible du rapport sexuel, que je traduirais ainsi : à l’horizon de toute demande, il y a ce qui ne pourra pas se demander. On pense ici à cette définition de l’amour proposée par Lacan en forme de paradoxe : « Je te demande de refuser ce que je t’offre, parce que ce n’est pas ça. » Quel programme pour les conjoints ! Est-ce sagesse ? Est-ce folie ? N’oublions pas que Lacan inscrit le désir dans le décalage, dans la marge entre le message du sujet et l’Autre de la parole – c’est-à-dire de la demande – pour signifier que, toujours, une insatisfaction se profile à l’horizon du désir. Et lorsqu’à la fin de son enseignement, Lacan semble plutôt dire que la parole, celle qui porte la demande du sujet, est en soi un mode de satisfaction, et que c’est elle qui affecte le corps vivant, il annonce l’inévitable malentendu entre les sexes : d’une part en effet, « celui qui parle n’a affaire qu’avec la solitude », et que d’autre part, le vrai partenaire du sujet, c’est son symptôme.

Je travaille depuis longtemps sur la solitude féminine, et j’ai traité du cas d’une patiente qui, au contraire de toi chère Michèle, se trouvait affectée de ce signifiant-maître qui avait régné sur toute sa vie, celui de « fille unique », et qui se plaignait de sa solitude, qu’elle vivait comme un échec de la relation amoureuse. De ce signifiant qui avait été véhiculé dans la langue familiale sur trois générations, elle avait pu en déduire la relation qu’elle avait construite entre cet « être la seule » de sa position d’exception pour ses parents, et un « être seule » dont elle avait fait son symptôme.

La traversée de son analyse lui avait permis de s’extraire de cette apparente nécessité symptomatique, de desserrer ce nœud de nécessaire solitude, et de faire, de son destin, hasard, vers une contingence nouvelle. Mais pour cela, il lui avait fallu s’extraire de la demande pressante de l’Autre auquel, comme enfant unique, elle avait été confrontée.

En particulier, s’extraire aussi d’un amour sans faille et sans limites qu’elle vouait à ses parents et dont elle récoltait, semble-t-il, un incontestable bénéfice narcissique. Ainsi avait-elle saisi qu’au-delà de sa plainte de ne pas savoir faire couple, elle faisait bel et bien couple avec chacun de ses deux parents, qui étaient séparés.

Lacan a démontré que, là où le désir de l’hystérique s’étiole comme une fleur privée d’eau s’il n’y a pas le désir de l’autre pour la réveiller, pour lui donner des couleurs, là où elle va donc tout faire pour obtenir ce témoignage du désir dans l’autre, le sujet obsessionnel, lui, va tout faire pour, comme le formule J.-A. Miller, « ligoter l’autre dans sa demande », pour « lui faire perdre l’attrait de son altérité, de sa valeur-même », jusqu’à ce désir, l’annuler, le détruire… Bref, on le voit, quel extraordinaire labyrinthe que le lien entre les conjoints !

Il ne reste plus qu’à donner à ces symptômes du couple, les belles couleurs rabelaisiennes du sinthome, qui disent mieux, en effet, qu’il est possible de se débrouiller avec cette embrouille, peut-être en inventant une autre langue, ou une autre logique, comme tu le signales. N’est-ce pas cela, le gay sçavoir ? Qu’en penses-tu, chère Michèle, la passe ne constitue-t-elle pas cette voie nouvelle dans le dire, ou chacun reconnaît l’autre comme fils ou fille de la parole, et dans son absolue différence ?

M. E. : Oui, et à partir d’un déplacement du détachement, d’avoir rencontré la demande à sa source pulsionnelle, je dirais que c’est alors l’affaire d’un gay sçavoir ininterrompu qui s’invente, se tisse, de peu de mots, et qu’il y a à tenir ensemble la jouissance féminine qui isole, le reste de jouissance non négativable qui itère comme reste solitaire et le à tout hasard de Lacan qui se prête à l’amour nouveau, qui provient du trou fait par la lettre ; le à tout hasard impliquant l’incomplétude et se prêtant au malentendu de structure, qui attise le désir, hors d’un jointement trop serré à l’Autre de la demande, dans la contingence de la rencontre inédite et cela dans l’après-coup de la passe et du tribut payé à l’A(a)utre.

[1] Duetto lors des 48e Journées de l’ECF, le 16 novembre 2018

[2] Lacan J., Le Séminaire, livre V, Les formations de l’inconscient, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1998, p. 468.

[3] Miller J.-A., « La théorie du partenaire », Quarto, n°77, septembre 2002, p. 6-33.