Lire Lacan, c’est politique !

« Car le désir de lecture, comme tous les autres désirs qui troublent nos pauvres âmes, peut être analysé »

Virginia Woolf

Contrairement aux idées reçues, la lecture de Lacan touche un public de jeunes et de moins jeunes. Les deux. Sans doute parce que lire n’est pas étudier. C’est déchiffrer. Le stylo à la main. Tourner les pages. revenir en arrière. Surligner. Lire. Et relire.

Lire, c’est politique et c’est clinique.

Vivantes, les ACF, incroyablement vivantes. Le désir de lire Lacan en est l’une des preuves. Commencer à lire, puis aimer lire, c’est une aventure sans fin, dont l’énergie vorace fait preuve du vivant.
Les volumes des Ecrits et des Autres Ecrits, les Séminaires édités, les Séminaires numérisés, les articles à trouver, ceux que l’on va débusquer dans les bibliothèques, ceux que l’on trouve sur Internet et que l’on s’échange avec entrain… Autant de matière vivante dont certains se font les messagers et les interprètes. Les générations se croisent et la reconnaissance de l’une pour l’autre est immense.
Dans les Séminaires d’études et les soirées de recherche, en Aquitaine, en Bretagne, en Auvergne ou ailleurs, l’orientation lacanienne se transmet. L’enthousiasme et la joie sont contagieux. A chaque ACF son style, ses modalités de transmission, ses effets de nouveautés et de mobilisation.
Epris de curiosité, désireux de les lire, nous leur avons demandé leurs témoignages.




L’ACF en action

Les membres de l’ACF sont liés par leur transfert à la psychanalyse lacanienne.

Il passe par la lecture des textes de psychanalyse.
Lire Freud, lire Lacan, lire Jacques-Alain Miller oriente notre travail clinique et notre déchiffrage de l’impasse de la civilisation. Lire au plus près, pratiquer une exégèse vise ici à se remettre face au désir de Lacan. Or Lacan n’est pas dogmatique. Vivre en sa compagnie amène à rencontrer soi-même un trou dans le savoir qui pousse à l’élaboration. Le cartel est la formalisation de ce lien social autour de la lecture. Il n’est pas rien que l’École, née d’un acte de Lacan mise sur ce dispositif comme organe de base. Elle en attend une élaboration nouvelle et la mise en branle du désir de ses membres. Voilà pourquoi notre année à l’ACF débute avec la rentrée des cartels.
L’étude prend plusieurs autres formes :
celles des matinées de lecture auxquelles participent plutôt de nouveaux lecteurs de Lacan, invités à le rencontrer cette année dans sa lecture de Freud,
celle des soirées de recherche animées par Michèle Elbaz et Danièle Lacadée-Labro, des lectrices attentives qui nous proposent de participer à leur réveil,
celles d’ateliers de lecture dans les délégations de ville qui prennent le style de celui qui l’anime, pas sans lien avec celui de ceux qui y participent.

Nous lisons et en tirons les conséquences pour que nos lectures ne restent pas lettres mortes. Dans son texte Champ freudien, année zéro, Jacques–Alain Miller nous indique un nouvel enjeu : « que l’enseignement de Lacan s’inscrive à jamais dans l’universel. »
Viser à perforer l’universel implique que l’ACF-Aquitania se tourne résolument vers le monde, sans méconnaitre la pointe autistique de la jouissance à partir de laquelle chacun est appelé à inventer. Voilà qu’il nous faut sortir de nos murs, qui sont d’abord de paroles et aller à la rencontre de l’époque qui ne nous attend pas.
Nous visons les lieux de circulation : des livres en premier lieu, avec des rencontres dans des librairies avec lesquels nous nouons des partenariats fructueux et touchons un public non averti, sans céder sur le tranchant de notre transmission. Les lieux, nous allons aussi à les chercher à partir du désir des uns et des autres : diversité garantie pour ACF mobile !
L’époque s’incarne chez ses acteurs : scientifiques, universitaires, hommes politiques, juristes, enseignants, médecins… La liste n’est pas exhaustive de ceux avec lesquels nous entrons en conversation, dans des one shot ou des ateliers. Les artistes sont des hérétiques, avec lesquels nous désirons entrer en société.

L’enjeu toujours est de s’engager pour une société qui n’asphyxie pas le plus singulier.
C’est pourquoi l’ACF-Aquitania, pour sa journée annuelle, a choisi de travailler sur le thème : Symptômes et styles de vie.
Une « société du symptôme » selon la formule d’Eric Laurent ne va pas sans politique.
La politique lacanienne se fait de paroles et d’actes…Chaque membre de l’ACF est invité à partir de son désir, en-corps, à s’en tenir responsable !

Marie Laurent
Déléguée de l’ACF-Aquitania




Un savoir incandescent

« Comment faire pour enseigner ce qui ne s’enseigne pas ? » Telle est la question pragmatique que nous nous sommes posés à l’ACF-Massif Central pour mettre en place un programme d’activités sur deux ans. Pour y répondre, nous sommes partis de notre conviction que le savoir qui est ici en jeu concerne tout un chacun qui consent à se laisser interroger par ses démons.
Deux Séminaires ont donc été organisés pour transmettre le savoir analytique tel qu’il s’élabore dans l’expérience, à partir de la découverte de l’inconscient par Freud et de l’enseignement de Lacan, de son premier à son tout dernier enseignement : le Séminaire d’étude et le Séminaire des membres de l’ECF. Tout deux sont ouverts au public. C’est là une gageure, un pari aussi bien.
À l’initiative de Jean-Robert Rabanel, AME de l’ECF, le Séminaire d’étude se propose de préparer au prochain Congrès de l’AMP-Barcelone 2018. Il prodigue ainsi un enseignement mensuel sur la psychose, extraordinaire et ordinaire, qui revisite à nouveaux frais l’impasse que rencontre Freud avec ce réel, l’issue qu’en propose Lacan en refondant la psychanalyse à partir de lui, et parcourt le travail d’École initié par Jacques-Alain Miller dès la création de l’ECF. À l’exposé théorique succède la présentation d’une expérience de la psychose par un analyste. Le succès de ce Séminaire n’est pas uniquement dû au transfert suscité par celui qui en est le responsable, mais également au fait qu’il vient rencontrer l’actualité clinique la plus brûlante et répondre à l’indigence conceptuelle des autres discours contemporains pour appréhender la psychose.
Le Séminaire des membres de l’ECF, quant à lui, offre un programme de conférences ouvertes sur la cité sous le titre Pourquoi la psychanalyse aujourd’hui ? Ici, à l’heure où la psychanalyse est attaquée comme jamais – sans doute est-ce là aussi le signe de sa vitalité ? –, des psychanalystes témoignent de la réalité de leur(s) pratique(s) dans toute sa variété et sa singularité, soit une pratique du réel. Au fil du programme, trois AE de l’ECF nous font l’honneur de témoigner du plus vif de ce qu’ils ont extrait de leur propre cure, en le transmettant avec le plus grand tact pour être audible par chacun, sans rien sacrifier à la vulgarisation. Le pari ici aussi s’avère gagnant, d’ouvrir l’accès au discours analytique à un public renouvelé.
Loin de s’opposer ou de se complémenter, ces deux Séminaires se nouent l’un à l’autre dans une adresse vers l’École, entre intension et extension. Le public qui y assiste n’est pas forcément le même, mais on constate qu’il y a une accroche, une fidélisation.
Quel est cet hameçon ? Contrairement au savoir universitaire, le savoir dans le discours analytique ne se quantifie pas, car il n’est pas objectivable. C’est un savoir particulier, en ceci qu’il s’éprouve dans le corps. Il touche, fait mouche, on le ressent à l’intérieur de soi. Ce savoir touche un réel, celui que Lacan a indexé d’une lettre, petit a. En cela, il est un savoir qui réveille, à l’heure où l’endormissement hypnotique est généralisé. Ce réveil prétend même à une visée politique, celle de responsabiliser chaque parlêtre dans sa parole et, partant, dans son acte. Il s’agit donc bien de viser un savoir incandescent qui met en alerte et qui contamine.




Lire Lacan !

Les ACF ont pour missions l’étude de la psychanalyse. Lacan voulait que les ACF aient son école : l’École de la Cause Freudienne. L’École comme sujet : « susceptible de délivrer un savoir à celui qui fait l’effort d’aller à sa rencontre »(1). L’ACF s’inscrit dans la droite ligne de l’ECF, pour rendre accessible l’enseignement de Freud et de Lacan. Jacques-Alain Miller à la suite de Freud et de Lacan, rend sensible la dimension politique de la psychanalyse lacanienne avec le lancement de la Movida Zadig – Champ freudien, Année zéro !
Depuis le démarrage des soirées Lire Lacan à Nantes, qui ont succédé aux soirées d’étude clinique, force est de constater aujourd’hui que l’on n’étudie plus Lacan comme on l’étudiait il y a quelques années. Pourquoi ? La disparition de l’enseignement de la psychanalyse lacanienne à l’université n’y est pas étrangère. J’ai eu la chance de connaître l’enseignement de la psychanalyse à l’université de psychologie dispensée par des membres de l’ECF. Tout naturellement, je me suis engagée dans les soirées d’étude de la psychanalyse via les soirées d’études cliniques de l’ACF de Nantes pour en savoir plus. Un pont permettait de passer d’un lieu à un autre. Aujourd’hui ce n’est plus le cas. Les frontières se sont installées excluant la psychanalyse lacanienne. Là où la psychanalyse lacanienne se voit exclue, décriée, il reste aux ACF d’inventer une nouvelle façon de rendre Lacan accessible à tous.
La psychanalyse lacanienne qui a le souci depuis toujours de s’adapter à son temps ne cesse de se réinventer, de rendre accessible la psychanalyse à chaque UN. Un constat : Un public nouveau, des étudiants, des analysants, des professionnels, viennent aux soirées Lire Lacan découvrir un autre visage de la psychanalyse que celui relayé par le discours universitaire.
Un principe : lire Lacan à partir d’un concept que l’on met au travail. Il s’agit de rendre sensible la façon dont Lacan se pose des questions cliniques, et les réponses qu’il apporte tout au long de son enseignement. Chaque participant est invité à s’inscrire en cartel pour apporter sa lecture du texte par une courte intervention. Puis un enseignement, au plus près de chacun, est dispensé afin de rendre accessible Lacan à tous, dans un souci d’éclairer les questions que chacun se pose.
Pourquoi « Lire » ? Lire, ce n’est pas étudier. Ce terme « étudier » relève du discours universitaire. Il s’agit de délivrer un savoir, non pas mortifère, mais vivant, où l’on valorisera un savoir nouveau quand bien même s’agira-t-il d’un tout petit détail. Lire, c’est déchiffrer, comme on déchiffre un symptôme, comme on lit les formations de l’inconscient. Ce goût du déchiffrage nous est insufflé par l’expérience analytique. Pour cela nous prendrons la voie frayée par J.-A. Miller, qu’il nomme la « vertu cardinale dans la recherche analytique »(2) : la précision. Proscrire le flou, le vague. Rassurez-vous, J.-A. Miller note que nous butons toujours sur de l’imprécision, mais il ajoute qu’on ne fait pas alliance avec elle, on se bat contre elle. En psychanalyse la vertu de la précision se situe dans le souci du détail, invitant à tendre toujours vers le bien-dire. C’est pourquoi Lacan nous apprend à cerner ce qui échappe, à le cerner chaque fois de plus près, car notre pratique a affaire a ce qui échappe. Nous en approcher dans une approximation de plus en plus fine – c’est cela le mouvement à suivre. Le détail s’apparente à une trouvaille. Ce qui va de pair avec le nouveau. Lacan avait horreur de la répétition qui est pour lui l’équivalent de l’ennui. Il a toujours été animé par le nouveau. C’est ce chemin que nous tâchons de suivre pour nos soirées Lire Lacan. Chacun sort de ces soirées avec un savoir nouveau ouvrant vers un désir d’en savoir plus. C’est un savoir qui vise notre propre humanité, touche un savoir inconscient, oriente la clinique. Il n’y a pas un passage de Lacan qui n’est pas clinique. Lire Lacan est une tâche ardue, elle peut être décourageante, déroutante, mais toujours percutante. Pour le lire, nous avons la chance d’avoir le déchiffrage de J.-A. Miller – celui que Lacan a désigné comme celui qui sait le lire(3). Lire, ce n’est pas comprendre. Savoir lire est une surprise, un éclair. J.-A. Miller est animé par le souci de rendre lisible la lecture obscure de Lacan afin d’en dévoiler son précieux, ce qui fait son tranchant, et son mordant. Alors soyons mordus !

En référence aux Soirées Lire Lacan mit en place en Octobre 2015 par le bureau de l’ACF Nantes. 9 soirées sont programmées jusqu’à Juin. Chaque première soirée est introduite par Jean-Louis Gault qui supervise ces soirées par « Lire Lacan avec Jacques-Alain Miller ». Programme : 2015-2016 – La conception du corps parlant chez Lacan. 2016-2107 – Lacan et l’amour. 2017-2018 – Lacan et son concept de désir. Soirées animées par Fouzia Taouzari.

1 J.A. MILLER, Politique lacanienne, 1997-1998, Rue Huyssmans, collection éditée par l’ECF, 2001, p. 25.

2 J.A. MILLER, « Le désir de certitude. Descartes et l’ordre des raisons » p.55, La Cause du désir, N°90, « À qui se fier » Navarin éditeur, 2015, p. 54-64.

3 J. LACAN, « Télévision », Autres écrits, p. 509 : « celui qui m’interroge sait aussi me lire ». En référence aux questions que J.-A. Miller a posées à Lacan pour Télévision et des annotations rédigées en marge du texte.