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Pas de mère sans enfant

Alors que les J44, qui nous tinrent en haleine des mois durant, viennent tout juste de s’achever, un autre grand événement se profile : la 3e Journée d’étude de l’Institut de l’Enfant-UPJL, le 21 mars prochain.

Son thème « Interpréter l’enfant » est une question chère aux psychanalystes et elle ne va pas de soi. Qu’est-ce qu’une interprétation ? Comment et sur quoi interprète-t-on ? Quel usage particulier de l’interprétation pouvons-nous faire avec l’enfant ?

Jacques-Alain Miller, dans son texte d’orientation pour la JIE, nous invite à prendre des initiatives avec l’enfant, plus encore qu’avec l’adulte, des initiatives qui ne se limitent pas à l’interprétation sur le modèle du déchiffrement. Il utilise l’expression « post-interprétative »[1], pour qualifier notre pratique interprétative. L’âge de l’interprétation prenant appui sur la signification est bel et bien révolu.

Quelles seront les initiatives de l’analyste et les interprétations « post-interprétatives » ? Comment vont-elles opérer ?

Autant de questions qui seront mises au travail lors de cette rencontre de l’IE et dont nous souhaitons proposer un avant-goût aux lecteurs de L’Hebdo-Blog.

Pour ce premier numéro du dossier, Daniel Roy, directeur de la Journée, nous ouvre les coulisses de l’événement à venir.

Puis cinq auteurs, responsables de la Journée et membres du Comité d’initiative de l’Institut de l’Enfant, se succèderont, semaine après semaine, pour commenter une occurrence de leur choix sur l’interprétation.

[1] Miller J.-A., « L’interprétation à l’envers », La Cause freudienne, n°32, Paris, Navarin/Seuil, février 1996.

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Taquiner la girafe

Dès la première Journée de l’Institut de l’Enfant-UPJL, en 2011, nous avons sollicité pour nos affiches et autre matériel, grâce à Gaëlle Prosperi notre graphiste, des dessinateurs (trices) de bandes dessinées formé(e)s à l’EESI (École européenne supérieure de l’image) d’Angoulême. Cette année, Natacha Sicaud a bien voulu s’affronter à ce challenge d’illustrer notre thème « Interpréter l’enfant ». C’est elle qui, après quelques essais, nous a proposé un « visuel » basé sur le jeu du taquin : voilà qui nous allait comme un gant ! Et nous sommes partis sur cette idée, avec l’appoint d’une petite girafe, bien sûr, et de quelques monstres qui passaient par là.

Le jeu du taquin est une référence qui revient à plusieurs reprises dans l’enseignement de Lacan. Il est bien fait, avec sa « case vide », pour donner sur la place du manque dans la structure psychique une perspective dynamique. La production de cette place est en effet un enjeu majeur pour que le sujet-infans trouve à se loger : la case vide lui fait accueil, mais accueil mouvant, tel le train du petit Hans qui risque de l’embarquer. C’est ici la place du désir qui fait du sujet un sujet toujours déplacé. Cette extraction du sujet est l’un des enjeux de l’interprétation dans la cure avec un enfant : c’est une des fonctions que Jacques-Alain Miller lui assigne dans son texte d’orientation de la Journée.

Mais par ailleurs, la petite girafe et les petits monstres sont là pour rappeler que cette place est à tout moment disputée par les objets qui se bousculent pour jouer leur partie – objets partiels et partiaux qui n’en font qu’à leur tête ! Là, plus question de la sécurité d’une place symbolique, même itinérante, c’est la bousculade, chacun veut des miettes du gâteau… et c’est en imposteur qu’apparaîtra qui voudrait y mettre de l’ordre. Une voie s’ébauche pourtant : que le sujet vienne soutenir sa position face à ces bouts de jouissance. Se faire boulotter, se faire chier, se faire jeter, se faire voir, se faire entendre : toutes occurrences de la pulsion à monter sur la scène des cures d’enfants, autant d’occasions à saisir par l’analyste pour accompagner ptitom dans ces tours et ces détours. Trois petits tours, ou plus, et l’objet se détache pour aller se faire façonner ailleurs, créant ici un lieu vide qui pourra se nouer au manque du sujet qui parle.

Très tôt, avec Mélanie Klein, avec Anna Freud également, le jeu de l’enfant est apparu comme l’effectuation de la somme de ces deux processus – distribution des places, insurrection des objets – donnant déjà l’idée très précise d’un inconscient « en acte ». Lacan lui aussi interprète l’enfant dans son commentaire du rêve de la petite Anna Freud, qui noue ensemble l’objet marqué par l’interdit de l’Autre – « flan, fraise, grosse fraise » – et le sujet Anna pris dans la série. Nous en prenons de la graine pour saisir comment c’est l’initiative de l’analyste qui fait exister cet inconscient pour l’enfant. Interpréter l’enfant, nous pouvons donc ici l’entendre comme le pas dans l’inconnu que fait un analyste pour susciter chez un enfant un goût pour l’effet de castration inclus dans la série des signifiants pris au sérieux et un appétit nouveau pour le plus-de-jouir, le sien, reste de l’objet pulsionnel perdu.

Qu’est-ce qui l’y autorise ? Rien d’autre que ce qu’il sait du symptôme, de par son analyse : étrange chimère faite de signifiants en souffrance et de jouissance en peine d’être perdue, valeur sûre « qui n’attend pas l’âge des années » !

Ce jour-là, le 21 mars 2015, des invités viendront converser avec nous sur ce que l’enfant du siècle peut attendre d’un analyste, des collègues feront part de moments-clefs où, dans une cure, ça interprète ; d’autres encore mettront en valeur les initiatives qui, soudain, permettent à un intervenant d’entendre ce que dit un enfant ou à un enfant d’expérimenter d’autres usages du monde, des autres, et fondamentalement de la langue et de la lettre.

La Journée, comme les précédentes, se construit à partir des propositions que la commission d’organisation reçoit[1]. Work in progress autour du Comité d’initiative de l’Institut de l’Enfant et de Claudine Valette-Damase, Laurent Dupont et Bruno de Halleux, responsables de la Journée.

[1] Les propositions d’interventions sont attendues pour le 22 décembre au plus tard. 5000 signes, espaces compris. Tous les renseignements sont sur le blog : http://jie2015.wordpress.com

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Les Mille et Un mots

L’Hebdo-Blog a souhaité entrer dans le cœur du bel ouvrage collectif dirigé et introduit par Christiane Alberti : ÊTRE MÈRE – Des femmes psychanalystes parlent de la maternité[1]. Plusieurs d’entre nous se sont adressés aux auteures pour leur poser une question. À l’instar du sultan Shahryar, comment ne pas en demander encore, et encore, à Shéhérazade, pour connaître la fin de l’histoire des mères, toujours recommencées ?

[1] ÊTRE MÈRE – Des femmes psychanalystes parlent de la maternité, sous la direction de Christiane Alberti, Paris, Navarin – Le Champ freudien, novembre 2014.

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« Maternité Blues » : question à Esthela Solano-Suarez

L’Hebdo-Blog – Vous soulignez dans votre texte l’importance d’un « ravissement ravageant » qui peut affecter l’être mère post-moderne. Ces deux termes sont employés par Jacques Lacan pour désigner chez certaines femmes les effets que produit chez elles la rencontre amoureuse avec un homme. Or, pour vous, ces deux effets ravissement et ravage peuvent se conjuguer dans un « ravissement ravageant » chez une femme, non dans la rencontre avec un homme mais chez une mère à la naissance de son enfant. Comment expliquez-vous que ces mêmes effets que vous rassemblez dans une unique notion, le « ravissement ravageant », surgissent chez une femme quand, du fait d’être mère, elle est confrontée, non pas à un homme dont elle tombe amoureuse, mais à son propre enfant ?

Esthela Solano-Suarez – Mon propos a été d’étudier les phénomènes qui se font jour pendant la grossesse ou après l’accouchement, lesquels mettent en évidence une souffrance illimitée, une perte de repères aussi bien que l’impossibilité d’en parler, entre autres. N’est-il pas étonnant que l’arrivée « d’un heureux événement » provoque chez certaines femmes une telle expérience d’indicible douleur ?

Pour ne pas tomber dans les travers des catégories universelles concernant la maternité, je me suis proposé de suivre à la lettre les témoignages des femmes, en analyse ou pas, se risquant à dire ou à écrire pour rendre compte d’une expérience intérieure aussi incompréhensible que bouleversante. Une par une, elles démontrent que la maternité ne répond à aucun critère soumis à des lois biologiques ou instinctuelles. Elles témoignent que l’amour maternel n’est pas programmé, que la rencontre avec l’enfant et la réponse à ses sollicitations sont sans loi, puisque sans « mode d’emploi », soumises aux aléas de la contingence. Dans ce sens, elles indiquent qu’aucune ne possède un savoir là-dessus, que, si elles arrivent à un savoir-y-faire, cela ne les assure pour autant d’aucune permanence ; elles peuvent réussir à se débrouiller avec l’un de ces enfants et pas avec un autre, donc, à elles de s’inventer, à chaque fois, une modalité singulière « d’être mère », et cela pour chaque enfant.

Elles expriment, dès lors, que l’expérience de maternité chez les femmes  parlêtres joue sa partie avec le réel.

J’ai découvert alors, à mon grand étonnement, qu’elles faisaient un effort pour dire une expérience de jouissance faisant venir au premier plan le rapport au corps propre. Selon de nombreux témoignages, la consistance imaginaire du corps peut se trouver mise à mal après l’accouchement, faisant place à des phénomènes de dissolution de l’unité de l’image, voire du moi. Dans certains cas, les plus aigus, l’accouchement est vécu comme produisant un effet de trou réel, d’où l’insupportable mise à nu du corps comme sac troué. Bref, le corps devient le siège d’une série de phénomènes de corps. Affecté, le corps se jouit d’une douleur qui se conjugue dans un se douloir sans limites. Elles se disent alors expulsées, en dehors d’elles-mêmes, absentes, aspirées par un vide, par un trou. En conséquence, elles cherchent des noms pour qualifier ces états, en dehors des catégories psychiatriques conventionnelles.

À partir de ces témoignages où s’exprime un véritable effort pour dire tout, en déplorant de ne pas trouver les mots adéquats pour mieux cerner ce mystère, j’ai entendu dire une expérience de ravissement et aussi de ravage, puisque englouties et déportées d’elles-mêmes, ces femmes qui se trouvent aux prises avec une jouissance folle, énigmatique, sans limites, souffrent de ce qui vient faire objection à « l’être mère », décerné par le langage. Cette jouissance réelle, elle ex-siste à l’élucubration de savoir propre au langage et aux formations de l’inconscient.

Elles pâtissent du réel en jeu dans l’expérience de maternité. Réel du corps parlant [1] –recouvert par la fiction de la Mater Gloriosa – en tant que réel du sexuel, réel de l’inconscient, qui fait des parlêtres des désabonnés du programme instinctuel.

Lacan, qui en mettant à jour le propre de la jouissance féminine, nous a permis de concevoir qu’elle répond à une logique pas toute phallique, nous ouvre la voie pour concevoir une jouissance qui, se dérobant à ce qui de la jouissance de la parole prend le sens du sexuel, relève du hors sens. C’est la source du reproche que la fille adresse à la mère, attendant de celle-ci « comme femme plus de substance que de son père »[2] ; d’où le ravage.

L’enfant partenaire convoque l’appel de l’amour. Heureux le cas où il va incarner le sublime de la maternité « à son croisement avec le narcissisme »[3] de la mère. C’est le cas de l’enfant escabeau faisant briller chez la mère le Bien, le Vrai et le Beau[4] de son être.

Dans les cas étudiés, l’enfant présentifie, par contre, la rencontre avec le signifiant qui manque dans l’Autre, place d’où il se vocifère que La mère, tout comme La femme, n’existe pas. En revanche, la jouissance hors sens, elle, ex-siste, faisant une femme, dans la rencontre avec un homme, partenaire de sa solitude.

[1] Miller J.-A., « L’inconscient et le corps parlant », La Cause du désir, Paris, Navarin Editeur, n° 88, p. 113. [2] Lacan J., « L’étourdit », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 465. [3] Miller J.-A., op.cit., p. 110. [4] Ibid., p. 111.

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« Maman solo » : questions à Rose-Paule Vinciguerra

L’Hebdo-Blog Pourquoi ce titre « Maman solo » ?

Rose-Paule Vinciguerra  C’est le titre qui m’a été proposé au départ et je pensais le remplacer par celui de Mère célibataire mais je me suis rendu compte que cette formulation était juridique et que le syntagme «  maman solo », issu des réseaux sociaux, rendait mieux compte de ce qu’était la vie de ces mères. Car ces femmes ne sont pas sans partenaire, qu’il soit ou non le père de l’enfant mais c’est dans le rapport à l’enfant qu’elles se sentent ou se veulent seules.

L’H-B – Tu fais valoir la séparation entre les formes juridiques et socio-économiques des mères célibataires et la position d’une maman solo, dans le rapport de celle-ci à sa propre castration. Et tu dis qu’une femme mariée peut être en position de maman solo. C’est une proposition inattendue.

R.-P. V. – Oui, cela aussi m’est apparu après-coup comme une évidence. Le père dont la parole ne compte pas ou le père réduit à payer ne viennent parfois en rien donner sens au rapport d’une femme mariée à l’enfant qui, plus-de-jouir dans son fantasme, la comble et l’angoisse. Malgré le maintien des apparences, celle-ci est seule avec sa jouissance. Et l’enfant se retrouve fétichisé ou décevant, fermant la question que la féminité pose à sa mère.

LH-B – Pourquoi La femme, si elle existait, serait-elle la mère, comme tu le dis page 97 ?

R.-P. V. – Qu’est-ce qui permettrait de supposer La femme ? C’est qu’elle soit, comme Dieu, à l’origine de toute création et même « pondeuse », comme le dit Lacan. Il y a bien le mythe d’Ève mais au fond, ajoute-t-il, « il n’y a que des pondeuses particulières ». Ainsi, la lignée des mères est-elle innombrable et une femme qui engendre est-elle, à cet égard, toujours « entre ».

L’H-B – Tu dis à la fin qu’une mère célibataire n’a ni plus ni moins de chances que les autres d’être « symptraumatique » pour son enfant. Cela va contre les slogans des mouvements d’opinion qui déferlent dans les rues. Comment justifier cela ?

R.-P. V. – La famille conjugale n’a jamais épargné la névrose aux enfants. À cet égard, l’absence physique d’un père peut être moins nocive pour un enfant qu’un père paranoïaque qui veut partager l’enfant en deux comme la fausse mère du jugement de Salomon ou à l’inverse un père dont le désir pour l’enfant est anonyme. Aujourd’hui, c’est autour de l’enfant objet de jouissance, que se noue le réel des familles. Et c’est une nomination dont un père n’incarne qu’un cas particulier de façon de faire, qui permet à un enfant d’être « adopté » et de ne pas être pris dans un « nommé à » par la mère toute seule.

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Une âmoureuse de l’amour

Une âmoureuse de l’amour

Enora est une jeune fille de dix-sept ans que je rencontre depuis deux mois. Elle se plaint d’emblée des « embrouilles » avec l’Autre – ses parents, ses amies, les garçons. Un « j’écoute, je donne et je n’ai rien en retour » se dégage.

Un désir voilé

Elle dit être souvent en conflit avec sa mère avec qui elle vit seule depuis la séparation du couple parental alors qu’elle était âgée de quatre ans. Elle lui reproche de « la prendre pour une adulte » quand elle lui confie notamment ses problèmes financiers l’ayant conduite au surendettement.

Enora rapporte avoir écourté son séjour cet été chez son père car elle n’a pas supporté qu’il exerce « son autorité » en lui interdisant de visionner une série de télé-réalité, Secret Story. Elle déplore par ailleurs qu’il ne se préoccupe pas d’elle. Sa demande d’amour insatisfaite, elle décide de couper le contact.

Depuis cette rupture, Enora est « déprimée ». Elle rompt également tout lien social en ne sortant plus de chez elle. Elle passe beaucoup de temps à surfer sur le net ; elle suit la vie des people, elle enchaîne les séries où se produisent ses acteurs préférés. Elle se plaint de « ne pas se bouger ». J’interviens pour lui dire que l’injonction surmoïque paternelle : « Il faut que tu te bouges ! » la paralyse et je conclus : « Votre désir reste en rade ». Surprise, Enora pleure et acquiesce : « C’est tout à fait ça ! ».

Faire usage de son symptôme

Cette troisième séance modifie radicalement sa position subjective.

Elle engage alors son désir en décidant d’investir son année de terminale bac pro « styliste » pour devenir « créatrice de mode ». Elle choisit deux lieux de stages qui l’intéressent afin de développer ses compétences professionnelles. Fashion victim, Enora s’inspire également de sites de mode et de de blogs « tendances » pour acquérir un savoir-faire.

En séance, elle me fait part de ses trouvailles. Internet devient ainsi « une boussole »1, un objet d’échange vivant.

Elle s’en sert également pour modeler son image corporelle. En choisissant une coiffure plus sophistiquée, elle cherche à s’identifier à son idéal féminin, les pin-up, icônes des années cinquante.

Être celle qui fait exception

Enora privilégie les liens virtuels : elle se rebranche sur les objets de communication contemporains. Elle dialogue en ligne sur twitter, elle tchate sur facebook, elle textote sur son portable.

Et elle parle en séance de son usage des réseaux sociaux. Elle rapporte avoir relancé un garçon en lui écrivant un message sur facebook : « Ça me ferait plaisir de te revoir ». A onze ans, elle aimait éperdument Farid, mais celui-ci la repoussait.

Elle raconte ce rêve produit à treize ans qu’elle interprète comme la fin de son amour pour lui : « Je prends un bain avec Farid, je lui frotte le dos et je me rends compte qu’on est frère et sœur. » Ce rêve semble indiquer davantage qu’Enora est en prise directe avec l’image. Son désir passe par un amour idéalisé, décorporisé.

Le désamour la victimise. En effet, elle se dit « effondrée » lorsqu’un ancien lycéen qui lui plaît refuse d’être ami avec elle sur facebook. La formule qu’elle énonce alors : « j’aurais voulu être celle qui fait exception » laisse apparaître les coordonnées de son mode de jouir. Enora est une jeune femme moderne « amoureuse de l’amour » qui veut être aimée afin de faire exister son être2. L’âme, indique, Lacan relie l’amour et l’être : « […] les femmes sont aussi âmoureuses, c’est-à-dire qu’elles âment l’âme»3.

Faire avec l’abandon

Dernièrement, Enora me livre une pensée qui l’a « choquée », apparue au moment où elle se photographiait : « Je suis narcissique, dans le bon sens quand même ». Elle me lit une définition du narcissisme qu’elle a au préalable trouvée sur internet et elle conclut : « Je ne suis pas assez aimée et j’ai peur de l’abandon. » Elle associe avec un souvenir d’enfance traumatique, un sentiment d’abandon éprouvé lors du départ de son père de la maison familiale. Ce retour du refoulé a un effet d’ouverture de l’inconscient : « J’avais pas pensé que c’est pour ça que je veux être aimée ».

Enora parvient alors à se décaler de sa position de victime. Elle envisage à l’avenir une relation amoureuse moins ravageante en assumant vouloir ce qu’elle désire, être aimée sans forçage et avec réciprocité.

Elle décide aussi en séance de décliner l’invitation à boire un verre, postée sur facebook, par un ami de son grand frère qui la laisse indifférente. Elle l’éconduit toutefois en restant « correcte », aimable, afin de ne pas se faire rejeter. Elle trouve ainsi dorénavant des semblants qui régulent son rapport à l’Autre sexe.

Prendre la parole lui permet ainsi non seulement de réinventer sa place dans l’Autre, mais également de se dégager des relations conflictuelles avec son entourage.

1 Miller J.-A., « Une fantaisie », IV Congrès de l’AMP, Comandatuba, Bahia, Brésil, 2004. 2 La femme exige d'être aimée, c'est pourquoi Jacques Lacan évoque « la forme érotomaniaque de l'amour », in « Propos directifs pour un Congrès sur la sexualité féminine », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p.733. 3 Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, Paris, Seuil, 1975, p. 79.

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Ça n’passe pas ! …mais ça insiste

LACF IDF organise son colloque annuel le samedi 13 décembre 2014 à Bourg-la-Reine (92)[1] avec la participation de lACF CAPA et de Serge Cottet, Fil Rouge de la Journée. Des psychologues, des psychiatres, des psychanalystes, des enseignants, mais aussi un artiste peintre, un cinéaste, un directeur de théâtre exposeront sous le titre : « Ça npasse pas ! mais ça insiste ». Ce thème est issu des travaux des ateliers franciliens.

Charles-Henri Crochet nous en donne ici un avant-goût, en forme d'argument.

Un grain de sable coince les aiguillages, apparemment bien huilés, du discours de la science allié au discours capitaliste. Corps et âme, l’être parlant s’échine, avec « patience et courage »[2], à « supporter ce qui n’passe pas »[3] et à affronter l'intolérable de son monde. Quelle est cette aspérité qui l’achoppe ? Un petit détail, parfois, ébranle son train-train quotidien ou déséquilibre toute velléité d’harmonie. Une faille inhérente, une béance structurale, signent sa singularité. Parce qu’il parle, le vivant est aux prises avec ce que le signifiant implique d’insupportable pour chacun. Dans cette faille Lacan note une oscillation[4], une vacillation : « entre la cause et ce qu’elle affecte » ça n’colle pas. Bien au contraire, ça défaille, ça rate et ça trébuche. Lacan y loge l’inconscient freudien. Et de rajouter : « ce qui se produit dans cette béance, au sens plein du terme se produire, se présente comme la trouvaille, […] la surprise, […] ce par quoi le sujet se sent dépassé »[5], mais qu’il attendait. Cette solution singulière est « retrouvaille [et] toujours prête à se dérober à nouveau, instaurant la dimension de la perte »[6], du manque fondamental. L’absence ici n’est pas le fond de l’affaire. C’est la rupture qui ouvre la voie à l’absence « comme le cri non pas se profile sur fond de silence, mais au contraire le fait surgir comme silence »[7]. Notre civilisation nous promet de résorber l’inassimilable, de gérer l’impossible, de suturer la faille. Elle tente de plaquer à chaque problème une solution clef en main, uniformisante. La rencontre du langage et du corps ne produit nulle homéostase, mais plutôt une marque indélébile et unique chez chaque sujet. Le défaut de satisfaction de la pulsion chez l’être parlant est irrésorbable. Le train de la vie est une « chaîne […] de destin et d’inertie, de coups de dés et de stupeur, de faux succès et de rencontres méconnues, [qui] fait le texte d’une vie humaine »[8]. Là où ça s’enraye, « la psychanalyse peut permettre que ça puisse rater de la bonne façon »[9], au plus proche de ce qui fait la singularité du sujet. À partir de ce qui n’passe pas, à partir des failles manifestées par les formations de l’inconscient, à partir de l’angoisse qui fait signe du réel, nous entendrons comment le parlêtre peut s’en saisir pour en faire autre chose. Comment en « [cessant] de croire à son symptôme, […] le sujet a chance de pouvoir s’en servir »[10]. Comment l’humus humain du XXIe siècle peut s’ouvrir à l’invention, à la création. Comment peut résonner la fonction de l’impossible dans le malaise contemporain. [1] Samedi 13 décembre 2014 - 9 h à 18 h - Salle Agoreine - 63bis, boulevard du Maréchal-Joffre - Bourg-la-Reine (92) – à deux pas du RER B, station Bourg-la-Reine – Réservation recommandée Blog : acfidf.org [2] Lacan J., Le Séminaire, livre xx, Encore, Paris, Seuil, 1975, p. 78. [3] Miller J.-A., El hueso de un análisis, Buenos Aires, Tres Haches, 1998, p.73. [4] Lacan J., Le Séminaire, livre xi, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1973, p. 25. [5] Ibid., p 27. [6] Ibid. [7] Ibid., p 28. [8] Lacan J., « Propos sur la causalité psychique », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 159. [9] Miller J.-A., « Vers PIPOL 4 », 37es Journées de l’ECF, Paris, 12 octobre 2008, inédit. [10] Miller J.-A., Présentation du congrès AMP 2006, « Le nom-du-père, s’en passer, s’en servir », 33es Journées de l’ECF, Paris, 2004, inédit.

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