Hebdo Blog : L’année zéro du Champ freudien a impulsé un renouveau de l’organisation des enseignements de la Section clinique-Paris-île-de-France et de leur présentation. Quel est ce nouveau et en quoi les jeunes cliniciens peuvent se sentir concernés ?
Jean-Daniel Matet : Quand il n’est pas un ouragan, Éole renouvelle l’air de la maison. C’est aussi la fonction de l’interprétation dans une analyse de redistribuer les cartes de la vie pulsionnelle de l’analysant. La Section clinique a été ouverte par Lacan il y a quarante ans. Elle a formé beaucoup d’entre nous qui y avons trouvé l’enthousiasme d’un monde clinique à construire, celui de la psychanalyse lacanienne.
Cela fait trente ans que Jacques-Alain Miller a créé des Sections cliniques en Europe et vingt ans que la Section clinique-PIDF a été créée. Son ambition reste celle de transmettre une clinique actualisée et d’une reconquête permanente de ses références dans l’œuvre de Freud et dans l’enseignement de Lacan. La clinique elle-même change dans sa forme, celle des symptômes et de la réaction qu’ils suscitent dans tel ou tel ensemble social. La psychiatrie réagit en inventant sans cesse de nouvelles catégories que nous ne devons pas ignorer, les politiques sanitaires contestent de plus en plus les psychothérapies par la parole pour privilégier l’éducation à la place du soin y compris dans les hôpitaux psychiatriques. La psychanalyse tient compte de ces évolutions mais ne les épouse pas. Elle garde une approche du « hors norme » sans le catégoriser contrairement au procès qui lui est fait de temps à autres, par le plus singulier de chaque cas. La remise à zéro du Champ freudien a été l’occasion de revoir nos dispositifs et nous voyons qu’il s’agit d’une grande chance pour les enseignants comme pour les participants de considérer nos routines et de s’en extraire.
La section clinique Paris-Ile-de-France souffrait d’un certain éparpillement de ses enseignements et résistait à regrouper enseignements, enseignants et participants dans une seule journée de travail mensuelle. L’établissement psychiatrique de Ville-Evrard a accepté de nous accueillir, par l’entremise des collègues qui y ont su y faire valoir les bénéfices de notre orientation de travail, et s’ouvre dés lors, aux portes de Paris, une expérience nouvelle pour notre Section. « Comment s’orienter dans la clinique ? » est le thème commun à Uforca cette année que nous déclinerons de cette façon au cours d’un journée-pivot : une présentation le matin, assurée par Dominique Laurent, François Leguil et Yves-Claude Stavy, sera suivie d’un séance d’élucidation de cas de la pratique de participants puis du cours portant cette année sur « les formes contemporaines des délires ». J’ai sollicité Philippe Bénichou, Laurent Dupont et Anaëlle Lebovits-Quenehen pour qu’ils participent, avec leur dynamisme, à cet enseignement avec les autres intervenants de la section. La brochure largement diffusée sous forme papier, sous forme numérique, le site fournissent toutes les informations pour s’inscrire. Trois autres présentations se poursuivent ainsi que deux séminaires sur des cas exposés.
Nous attendons des jeunes cliniciens qu’ils viennent compléter leur formation, la mettre en forme en forgeant avec nous les armes d’une clinique psychanalytique toujours plus acérées dans une période où le traitement humaniste de la folie, des symptômes, subit un recul inédit. La clinique psychanalytique, d’être éclairée de l’expérience du traitement de ses propres symptômes, reste la réponse adéquate aux impasses du discours du maître.
Hebdo Blog : Une après-midi de travail est organisée le 7 octobre dont le thème est « la dépression- signal d’alarme ? Trouble de l’humeur ? Affect ? » Vous interrogez des catégories qui réfèrent à des approches cliniques bien différentes. Quelle boussole doit orienter le clinicien selon vous ?
Jean-Daniel Matet : Cette après-midi dont la préparation est assurée par Beatriz Vindret se présente depuis plusieurs années comme une conversation clinique. Les cas préparés avec soin sont distribués aux inscrits qui peuvent ainsi prendre part au débat sur leur lecture. La dépression nous est apparue comme le signifiant à tout faire de pratiques qui couvrent un vaste champ clinique dans lequel beaucoup de praticiens sont déboussolés. Pour le patient c’est le signe de ce qui ne va plus, d’une inhibition chronique, au burn-out ou un laisser tomber. C’est aussi bien le signal d’un désir en berne que celui d’une rupture radicale d’un élan vital ou d’un lien social. La réponse médicale, du côté d’une série limitée de psychotropes, est aujourd’hui désabusée laissant les « déprimés » dans un désarroi plus grand encore. C’est dans ces conditions que le psychanalyste peut les rencontrer et il y va de sa responsabilité de leur donner une réponse à la hauteur de ce qu’engage ce signal. Les catégories ne sont plus un refuge diagnostique, mais l’écho donné par Lacan à la douleur morale, à la lâcheté, sont des instruments d’une grande utilité pour s’orienter devant la menace ou le risque d’un passage à l’acte.
Hebdo Blog : Le choix de ce thème est particulièrement en phase avec une époque où les Uns tout seuls s’adressent souvent au psy, accablés par des syndromes dépressifs. Diriez vous que la dépression signale un débranchement d’avec le discours et donc d’avec le lien social ?
Jean-Daniel Matet : L’acte de l’analyste doit être proportionné à l’appareillage symbolique dont le sujet dispose et ceci est particulièrement vrai face à un ou une déprimé. S’abstenir peut être une tentation, risquer une intervention doit accompagner la prise en compte des assises du sujet. Ceci exige du praticien une sensibilité à l’état du lien social dans l’endroit où il vit. L’appréciation du poids des traditions, de la vie familiale, des pousses au jouir divers de la ville contemporaine, donne une idée de l’étoffe dont le sujet se soutient. Les consommateurs effrénés des réseaux sociaux, des sites de rencontre, du tout numérique croient avoir accès imaginairement à toutes les réalités du monde et se faire héroïne ou héros des plus grandes histoires d’amour comme des plus grandes réussites économiques ou sociales, voire s’identifier au grand criminel. Mais c’est comme les jeux de hasard, quelques-uns gagnent et font jouer le plus grand nombre qui continue à perdre. Les corps se retrouvent rarement dans ces échanges, même s’ils y prétendent, et malgré les tentatives de faire exister des rencontres collectives (tel site de rencontre propose des soirées autour d’un verre), la solitude des Uns domine, peinant à faire lien social, et se présentant sous le masque de la dépression ou du délire. La clinique des discours élaborée par Lacan, complétée de son usage des nœuds, telle que Jacques-Alain Miller l’a très largement développé dans son Cours sont des ressources de doctrine pour approcher ce qui reste noué, ou ne l’est plus chez tel ou tel, comme le débranchement, formulation produite dans le cadre du travail des sections cliniques, donnant ainsi le sens d’un renouvellement constant du discours clinique que nous devons soutenir.