Imre Kertész : une écriture de fiction, pour survivre.

Produit de travail d’un cartel en cours, ce texte résulte de l’immersion de Michèle Bardelli dans l’œuvre écrite d’Imre Kertész commencée avant le cartel et qui se poursuit. Il met en évidence la fonction singulière de l’écriture dans l’impossible transmission du réel unique de la Shoah.
 

« Il n’y a aucune absurdité qu’on ne puisse vivre tout naturellement, et sur ma route, je le sais déjà, me guette, comme un piège incontournable, le bonheur. Puisque là-bas aussi, parmi les cheminées, dans les intervalles de la souffrance, il y avait quelque chose qui ressemblait au bonheur. […] Tout le monde me pose des questions à propos des vicissitudes, des “horreurs” : pourtant en ce qui me concerne, c’est peut-être ce sentiment-là qui restera le plus mémorable. Oui, c’est de cela, du bonheur des camps de concentration, que je devrais parler la prochaine fois, quand on me posera des questions. »[1] Ainsi se termine Être sans destin, premier roman d’Imre Kertész. I. Kertész a été déporté à Auschwitz en 1944 à l’âge de quinze ans et libéré en 1945 du camp de Buchenwald.

L’écriture deviendra la question de toute sa vie, de sa survie, de son existence.

L’écriture comme opposée à la parole

Dans Dossier K., il dit qu’il a écrit les choses « peut-être justement, pour ne pas avoir à en parler. »[2] C’est une première fonction de l’écriture : ne pas avoir à en parler, sans se taire. Écrire devient une nécessité par rapport à l’impossible à dire.

L’écriture comme fonction de séparation

Dans le roman, il donne la parole à un adolescent qu’il crée : « dans la vision naïve et classique d’un enfant. C’est seulement alors que l’acceptation de l’inacceptable est une évidence, car la barrière entre les événements et le personnage est tombée »[3]. I. Kertész peut alors faire dire à l’adolescent qu’il y avait là-bas aussi quelque chose qui ressemblait au bonheur parce que les préjugés communs sont tombés. « Toutes les monstruosités que j’aurais pu désirer décrire, je devais y renoncer en tant qu’elles ne touchent pas le langage, qu’elles ne s’intègrent pas dans un langage, dans une langue. Puisque je ne pouvais pas décrire dans le langage comment on m’a cogné, etc., alors il fallait que je trouve quelque chose dans la dimension du langage. »[4]

Il isole deux statuts à l’écriture : le premier, c’est la fixation. Ici s’écrit la description répétitive et fascinée de la « banalité du mal » : arrivée à Auschwitz, sélection… descriptions des horreurs. Le second : la fiction. La différence est essentielle : « Dans le roman, il m’appartenait d’inventer et de créer Auschwitz. Je ne pouvais pas m’appuyer sur des faits historiques, extérieurs au roman. Tout devait naître de manière hermétique, par la magie de la langue, de la composition. »[5] Il cherche une nouvelle langue, car le trauma a rompu la chaîne signifiante qui le tenait avant sa déportation, le laissant avec un S1 tout seul, hors sens, sans le S2 du savoir pour se raccrocher. Le sujet est effacé sans l’écriture, il « inexiste ». L’écriture devient une condition de survie, un devoir de survie. C’est par le choix d’une écriture « romanesque » qu’I. Kertész peut s’éloigner du réel insensé d’Auschwitz, border le trou créé par le traumatisme, se séparer des souvenirs qui n’ont plus alors le même statut.

L’écriture comme fonction de transmission

I. Kertész parle de son devoir de transmission, différent du devoir de mémoire.

« En réalité, je cherchais la fameuse troisième langue, qui ne serait ni la mienne, ni celle des autres, mais dans laquelle je devais écrire. »[6] Pour lui, Auschwitz a été une expérience linguistique, le meurtre du langage : meurtre de sa langue à lui, sa lalangue qui a été anéantie par son expérience, mais aussi meurtre de la langue des autres, le hongrois qui ne doit plus avoir d’usage car c’est la langue du totalitarisme qui préparait logiquement la Shoah. Cette troisième langue est une langue de jouissance, transmettant par son esthétique l’indicible, c’est une transmission hors sens, au-delà du langage. Pour lui « seule l’œuvre est transmissible »[7]. Dans Kaddish pour l’enfant qui ne naîtra pas, il explique pourquoi il a refusé la paternité. « L’homme n’était en vérité que du bétail dans l’abattoir de l’histoire. Tout cela – je frissonne rien que d’y penser – ce sera à moi de l’apprendre, mon enfant… »[8] Universaliser l’Holocauste est pour lui une décision culturelle, un « devoir d’art ». Par l’esthétique de son écriture, I. Kertész s’approche au plus près de l’inexprimable d’Auschwitz. Il a reçu le prix Nobel de littérature en novembre 2002.

[1] Kertész I., Être sans destin, Babel, Actes Sud, 1998, p. 361. [2] Kertész I., Dossier K., Actes Sud, 2008, p. 9. [3] La Cause freudienne n°77, Rencontre avec Imre Kertész (27 novembre 2010, Berlin), Le roman de l’échec, p. 112. [4] Ibid., p. 110. [5] Kertész I., Dossier K, op. cit., p. 17. [6] Ibid., p. 152. [7] Kertész I., Journal de galère, p. 142. [8] Ibid., p. 145. Après ce travail produit en cartel, j’ai pu lire l’ouvrage collectif L’homme Kertész. Variations psychanalytiques sur le passage d’un siècle à l’autre, sous la direction de Nathalie Georges-Lambrichs et Daniela Fernandez, Paris, Michèle, 2013.

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Éclats de Violence, échos du Réel

Échos du Forum de l’ACF Restonica qui eut lieu le 4 octobre à Bastia

« Éclats de Violence, échos du Réel »

ou Les Météores de l’Être

L’ACF Restonica et le Programme psychanalytique de Bastia ont tenu leur Forum sur une question de société particulièrement aiguë en Corse : la violence. Son titre soulignait qu’il s’agissait d’un forum psychanalytique d’orientation lacanienne, un tel forum se devant d’esquiver les logiques d’affrontement quand il traite de questions de société. Ces questions nécessitent des approches partielles, et souvent contradictoires.

À cet effet, nous avons invité des universitaires corses, leur demandant de mettre en valeur les raisons historiques, économiques, ou politiques, qui leur paraissaient expliquer la violence en Corse. Nous avons voulu faire entendre combien la perspective sociologique s’élabore dans ce nœud de l’image et de la langue où se constitue la tension agressive du « c’est toi ou moi ! » et où s’entend la structure fondamentalement paranoïaque du moi ; le passage obligé par le stade du miroir, nous faisant entrer dans le cycle de l’aliénation et du malentendu de la langue responsable d’un défaut de satisfaction incontournable.

Trois séquences ont scandé ce Forum :

Dans la première, intitulée Éclats de violence dans la cité, Marie-Rosalie Di Giorgio, psychanalyste, en s’appuyant sur l’affaire dite du gang des barbares a démontré que là où la fragilité du symbolique apparaît de manière manifeste, les « échos du réel » peuvent se faire assourdissants. Le docteur Nicole Graziani, psychiatre, s’est attachée à une défense de la psychiatrie contemporaine, le docteur Didier Cremniter dépliant quant à lui cette clinique particulière à laquelle sont confrontées les Cellules d’Urgence Médico-Psychologique.

La seconde séquence a été consacrée à la délicate question des Éclats de violence en Corse. Antoine-Marie Graziani, historien, a soulevé la question « Une culture de la jalousie et de la haine ? », et Pascal Ottavi, doyen de l’Université, a conclu sa lecture contemporaine par ces mots : « Violence ? Quelque chose ne s’est pas réalisé dans notre société. »

Enfin, dans la troisième séquence, Échos du réel, Bernard Porcheret, AE, a témoigné à partir de sa cure, du désir de mort et de la voracité de la pulsion auxquels il a eu affaire : « aller jusqu’au bout de ce qui est analysable, c’est voir se dissoudre logiquement les météores de notre être, et, finalement, ce qu’il en reste se résume à peu de chose. »

Il s’agissait pour nous de positionner en Corse la psychanalyse lacanienne dans le débat public autour de la violence, de ne pas céder sur notre orientation analytique, et de soutenir ceux qui consentent à serrer logiquement ce qui, en eux, relève de la pulsion, et du désir de mort. Pari réussi, plus de cent personnes dont de nombreux auditeurs nouveaux sont venus participer à nos travaux.

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L’espace intérieur

L’intimité que l’homme habite était sacrée. Elle est devenue profane. C’est qu’entretemps, depuis le « Temple de l’esprit » augustinien jusqu’aux « Temples inhabités » de la subjectivité moderne, le monde s’est désenchanté. Où le sujet habite-t-il alors ? Quand Lacan met l’accent sur sa vacuité, il convoque les dimensions du discours comme « maisons du dit ».

Le parlêtre habite le langage mais, demande Lacan dans « L’étourdit »[1], concernant les hommes et les femmes et l’absence de rapport sexuel entre eux, est-ce  l’absence de rapport sexuel qui les « exile en stabitat » du langage ? Ou est-ce d’habiter le langage (« labiter ») qui  rend le rapport sexuel interdit ? « Labiter » du langage est le fait du discours qui convoque un sujet que l'on dirait « labile » mais  le « stabitat » du langage n’est-ce pas l’objet a ? À l’horizon déshabité de l’être, le véritable secret, l’intérior intimo meo d’Augustin, c’est cette Autre scène où l’inconscient cache autant qu’il révèle ma jouissance la plus indivise. Cette place n’est « place de Plus-Personne »[2].

Rose-Paule Vinciguerra

[1] Lacan J., « L’étourdit », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 455. [2] Lacan J., « Remarque sur le rapport de Daniel Lagache : “Psychanalyse et structure de la personnalité”, Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 667.  

  À propos du livre de Jean-Louis Chrétien : L’espace intérieur[1]Prost-1HD

« Intérior intimo meo » : Dieu plus intime que mon intime. Ainsi Lacan, citant Saint Augustin, forge-t-il le terme d’extimité : c’est bien de cela qu’il s’agit dans cet ouvrage dont l’auteur dessine, à travers les figures les plus éminentes de la Théologie, la Philosophie et la Littérature (d’Augustin à Freud), une généalogie du sujet occidental centrée sur la notion paradoxale d’espace. Bien au-delà de la représentation métaphorique de l’âme par les emblèmes du corps, (cœur dans la doxa traditionnelle ou cerveau dans notre culture scientifique), il s’agit ici d’une véritable topique de l’intériorité dont la puissance descriptive et la dynamique constituent, selon l’auteur, un véritable paradigme de l’identité humaine, trouvant dans la notion moderne, et combien problématique, du « moi » » son dernier avatar.

De la Chambre du cœur d’Origène, aux Châteaux de Thérèse d’Avila, en passant par le Temple de l’esprit d’Augustin, il s’agit toujours de maisons, de demeures, de figures de « l’habiter. Car habiter est une dimension constitutive de l’existence »[2]. Ce sont des lieux d’accueil, d’attente, de l’hôte divin : mais tandis que la Chambre du cœur, terme d’origine évangélique, est avant tout un lieu de prière et d’exposition nue à Dieu, le Temple de l’esprit où figure un « autel intérieur », désigne avec force le déplacement vers l’intime, propre au message biblique, des rituels du sacrifice. « Là où il faut sacrifier, c’est là aussi qu’il faut prier. » La primauté du sacrifice sur la prière, instaurée par Augustin[3], ouvre l’intériorité de façon inouïe : l’intimité comme « abîme », selon le mot d’Augustin « bée de toutes parts ».

Le basculement vers le profane: le temple inhabitéProst-Montaigne-2HD

Cet espace intérieur, une fois ouvert et articulé, ne peut se refermer mais il se prête à des renouvellements et des recompositions. L’auteur parcourt la culture occidentale à partir de ces points de « basculement » où la Chambre du cœur devient un lieu profane, du « cabinet » ou « arrière-boutique » de Montaigne, jusqu’à « l’appartement » de Freud, lieu privé par excellence. Avec Montaigne, mais aussi Pascal, à qui l’on doit « l’invention du moi », relayés ensuite par Rousseau et Kant, la vie intérieure bascule : la « boutique est le lieu où l’homme est seul avec lui-même », sa quête n’est plus de vérité mais de sincérité. L’édification du temple devient mon œuvre propre. La topique théologique devient topique psychologique où le moi, réduit à la « maison psychique », s’entretient incessamment avec lui-même.

Ainsi sommes-nous conviés à visiter ces « temples inhabités » où le moi est plus ou moins confiné dans les profondeurs souterraines: sous-sols de Dostoïevski, galeries abandonnées chez Baudelaire, ou caveaux souterrains d’Edgar Poe : « Sinistre métamorphose de la Chambre du cœur », que Kafka résume à sa façon : « Tout homme porte une chambre en lui… Quand un homme marche vite et que l’on écoute attentivement, la nuit peut-être, tout étant silencieux alentour, on entend par exemple le brimbalement d’une glace qui n’est pas bien fixée au mur »[4]. Le meuble dominant de ce temple de l’esprit, devenu chambre à coucher, n’est plus l’autel, mais le miroir.

Le désenchantement du mondeProst-Pascal-3HD

À l’encontre de la thèse de Max Weber, pour qui le retrait de Dieu et la crise de la foi chrétienne résultent de la naissance et du développement de la physique mathématique, Jean-Louis Chrétien y voit une conséquence, bien antérieure, du schisme luthérien et des guerres de religion. Le « moment Montaigne » est, à cet égard, décisif. Le facteur essentiel n’est pas la désacralisation scientifique de la nature, mais l’organisation de l’espace intérieur, point critique où se joue le statut de l’identité humaine. Une question, que l’auteur laisse sans réponse, donne la mesure de ce moment de bascule : « Que se passe-t-il lorsque la foi devient croyance? »[5] À ce glissement, ce déplacement de sens dans le rapport au Savoir et à l’Autre, Freud et Lacan, surtout, apportent un éclairage qui permet de dépasser le dilemme où semble nous enfermer la thèse de l’auteur : ou bien « la chambre du cœur » ouverte à la présence de l’hôte divin, ou le temple désaffecté de la subjectivité moderne.

Ces deux postures ont, en effet, un point commun: la référence à un « espace », modalité propre au psychisme, comme en témoignent les topiques freudiennes et la topologie lacanienne. À la différence de la conscience de soi, punctiforme mais fugitive, le psychisme s’inscrit dans un espace qui, seul, permet de faire sa place au vide, à l’écart, l’intervalle, le suspens. Ainsi, l’après-coup qui structure la mémoire inconsciente, est une catégorie spatiale, où, comme le dit bien la formule : quelque chose peut « avoir lieu », c’est-à-dire s’inscrire, demeurer et insister alors que, dans le temps, tout s’efface et s’abolit.

Lacan met l’accent sur cette vacuité essentielle à l’émergence du sujet, à cet espace intérieur qu’il traduit à sa façon: les dimensions du discours sont les « maisons du dit », ses dit-mensions, articulées par le déploiement de la chaîne signifiante, dont les hiatus, coupures, accrocs et trébuchements désignent, en creux, le sujet, comme question, perplexité, désarroi.

L’Autre, ses masques et ses avatars

Ce sujet n’est donc pas solitaire, et il faut réfuter la vision réductrice que l’auteur nous propose de la topique freudienne, lorsqu’il dénonce « le caractère solitaire de cet appartement psychique, réduit à deux pièces »[6]. L’Autre est là, au cœur extime de l’être, mais, à la différence du visiteur divin, pourvoyeur de Grâce et de lumière, il impose au sujet le tourment de son désir énigmatique. On peut donc tirer profit de la psychanalyse et de l’enseignement de J. Lacan et récuser l’idée « qu’un paradigme s’est éclipsé de la conscience commune »[7].

De même, à la question du passage de la foi à la croyance, on peut répondre, en termes lacaniens, que la foi s’adresse à un Dieu largement inscrit dans des coordonnées symboliques, c’est-à-dire un discours, un récit, un événement, alors que la croyance, livrée aux aléas de la conscience individuelle (voir le schisme luthérien) ne trouve son ressort que dans le lien affectif, et angoissé, à un Dieu imaginaire, celui de Kierkegaard et son cortège de « Crainte et de Tremblement ».

Lacan ne nous dit-il pas, là-dessus, le dernier mot?

« Ceci nous permet d’arriver à une formule condensée […] Le désir du névrosé, dirai-je, est ce qui naît quand il n’y a pas de Dieu […] Mais ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit, à savoir que la situation est plus simple quand il y en a un. Je dis que cette suspension du Garant suprême est ce que cache en lui le névrosé, et que c’est à ce niveau que se situe, s’arrête et se suspend le désir du névrosé »[8].

[1] Chrétien J.-L., L’espace intérieur, Paris, Les Éditions de Minuit, 2014. [2] Cité par J.-L. Chrétien, op.cit., p. 257. [3] Saint Augustin, Le maître (De Magistro), chap. 1, § 2, Paris, Klincksieck, coll. Philosophie de l’éducation, 2002. Cité par J.-L. Chrétien, ibid., p. 73. [4] Kafka F., Œuvres complètes, t. II, éd. David, Paris, 1980, p. 457. Cité par J.-L. Chrétien. [5] Chrétien J.-L., op. cit., p. 239 et 243. [6] Chrétien J.-L., op.cit., p. 244. [7] Ibid., p.245. [8] Lacan J., Le Séminaire, livre VI, Le désir et son interprétation, texte établi par Jacques-Alain Miller, Paris, La Martinière & Le Champ freudien, coll. Champ Freudien, juin 2013, p. 541. Enregistrer

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Éditorial du 6 octobre 2014

Sommes-nous angoissés pour notre nourrisson, l’Hebdo-Blog qui vient de fêter ses trois semaines ? Pas de baby blues ! Même si sa naissance nous amène à de complexes maniements ! En tout cas, ses yeux, à présent, sont grands ouverts sur son Umwelt. Voici, tout de suite, le texte de Patricia Bosquin-Caroz d’Introduction à la première Journée du FIPA du 4 octobre, qui vient de se tenir à Paris sous l’impulsion de Philippe Bénichou, directeur de l’Envers de Paris. De Bordeaux, un mot de Dominique Jammet et Guillaume Roy sur la prochaine journée du CPCT-Aquitaine. Déjà en route vers le Palais des Congrès à Paris, Aurélie Pfauwadel nous rappelle, avec le film Philomena de Stephen Frears, à quel point la maternité est histoire d’amour et, via Hélène Deutsch, retrouve Lacan. D’Angers, Guillaume Miant évoque le cas d’une patiente reçue par Pierre Stréliski dans le cadre d’une présentation de malades de l’Antenne clinique, qui pourrait rendre compte de ce que Lacan nomme dans le Séminaire VI la « machine fondamentale ». De Clermont-Ferrand, Valentine Dechambre avance sur la piste ouverte par Jacques-Alain Miller dans son introduction au prochain Congrès de l’AMP : la musique, la peinture, les Beaux-Arts ont-ils eu leur Joyce ? Et pour notre rubrique « Comment l’entendez-vous ? », Pascal Pernot a accepté de commenter un passage du Séminaire VII et de nous éclairer sur Das Ding. Bonne lecture !

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Première Journée FIPA du 4 octobre 2014

Première Journée FIPA du 4 octobre 2014

On doit à Philippe Benichou, actuel directeur de l’association l’Envers de Paris, l’initiative de l’organisation de cette première journée de travail du réseau parisien du FIPA qui se déroulera sous le titre : « L’inconscient et le lien social ». Je lui laisserai le soin de vous introduire au thème de cette matinée et pour ma part je m’attacherai à retracer le parcours et les raisons qui ont conduit l’École de la Cause freudienne à cette création, du FIPA, Forum des Institutions de Psychanalyse Appliquée et à son réseau parisien.

photoFIPA

Un peu d’histoire

À l’origine du FIPA, une première création : le CPCT-Paris. En 2003, L’École de la Cause freudienne allait répondre à la vague évaluatrice et scientiste déferlant sur la France et l’Europe entière par une série d’actions et notamment, par la mise en place d’un Centre Psychanalytique de Consultations et de Traitements (CPCT) ouvert à tout public, proposant un traitement psychanalytique gratuit, de durée limitée. Il s’agissait de défendre en acte l’efficacité de la psychanalyse en prise directe sur le malaise contemporain et son abord incomparable du symptôme que le dit malaise répercute.

En effet, le traitement psychanalytique s’inscrit en tout point contre la logique managériale. Il ne vise pas l’éradication du symptôme que commande la standardisation des conduites humaines au service de la rentabilité mais s’inscrit dans une visée pragmatique consistant à savoir y faire avec ce qui ne marche pas, avec ce qui cloche, ce qui rate, se répète… et ceci à moindre frais, entendez pour l’économie subjective, celle qui reste marquée par la souffrance humaine voire par la déréliction.

En créant le CPCT, il s’agissait de rendre ses lettres de noblesse à la découverte de l’inconscient freudien et de faire exister son hypothèse dans le social en facilitant l’accessibilité de la rencontre avec un psychanalyste. Aux psychanalystes revenaient alors la tâche, à condition qu’ils soient rigoureusement formés, de savoir faire émerger un savoir insu sur lequel le sujet peut parier, d’entériner, restaurer ou réajuster un savoir y faire déjà là qu’il s’agit de s’approprier. Ce savoir inconscient, dans certains cas à ciel ouvert, peut effectivement servir de véritable tremplin, offrant au sujet désarrimé la possibilité de construire un nouveau mode de nouage ou de lien social minimal. Mais la rencontre avec un psychanalyste peut aussi déboucher pour d’autres sur un vouloir en savoir plus. Ils se feront sujets d’une nouvelle élaboration de ce savoir inédit. Nous n’entrerons pas ici dans le détail de la variété des opérations psychanalytiques qui ont été récemment débattues lors de la Journée organisée par le CPCT-Paris le 13 septembre dernier sous le titre «  Ce qui opère ». Soulignons ceci, comme Jacques-Alain Miller l’avait déjà fait valoir : les psychanalystes qui exercent dans ce type de lieux sont en prise directe sur le social en tant qu’ils incarnent comme tels le social et restituent le lien social pour les sujets qu’ils accueillent puisqu’ils opèrent à partir du champ de la parole et du langage au fondement même du lien social.

Cette expérience menée bénévolement par des psychanalystes, qui eux-mêmes sont le produit de leur propre analyse, en contrôle régulier de leur pratique et rompus aux concepts psychanalytiques, s’est ensuite répandue rapidement sur le territoire français et européen donnant naissance à d’autres CPCT. Une douzaine de ces lieux se sont créés grâce à l’initiative des membres de l’ECF, dans les différentes régions françaises et belges sans qu’aucune directive n’en soit donnée. La pertinence de la psychanalyse appliquée et ses effets sur la déprise subjective, dénommée plus couramment « désinsertion sociale », retentissait au-delà, mais aussi à l’intérieur des murs de la capitale française Ainsi, une diversité d’associations inspirées par le modèle du traitement court et gratuit du CPCT allait voir le jour à Paris, trouvant des arrangements divers avec les instances publiques et s’implantant durablement dans le tissu social. En 2012, quatre ans après le rééquilibrage nécessaire de l’expérience, le Conseil de l’École de la Cause freudienne fit le constat que ce modèle s’était répandu, qu’il avait été adapté, modifié, qu’il s’était renouvelé. À l’origine des réussites les plus remarquables, on trouve l’initiative individuelle, l’engagement personnel, le désir décidé d’un ou plusieurs de nos collègues, faisant preuve de pragmatisme voire même d’esprit d’entreprise. L’impact de l’existence de telles structures, véritable maillage national, proliférant et non centralisé, allait amener les instances de l’ECF à s’intéresser de plus près à ce réseau des institutions lacaniennes existant de fait. Plusieurs Conversations, animées par

J.-A. Miller, furent organisées par le Directoire de l’ECF avec l’ensemble des responsables de toutes les associations de psychanalyse appliquée fonctionnant sur le modèle du CPCT ou s’en inspirant. En 2013, à l’issue de ces réunions, le Forum des Institutions de Psychanalyse Appliquée regroupant les CPCT et les autres associations assimilées de France et de Belgique fut créé et, à l’intérieur de celui-ci, le réseau parisien de ces institutions.

Aujourd’hui

Concernant le réseau parisien de ces associations, nous avons remarqué lors d’un échange d’expériences, qu’elles étaient avant tout très diversifiées, et bien implantées dans le tissu social. À ce titre, elles constituent l’interface de notre École de psychanalyse avec la société civile et la classe politique puisque bon nombre d’entre elles travaillent en collaboration avec d’autres partenaires des instances publiques telles que les établissements scolaires, les services sociaux, les hôpitaux… Elles entretiennent aussi des liens entre elles, s’adressent des patients selon des problématiques spécifiques ou la localisation du lieu d’accueil. Réparties dans la ville, chacune a également son point d’insertion géographique propre.

Le réseau parisien est actuellement composé de onze institutions de psychanalyse appliquée : le CPCT-Paris, lieu de consultation et de traitement psychanalytique destiné au tout venant ; « La Conversation thérapeutique » qui s’adresse à des sujets en situation de précarité matérielle ; « Paradoxes », lieu de consultation, de traitement et de formation pour adolescents ; « CLAP-Le Passage des tout-petits », lieu d’accueil destiné aux familles ; « Intervalle-CAP » destiné aux personnes les plus démunies en situation de grande précarité et dans l’errance ; « L’EPOC », de plain-pied sur la rue ; « Souffrances au Travail », fonctionnant à partir des cabinets privés des analystes ; « Kirikou », centre de consultations et lieu culturel surtout pour les enfants et adolescents également ouvert aux adultes ;  « Lien POPI-CDMC » , centre de consultations extime au champ médical de la périnatalité ; le CMP de Bagnolet, résolument orienté par la psychanalyse lacanienne et, ajoutons à cette liste, « l’Association Accueil psy en Val-d’Oise ».

Si ces associations travaillent pour la plupart selon les principes de gratuité du traitement, limitation temporelle et bénévolat des praticiens, elles se distinguent pourtant de l’assistance sociale, du soin médical ou psychologique par l’orientation psychanalytique qui y prévaut. Comme a déjà pu le formuler J.-A. Miller, ces lieux, dénommés Alpha sont distincts des lieux d’écoute habituels, car ils ont le souci de se constituer en lieux de réponse pour chacun, où « le bavardage prend la tournure de la question et la question elle-même la tournure de la réponse »[1]. Cette mutation du bavardage en savoir, grâce à l’opération du transfert et son pivot essentiel, le désir de l’analyste, demande à être sévèrement contrôlée, comme le rappelle encore J.-A. Miller, le pouvoir de l’interprétation pouvant aussi mettre le feu à toute la plaine !

[1] Miller J.-A., « Vers PIPOL IV », Mental, n° 20, Paris-NLS, février 2008, p. 186-187. Enregistrer Enregistrer

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J’ai un problème avec mon corps

Vers le Samedi 11 octobre, 7e Journée du CPCT Aquitaine, avec Dominique Jammet et Guillaume Roy, organisateurs de la journée « J’ai un problème avec mon corps »

La 7ème Journée du CPCT Aquitaine se tiendra le samedi 11 octobre au Château du Diable à Cenon. Son titre : « J’ai un problème avec mon corps ». Une phrase que chacun peut faire sienne tant le fait d’avoir un corps ne va pas de soi. C’est sur celles et ceux qui viennent adresser au CPCT une souffrance concernant leur corps que nous nous pencherons cette année.

L’enjeu de cette journée est de transmettre à un public large la clinique qui se constitue au sein des trois CPCT de l’agglomération bordelaise (CPCT- Ado, CPCT- Lien social et CLAP).

Vous l’avez compris, c’est une journée ouverte sur la cité. Nous avons donc choisi d’organiser deux événements. Le premier est une table ronde qui nous donnera l’occasion d’entendre trois médecins témoigner de comment ils s’arrangent avec l’énigme, quand le savoir médical ne leur permet pas de comprendre de quoi un patient souffre. Quelle place la psychanalyse occupe-t-elle alors pour eux ?

Le second événement sera la projection du court métrage Mutation nocturne, film réalisé l’an dernier dans la classe relais d’un collège de l’agglomération bordelaise primé à un festival de courts métrages. Une conversation aura lieu en présence de l’enseignante et du réalisateur et nous permettra de cerner comment le cinéma capte la représentation des corps et permet aux adolescents de jouer avec leurs peurs.

La journée du CPCT, c’est donc trois événements en un : clinique analytique, médecine et cinéma ! À samedi.

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Mère aimante

L’amour d’une mère peut prendre bien des couleurs. Que celui-ci soit une métaphore ou qu’il revête un caractère plus réel, la mère aimante prend d’abord son enfant comme objet. Le texte d’Aurélie Pfauwadel trace un sillon parmi les avatars du destin de la perte au cœur de l’être mère.

Le film Philomena de Stephen Frears, sorti en 2013, vient nous rappeler à quel point la maternité est histoire d’amour. Il relate la vie de Philomena Lee, une fille-mère irlandaise qui se voit arracher son jeune fils par les bonnes sœurs du couvent de Roscrea pour le faire adopter contre son gré. Philomena n’a depuis lors jamais cessé de le chercher – « J’ai pensé à lui tous les jours de ma vie » – et finira par retrouver sa trace, hélas trop tard, cinquante ans après.

Hélène Deutsch indique qu’en matière de complexe affectif maternel, on observe « autant de variantes que de mères »[1] : de l’amour infini, à l’indifférence, en passant par l’amour divisé ou empreint d’hostilité. On ne saurait, d’ailleurs, préjuger de manière normative de la valeur de cet amour, car un enfant peut aussi bien pâtir du défaut d’amour maternel que de son excès – et comme le rappelle Lacan, « On sait bien qu’à trop chérir un enfant, il y a plus d’un mode »[2]. La fameuse mère-crocodile est précisément celle qui aime tellement son produit qu’elle le menace de réintégration et par là de désintégration.

Une spécificité de l’amour maternel ?

Du point de vue de la psychanalyse, y a-t-il une spécificité de l’amour maternel – en ce qu’il peut se démontrer d’être absolu, inconditionnel, voire héroïque et sacrificiel ? Pour H. Deutsch, certains traits de l’amour maternel peuvent être observés ailleurs : « il existe une surestimation semblable de l’objet dans la passion amoureuse ; il y a dans le deuil une semblable éclipse de tous les autres intérêts de la vie ; il y a, chez les gens que tourmentent des sentiments de culpabilité, une semblable aptitude au sacrifice masochiste ; dans la mélancolie, nous trouvons une si forte identification avec autrui »[3]. Mais, pris tous ensemble, ces éléments composent le « complexe émotionnel de l’amour maternel » qui présente « quelque chose d’unique »[4].

Comment penser ce qu’aurait d’incomparable l’amour maternel sans tomber immédiatement dans l’idéalisation de cet amour, voire dans le fantasme d’une harmonie préétablie entre la mère et son enfant, ou le mythe d’un primary love à la Balint ? Il n’est pas indifférent que l’éclaircissement du concept d’objet en psychanalyse par Lacan soit allé de pair avec son élucidation des rapports mère-enfant. Tel est l’enjeu d’une théorie de la maternité en psychanalyse : elle emporte avec elle la conception qu’on se fait des rapports du sujet à l’objet – et inversement.

Ainsi que l’indique Jacques-Alain Miller, le geste principal de Lacan à cet égard a consisté à rappeler que la mère est une femme[5]. La question est donc de déterminer quel peut être le statut, pour un sujet féminin, de ses objets – en tant que le partenaire-enfant, pris ici dans sa dimension de partenaire amoureux, est un tenant lieu d’objet ?

Les circuits de l’amour maternel et son objet

Pour aborder les différentes formes que peut revêtir l’amour maternel, il convient donc d’examiner les divers modes de relation de la femme à son manque.

Selon cette optique, qui met en son centre la sexualité féminine, Lacan fait porter l’accent, dans la métaphore paternelle, sur le désir de la mère (DM) et non sur l’amour. La maternité est alors appréhendée selon une problématique phallique et œdipienne, en référence à la castration (-φ). Mais cette mère désirante est aussi une « puissance d’amour » : au-delà du comblement des besoins, la demande qui lui est adressée porte sur sa présence et son absence, et sur l’objet comme don symbolique, signe de l’amour[6]. La mère n’est pas seulement celle qui a mais aussi celle qui donne ce qu’elle n’a pas, son amour[7]. Par la métaphore de l’amour, la mère introduit l’enfant à l’Autre du signifiant, à la dimension de la parole et du désir, ainsi qu’à l’ordre de la culture et de la civilisation.

Dans ce cadre, Lacan précise que « Ce n’est pas tout à fait la même chose si l’enfant est par exemple la métaphore de son amour pour le père, ou s’il est la métonymie de son désir du phallus, qu’elle n’a pas et n’aura pas. »[8] À ce titre, l’enfant peut être l’objet d’un surinvestissement du narcissisme féminin, allant jusqu’à la surestimation fétichiste[9]. Là où H. Deutsch définit, de manière frappante, l’amour maternel comme « le plus altruiste amour de soi »[10], Lacan dévoila la manière dont l’amour maternel, comme dans toute relation amoureuse, masque la fonction de l’objet partiel, qu’il théorise comme objet petit a. Dans les années 1960[11], Lacan en vint à penser la formule de la maternité à partir du mathème du fantasme $ ◊ a, l’enfant ne venant plus à la place du phallus mais de l’objet a.

Ce n’est alors pas la même chose si l’enfant a pour la mère le statut d’objet cause du désir – part perdue, objet hors-corps auquel la mère aliène son désir car elle y a déposé ce qu’elle avait de plus précieux – ou si l’enfant vient en place d’objet réel ou « objet plus-de-jouir ». Dans le premier cas, la perte est constitutive de la maternité – et l’histoire de Philomena, par le redoublement répété de la perte, produit un effet de loupe sur cet aspect essentiel de l’amour maternel. Selon cette logique, l’enfant est pris comme partenaire érotomaniaque, dans la dialectique de l’amour, en un circuit qui comprend la dimension de l’Autre car l’enfant y est reconnu et aimé comme sujet de parole et de discours. À l’inverse, dans le second cas (à supposer que l’on puisse encore parler d’amour), l’enfant se voit traité comme un objet pulsionnel, partenaire de la jouissance Une maternelle.

« Mère aimante », on le voit, est un syntagme pour le moins équivoque…

[1] Deutsch H., La psychologie des femmes. Maternité, tome II, Paris, PUF, 1955, p. 256. [2] Lacan J., « Jeunesse de Gide ou la lettre et le désir », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 749. [3] Deutsch H., op. cit., p. 276. [4] Ibid. [5] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Donc », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris VIII, leçon du 26 janvier 1994, inédit [6] Cf. Lacan J., « La signification du phallus », Écrits, op. cit., p. 690-691. [7] Cf. Miller J.-A., op. cit., leçon du 6 avril 1994, inédit : « La mère n’est pas seulement celle qui a. Elle a à être, au-delà de l’Autre tout puissant de la demande, l’Autre de la demande d’amour – celle qui n’a pas, celle qui donne ce qu’elle n’a pas et qui est son amour. » [8] Lacan J., Le Séminaire, Livre IV, La relation d’objet, Paris, Seuil, 1994, p. 242. [9] Cf. Freud S., Trois essais sur la théorie sexuelle, Paris, Gallimard/folio, 1987, p. 59, note 1 ; « Pour introduire le narcissisme », (1914), La vie sexuelle, Paris, PUF, 1969, p. 95. [10] Deutsch H., op. cit., p. 277. [11] Cf. Lacan J., « Allocution sur les psychoses de l’enfant » (1967) & « Note sur l’enfant » (1969), Autres écrits, Paris, Seuil, 2001.

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Dans un trou

Dans un trou

Mme J. n’a plus goût à la vie. « Je m’intéresse à rien » forme l’antienne qu’elle répète de sa voix fluette tout au long de cette présentation de malade[1] et dont elle donne toutes les déclinaisons : elle reste chez elle à ne rien faire, elle ne regarde pas la télévision, elle manque de concentration pour se plonger dans un livre, elle ne peut plus s’occuper de son fils, etc. Elle ne parvient pas non plus à trouver un travail, faute d’avoir pu « trouver sa voie ». Elle n’a en effet jamais vraiment su ce qui aurait pu l’intéresser afin de s’investir durablement dans une formation. Sa scolarité a été marquée par deux redoublements (l’un en classe de CM2 et l’autre en 4ème) : elle ne « comprenait plus rien » en cours, ce qui indique l’opacité que peut parfois prendre le symbolique pour elle. Puis ce parcours s’achève par un décrochage : orientée par défaut en BEP secrétariat, elle ne termine pas sa deuxième année. Elle ne va plus en cours et part « traîner » dans les rues. « Je savais pas quoi faire », dit-elle. Et, bien qu’elle ait bénéficié d’un accompagnement sur le plan professionnel (reprise de sa formation, stages, etc.), elle ne sait toujours pas. L’inhibition paraît dominer la vie de Mme J. ; inhibition dont Freud indique qu’elle résulte soit d’une érotisation en excès, soit d’un défaut d’investissement libidinal[2].

Si rien n’intéresse Mme J., si elle manque d’une orientation, c’est parce qu’aucun semblant ne semble propre à aimanter son désir, à célébrer les retrouvailles avec l’objet perdu. Celui-ci est toujours de son côté, et elle se trouve confrontée, de manière corrélative, à l’inexistence de l’Autre. « De ce jeu de l’Autre que sont à la fois le langage et toute la structure de l’expérience humaine en tant qu’elle est façonnée et tressée de réalités qui n’ont d’existence que de langage, les études, un métier, le mariage, l’argent, les emprunts, les contrats, les assurances, les loisirs, les journaux, les musées, les sports, la mode, de tout ce jeu, de tout ce qui constitue cette dimension Autre, le sujet en expérimente, si on peut dire, la fondamentale inexistence, l’absence d’enjeu ou de raison. Le transfert de jouissance vers la dimension des semblants, transfert qui fait qu’on y croit un peu, n’a pas lieu. La réalité et la vie se présente au sujet, qui pourtant peut y être inscrit ou y faire les mêmes choses que tout le monde, sans leurres et sans illusions, certes, mais aussi sans but et sans intérêt. »[3]

Par conséquent, Mme J. ne peut s’orienter à partir du lieu de l’Autre. Celui-ci ne lui a jamais permis de se ménager une place. Il n’a pas fait « stabitat »[4] pour elle, selon le néologisme de Lacan. Comment habiter ce lieu, dont les règles sont brouillées, lorsqu’il se trouve plein de la rage éthylique du père ou de son agonie ? Mme J. explique en effet que, lorsqu’elle était enfant, elle devait fuir sa maison quand son père buvait et devenait violent : « Il buvait, il frappait ma mère, il était assez violent… je me rappelle que, pour se calmer, pour le laisser se calmer, ma mère elle nous emmenait se promener le soir. On prenait tous nos manteaux et puis on allait dans la nuit se balader le temps qu’il se calme. Et je m’en rappelle, comme j’avais peur du noir, elle fumait ma mère donc je regardais tout le temps sa cigarette allumée dans le noir ». Jetée hors du domicile par ce père explosif qu’elle ne « comprenait pas », elle s’accroche à l’extrémité incandescente de la cigarette de sa mère. Si ce lampion de fortune ne constitue qu’une mince accroche, c’est néanmoins une trouvaille importante pour ce sujet perdu, qui ne peut compter sur le phare du Nom-du-Père pour se guider dans les ténèbres et éviter de s’échouer. À l’adolescence, son père, atteint d’un cancer, lui demande de quitter le domicile : « Il voulait pas que je le vois mourir en fait. […] C’était mieux que je m’en aille, je le voyais dépérir, ça me faisait du mal ». Alors « il m’a dit qu’il ne voulait plus que je sois chez moi ».

C’est au moment où son fils fait sa rentrée en troisième que le problème de l’orientation se pose, à nouveau, pour Mme J. : « Mon fils qui va aller au lycée l’année prochaine, je sais pas où le mettre […] Je sais pas où il va aller. Ça m’inquiète ». À la dépression s’ajoutent alors des angoisses et les phénomènes de corps (maux de ventre) qui la précipitent à l’hôpital. L’inexistence de l’Autre expose particulièrement le corps au retour de la jouissance : « Au vide libidinal sur le versant du semblant, répond, sur le versant du réel hors discours, un retour de la jouissance qui envahit le corps »[5].

« Je me sens dans un trou », résume Mme J. Il ne s’agit pas uniquement de sa localisation géographique – « isolée », loin de la ville et de ses proches – mais aussi de sa situation subjective. Ce trou se manifeste à la fois dans son lien social et dans sa pensée : « Je pense plus à rien, dit-elle. J’ai rien dans la tête en fait ». Elle semble incarner ce trou, cette coupure dont parle Lacan dans le Séminaire VI : « La coupure est ce par quoi le courant d’une tension originelle, quelle qu’elle soit, est pris dans une série d’alternatives qui introduisent ce que l’on peut appeler la machine fondamentale. Cette machine est proprement ce que nous retrouvons comme détaché, dégagé, au principe de la schizophrénie. Là, le sujet s’identifie à la discordance comme telle de cette machine par rapport au courant vital. »[6] Débranchée de cette machine que constitue l’Autre et dont le symbolique régule les pulsions, Mme J. ne peut « profiter de la vie » ; et, dès lors, est soumise au règne de la pulsion de mort.

[1] Patiente reçue par Pierre Stréliski dans le cadre d’une des présentations de malades de l’Antenne Clinique d’Angers. [2] Freud S., Inhibition, symptôme et angoisse, Paris, PUF, 1993, p. 6-7. [3] Zenoni A., L’autre pratique clinique, Toulouse, Érès, 2009, p. 163. [4] Lacan J., « L’étourdit », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 474. [5] Zenoni A., L’autre pratique clinique, op. cit., p. 170. [6] Lacan J., Le Séminaire, livre VI, Le désir et son interprétation, texte établi par Jacques-Alain Miller, Paris, La Martinière & Le Champ freudien Éditeur, coll. Champ Freudien, juin 2013, p. 539-540.

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Le tour de farce d’Erik Satie

« Le culte de Satie est difficile, parce qu’un des charmes de Satie, c’est justement le peu de prise qu’il offre à la déification. » Cocteau J. Le coq et l’arlequin – Notes autour de la musique.

Dans son introduction au prochain Congrès de l’AMP[1], Jacques-Alain Miller présentait le concept d’escabeau comme mode singulier de la sublimation « à son croisement avec le narcissisme », fondé sur le « je ne pense pas premier du parlêtre ».

Il soulignait que si Lacan s’était passionné pour l’auteur de Finnegans Wake, « c’est en raison du tour de force – ou de farce – que cela représente d’avoir su faire converger le symptôme et l’escabeau. Exactement, Joyce a fait du symptôme même, en tant que hors-sens, en tant qu’inintelligible, l’escabeau de son art ».

J.-A. Miller se demandait si la musique, la peinture, les Beaux-Arts avaient eu leur Joyce.

On sait combien la tumultueuse et iconoclaste avant-garde des Années Folles bouleversa les critères du jugement établis de l’esthétique. Mais sait-on suffisamment la place décisive qu’y occupa Erik Satie et ses compositions musicales en forme de « practical jokes » ?

« Je n’ai que faire du soleil » se plaisait à dire ce petit homme faunesque, excentrique et affable, qui n’a cessé de diviser les milieux musicaux, accusé par certains de destruction pure et simple de l’âme musicale, cette âme marquée par le symbolisme wagnérien de la fin du XIXe siècle.

Dans un éloge posthume, André Breton écrivait : « Le passage du XIXème au XXème siècle n’a déterminé aucune évolution d’esprit aussi captivante que celle de Satie. Nulle plus haute école de liberté à l’égard de toutes les conventions, nul sourire plus espiègle et, en fin de compte, si poignant par-dessus le gouffre intérieur, de l’espèce la plus noire, duquel s’échappe la nuée de ces dessins et inscriptions calligraphiées en pleine solitude. »[2]

Comment présenter l’œuvre de l’auteur des fameuses Gymnopédies ? Le compositeur Henri Sauguet écrivait : « Satie fut et doit demeurer inexplicable [… ] La musique, l’art de Satie sont inanalysables »[3].

Satie déclarait lui-même que tout ce qu’il composait ne signifiait rien, et aux tenants trop sérieux des conformismes académiques qui ne l’aimaient pas, il affirmait : « le Chaos est assez comique de lui-même »[4].

Marcel Proust, autre dandy de l’époque, disait à propos de la musique d’Erik Satie qu’elle ne pouvait faire que « rire ou crier », soulignant par ce trait le pied de nez du compositeur aux valeurs de bon goût bourgeois où se reconnaissait la communauté des mélomanes.

L’art d’Erik Satie se caractérise par une extrême économie de moyens dans ses créations, et une liberté de choix qui ignore toute barrière académique, allant jusqu’à inclure des numéros de music-hall dans ses concerts. « Le Music Hall, le Cirque, disait-il, ont l’esprit novateur »[5]. Parmi ses œuvres les plus connues, ses pièces pour piano déterminent des directions neuves, imprévues, élaguant, jetant du leste, supprimant tout superflu, refusant toute dramaturgie, réduisant au maximum la durée des périodes : l’air y circule à l’instar des haïkus japonais, léger et vif.

Il résulte de cette musique une magie sonore, un flux d’incessantes et poétiques cocasseries musicales, émergeant de la rigueur de rythmes neufs qui dessinent une structure nette à chacune de ses pièces. Debussy et Ravel s’inspireront de cette grammaire musicale novatrice, aux imprévisibles et troublantes résolutions harmoniques.

Le burlesque musical d’Erik Satie trouvera sur son chemin des compagnons d’art avides de tendances nouvelles dans leurs créations : Dada, Cocteau, Duchamp, Picabia, Diaghilev, avec qui il « paradait »[6] dans des créations scéniques ébouriffantes, ou encore Debussy et Ravel… lequel n’hésita pas à baptiser Satie de « précurseur de la musique moderne »[7].

La formule fâcha durablement Satie qui lisait dans les honneurs un embaumement avant l’heure. Satie ne pardonnera pas plus à Ravel son refus réitéré de la Légion d’honneur, un leurre à ses yeux, « quand toute sa musique l’accepte »[8].

Satie tenait bon sur le « sans pourquoi » de son art, hermétique à toute possibilité de l’interpréter. C’est d’ailleurs un paradoxe pour les interprètes de sa musique, comme le dit le pianiste Alexandre Tharaud : « Savoir se défaire d’un jeu classique, de l’envie de créer un discours, de donner un sens, de chercher le « beau son », et de marquer de son empreinte la partition. Ces considérations n’ont pas de prise sur Satie, elles font même très mauvais ménage avec son œuvre »[9].

Si le maniement ex-centrique de la lettre musicale chez Satie débarrassa l’esthétique éthérée et chargée de symboles du wagnérisme de l’époque, il tourna tout autant le dos aux diktats d’un nouvel ordre musical, le dodécaphonisme importé en France de la même Allemagne.

Par l’atmosphère sonore inédite de ses micro-compositions, « constructions en mosaïque » en perpétuel déplacement, Satie le gymnopédiste se hisse sur l’escabeau de son art avec ce seul fil phonique, faunesque, pur S1, « d’une pauvre pensée » comme il se plaisait à le souligner… soutenant son nom propre de ce travail au pied de la lettre, il s’auto-nomma « Satie, le pauvre » dans une totale identification à ses créations.

Brouillé avec la lâcheté, il se fâcha tour à tour avec ceux de ses amis qui renoncèrent dans leurs parcours artistiques à partager cette même longueur d’ondes dans leurs créations.

À ceux qui l’accusaient de n’écrire pas de la musique, Satie va ironiquement donner raison : « Ne croyez pas que mon œuvre soit de la musique, ce n’est pas mon genre : je fais, le mieux que je peux, de la phonométrie. Point autre chose. [...] Du reste, j’ai plus de plaisir à mesurer un son que je n’en ai à l’entendre. Le phonomètre à la main, je travaille joyeusement et sûrement [...] L’avenir est donc à la philophonie »[10].

Dans l’abondante correspondance adressée à ses amis et plus encore à lui-même, on retrouve un même maniement witzien de la lettre, imperméable au sens. La langue y est du pur style « Sati’ Erik », truffée de jeux de mots, équivoques, néologismes, mélange de grossièreté et de délicatesse, parfois même d’injures, tracées dans de sublimes arabesques.

Entouré de ses fidèles amis, Picasso, Picabia, Milhaud, Brancusi et Duchamp qui se relaient à son chevet, Satie rend l’âme à l’hôpital Saint-Joseph à Paris.

« La lettre… mais où est donc la lettre ? » aurait-il gémi en se débattant sur son lit de mort, renversant ses couvertures pour mettre la main sur ce mystérieux courrier. « C’était là son dernier tour de clé, verrouillant à jamais toute communication »[11], rapporte le musicologue Louis Laloy.

À l’heure venue de son dernier souffle, alors qu’il reçoit la visite de l’Abbé Saint, Satie s’exclame dans un ultime tour de farce : « Je suis heureux de voir enfin un saint de mes yeux. »[12]

Il nous reste la saveur insolite de cette œuvre gymnopédiste, sur laquelle John Cage et Merce Cunningham dans les années 1970 ont trouvé un appui sans pareille pour créer des chorégraphies nouvelles, donnant aux corps d’insoupçonnables façons de se tenir et de se mouvoir.

Dechambre-2

[1] Miller J.-A., Présentation du thème du Xe congrès de l’AMP à Rio de Janeiro en 2016. Site AMP. [2] Transcription d’un manuscrit autographe d’André Breton de 1955. Archives Erik Satie de l’IMEC in Erik Satie Les cahiers d’un mamifère. Chroniques et articles publiés entre 1895 et 1924. Texte établi par S. Arfouilloux. Paris, l’Escalier, 2010, préface. [3] Olivier PH., Aimer Satie, Langres, Hermann, 2005, p.110. [4] Satie E., Correspondance, réunie et présentée par O. Volta, Paris, Fayard/IMEC, 2000, p. 609. [5] Volta O. Erik Satie, Paris, Hazan, 1997, p. 69. [6] Allusion à Parade, ballet en acte composé par Erik Satie, poème de Jean Cocteau, costumes et rideau de scène Pablo Picasso. [7] Ibid., p. 30. [8] Olivier P., op. cit., p.1. [9] Tharaud A., CD Erik Satie, Avant dernières pensées, Arles, Harmonia mundi, 2009. [10] Satie E., Mémoires d’un amnésique, Revue musicale S.I.M. n°4, 15 avril 1912, p .69. [11] Volta O., Erik Satie. Correspondance, op. cit., p. 8. [12] Ibid., p. 642. Enregistrer

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Das Ding et la mère

Après une première cure non lacanienne, Pénélope s’adresse à moi pour se « séparer de la chose maternelle ». Enseignante en philosophie, c’est avec ce savoir qu’elle acquiesce à l’orientation du précédent analyste : ordonner, avec des interprétations sans équivoques, les traits du bon et du mauvais objet attribués à la mère. Cette mère n’ayant pu être correctement soignée d’un cancer durant la grossesse, meurt dix ans après, du fait, prétendait-elle, du choix de la préservation de la grossesse. La première cure n’a pas permis à Pénélope de se séparer de l’inaccessible poids de mort que sa venue au monde comporte et qu’en bonne kantienne elle désigne comme ce qui est pour elle la chose en soi.

Rompre avec la sociologie objectalisée et le Souverain Bien

1959. Lacan reprend les termes freudiens de l’Entwurf. Le rapport à autrui se divise en deux. Un : mobilisation des représentations assurant la retrouvaille des coordonnées de plaisir et de déplaisir autour de l’objet perdu du fait de l’entrée dans le langage. Deux : une partie reste, als Ding dit Freud, comme Chose, hors représentation, extérieure, interdite, voire, dit Lacan, « hostile, à l’occasion »[1].

L’article de Heidegger « Das Ding » sert de point d’appui. Pour le philosophe, la Chose est ce qui se situe comme vide, rien, là où « la proximité [de l’être] se cache elle-même et demeure […]. Le vide, ce qui dans la cruche n’est rien, voilà ce qu’est la [choséité de la] cruche»[2].

Lacan récuse la voie de l’être, vise le réel de la jouissance dans ses rapports avec l’Autre des signifiants.

Il tranche d’avec ce que l’on pourrait appeler une sociologie objectalisée par laquelle les post-freudiens prennent support d’un universel œdipien pour donner une raison à l’interdit et distribuer à la mère les bons et mauvais points des représentations de l’objet perdu. Ils mettent « à la place centrale de Ding le corps mythique de la mère ».[3]

Lacan a alors déjà « révisé »[4] l’interdit œdipien par la castration et la métaphore du Nom-du-Père. Dans le Séminaire VII, il précise : « la loi de l’inceste se situe […] au niveau du rapport inconscient avec das Ding […]. C’est dans la mesure où […] l’homme cherche toujours ce qu’il doit retrouver mais ce qu’il ne saurait atteindre […] que gît l’essentiel, […] la loi de l’interdiction de l’inceste »[5].

Voilà qui boucle la rupture d’avec l’articulation psychologisante entre sociologie et interdit de l’inceste. Cela permettra plus tard à Lacan d’affirmer « l’ordre familial ne fait que traduire que le Père n’est pas le géniteur et que la Mère reste contaminer la femme pour le petit d’homme »[6]. Il ajoutera « La parenté en question met en valeur ce fait primordial que c’est de lalangue qu’il s’agit […] l’analysant ne parle que de ça parce que ses proches parents lui ont appris lalangue, il ne différencie pas ce qui spécifie sa relation à lui avec ses proches parents »[7].

Dès lors, c’est dans l’exception pour chacun que « Das Ding se présente au niveau de l’expérience inconsciente comme ce qui déjà fait la loi […], une loi de signes où le sujet n’est garanti par rien »[8]. Lacan insiste sur le renversement de la loi morale introduit par Freud. C’est ce qui induit la minuscule du « bien interdit »[9], à opposer à la majuscule du Souverain Bien qui, depuis l’antiquité grecque, idéalise la voie éthique de la confrontation à une loi espérée universelle.

Ex nihilo

Aucun universel ne règle l’inaccessibilité à la Chose. Si Freud ouvre une « béance renouvelée concernant le das Ding […] au moment où nous ne pouvions plus le mettre en rien sous la garantie du Père.»[10], cela impose de reconsidérer les conditions singulières de sa constitution et les leviers qui, dans une cure, permettent au sujet de la mettre à sa place. Lacan martèle : « la création ex nihilo se trouve coextensive de l’exacte situation de la Chose comme telle.»[11] Le signifiant « crée le vide » et introduit « la perspective même de le remplir »11. Lacan précise ici comment un trou est « façonné » dans le réel par le signifiant et propose plaisamment de qualifier « nom divin » celui de Bornibus, marque de moutarde remplissant les pots dont le vide est la Chose.

Dans sa première cure, Pénélope tissait l’ordre des raisons des bonnes et mauvaises mères et défaisait l’ouvrage dans une relation amoureuse ravageante. Son compagnon l’aimait « à la vie, à la mort » en refusant qu’elle devienne mère pour la « garder toute à lui ». Récemment, elle disait mettre la Chose à sa place en rompant avec cet homme sur ces mots : « tu es un des noms que je donne maintenant à ce qui me fixait à ma mère. »

  [1] Lacan J., Le Séminaire, livre VII, L’éthique de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1986, p. 65. [2] Heidegger M., « Das Ding », Essais et conférences, trad. A. Préau, Paris, Gallimard, 1958, p. 199-211. [3] Lacan J., Le Séminaire, livre VII, op. cit. p. 127. [4] Cf Lacan J., « Les Complexes familiaux dans la formation de l’individu », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 45. Lacan y évoque la « révision du complexe ». [5] Lacan J., Le Séminaire, livre VII, op. cit., p. 83. [6] Lacan J., « Télévision », Autres écrits, op. cit., p. 532. [7] Lacan J., Le Séminaire, livre XXIV « L’insu que sait de l’Une-bévue s’aile à mourre », leçon du 19 avril 1977, inédit. [8] Lacan J., Le Séminaire, livre VII, op. cit., p. 89. [9] Ibid., p. 85 [10] Ibid., p. 119. [11] Ibid., p. 147. Dans le Séminaire « R, S, I », inédit, Lacan donnera au symbolique le nom de « trou ».

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