« Le petit Hans » de Freud [1], et le Séminaire IV sur La relation d’objet [2] de Lacan exposent en quoi l’interprétation est référée au discours qui en permet la lecture. Prenons quelques points cruciaux de la lecture du petit Hans.
Deux interprétations d’un fantasme de séparation
Deux éléments réels apparaissent dans la vie du petit Hans et l’éjectent de sa position imaginaire à l’égard de sa mère : son pénis se met à remuer, et sa petite sœur Hanna est née. Lacan nomme ce moment, le « point d’impasse » [3]. C’est un moment crucial où la signification de ce que Hans était dans le monde vacille. Il était celui qui comblait imaginairement sa mère, il ne l’est plus. À ce point d’impossible, repérable par l’angoisse, Freud et le père interprètent que Hans redoute d’être séparé de sa mère par son père. Mais c’est sans compter sur la rectification de Hans !
Le père : « Serait-ce par exemple parce que tu ne pourrais pas revenir ? » [4]
Hans : « Oh, pas du tout, […] je sais très bien où j’habite, je saurais toujours le dire et on me ramènerait. Je reviendrais peut-être même avec la voiture. » [5]
Lacan fait une lecture précise de ce point : « il est sûr, et presque trop sûr, de pouvoir revenir » [6], et il nous avertit de ne pas lire ce que l’on veut, à savoir interpréter cela comme la peur d’être séparé de sa mère. Il s’agit de tout à fait autre chose. Hans pense qu’il ne peut plus satisfaire sa mère, qui refuse le pénis qu’il lui offre en le traitant de « cochonnerie ». Elle s’intéresse par ailleurs à Hanna. Ne pouvant plus satisfaire sa mère, c’est du risque d’être englouti, emporté, dévoré par elle dont il s’agit. Lacan construit cela à partir de ce que Hans dit et répète de sa peur d’être embarqué, emporté par divers éléments (chevaux, chariots …).
Deux interprétations d’un fantasme de transgression
Il s’agit de celui où Hans imagine passer sous la corde et être emmené par le gardien du parc. On pourrait référer le gardien à l’interdit et l’interpréter comme la punition qu’engendrerait une transgression : aller vers la mère. Lacan propose de savoir lire ce que dit Hans : il va passer avec le père sous la corde, et ils vont être emmenés tous les deux par le gardien. Du dire rapporté par Freud : « J’étais avec toi à Schönbrunn voir les moutons, alors nous nous sommes glissés sous la corde, et alors nous l’avons dit à l’agent à l’entrée du jardin, et il nous a empoignés [zusammengepackt]. » [7] Lacan prélève « zusammengepackt » [8], « zusammen » qui signifie « ensemble ». Il s’agit donc d’être embarqués ensemble avec le père, empaquetés ensemble.
D’un côté l’interprétation freudienne – il a peur du père, de l’autre Lacan souligne que Hans sollicite le père, afin de trouver un repère, une limite, une nouvelle signification à sa position dans le monde qui vacille par l’introduction d’une jouissance dont il ne sait que faire.
Le « grand dialogue » [9] d’avril, comme le nomme Lacan, où Hans interpelle son père, en est un témoignage clair :
Le père : « Pourquoi donc est-ce que je gronde au juste ? »
Hans : « Parce que tu t’emportes. »
Le père : « Mais ce n’est pas vrai. »
Hans : « Oui, c’est vrai, tu t’emportes, je le sais, c’est forcément vrai. »[10]
Lacan montre le travail acharné de Hans dont la fonction est de viser à pallier à son vacillement dans le monde par l’appel au père. Prendre comme point d’appui le sens œdipien ou bien l’impossible qu’est le réel de l’ex-sistence ou le réel du sexuel n’oriente pas l’interprétation de la même manière. Hans et Lacan nous donnent ici une leçon inédite sur l’interprétation.
Valérie Morweiser
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[1] Freud S., Cinq Psychanalyses, Paris, PUF, 2015.
[2] Lacan J., Le Séminaire, livre IV, La Relation d’objet, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1994.
[3] Ibid., p. 327.
[4] Ibid., p. 313.
[5] Ibid.
[6] Ibid., p. 319.
[7] Freud S., Cinq Psychanalyses, op. cit., p. 186.
[8] Lacan J., Le Séminaire, livre IV, La Relation d’objet, op. cit., p. 325.
[9] Ibid., p. 389.
[10] Freud S., Cinq Psychanalyses, op. cit., p. 225.